Marciac (5): Un ténor pour faire souffler grave l'esprit d'Ornette
Ce pourrait figurer au mieux comme un hymne, une chanson de geste pour célébrer un évènement, au pire un simple tic de langage. Pour chaque leader d’orchestre par empathie, politesse ou obligation le Happy Birthday systémique lâché sur scène en différentes langues marque le 40e anniversaire de Jazz in Marciac.
Youn Sun Nah (voc), Franck Woeste (p, elp, org), Tomek Miernowski (g), Brad Jones (b), Dan Rieser (dm)
Joshua Redman (ts), Ron Miles (cnt), Scott Colley (b), Brian Blade (dm)
Jazz in Marciac, Chapiteau, Marciac (32230), 9 aout
Sur la scène du chapiteau qu’elle connaît bien évidemment, elle voyage ce soir là sur la ligne des titres de son dernier album She moves on, enregistré aux Etats Unis, soutenue par des musiciens américains (sauf aux claviers où Franck Woeste, solide, a repris sa place pour la tournée). Sur un répertoire de chansons US pour la plupart. Youn Sun Nah en live garde ses caractéristiques, tout ce qui construit sa personnalité de chanteuse pas comme les autres. Une silhouette de fragilité mais une expression ferme, une capacité inouïe à sortir de sa peau lisse. Et surtout, griffe personnelle originale d’origine volcanique, une gorge de miel creuset d’une voix de feu. Elle connaît bien le terrain, elle a eu foulé le territoire gersois. De sa voix rentrée qui oblige au silence de l’auditeur elle résume son parcours initiatique local « J’ai franchi toutes les étapes ici se plait-elle à raconter. J’ai d’abord enseigné le chant aux élèves de la classe jazz du collège. J’ai chanté ensuite dans le village. Puis à l’Astrada. Enfin je suis monté sur cette scène, celle là même où je suis pour vous ce soir » Un tour de chant plus qu’un tour du propriétaire d’ailleurs puisque, à l’instar du dernier album, la chanteuse coréenne prend son inspiration chez les auteurs américains, exception faite de Léo Ferré (Avec le temps, chanté en rappel) et Egberto Gismonti. L’orchestre prend les contours de cette musique de standards qui ne dépareilleraient pas sur la bande FM. C’est bien fait, toujours. C’est arrangé comme il faut même si un guitariste au nom polonais mais au « stetson » impeccable enfoncé sur le crâne remplace son collègue Jamie Shaft, par ailleurs producteur de l’album pré-cité. Bien sur certains focus placés en guise d’évènement saillant viennent ponctuer le récital: Black is the colour of my true love’s hair, traditionnel du folksong du sud des Etats Unis, elle choisit de l’interpréter quasiment à capella, colorisé par les petites lames d’acier de son kalimba. Ou Frevo, notes prises détachées, en duo avec la batterie, façon scat à vitesse réelle, comme les égrenaient le brésilien Egberto Gismonti sur sa guitare à douze cordes. Voire Drifting encore, chanson peu connue de Jimi Hendrix, occasion de tutoyer les effets électriques de la guitare de Tomek Miernowski. Quelques pics épars, donc dans ce paysage de récital, pour mettre en tension le chapiteau. Ajoutez-y les habituelles performance vocales, tessiture vertigineuse, cris ou fond de gorge torturé (plus nez pincé curieusement au bout des narines) pour célébrer la voix fumeur-bourbon /whisky de Tom Waits (Jockey Full of Bourbon) Mais au final, comment dire voyons, le plaisir se dissout comme dans un effet de répétition, une langueur un peu monotone, le poids d’une habitude à la performance vocale sans crêtes de musique propices à l’escalade pour profiter de l’effet de surprise au sommet. Ainsi se trouve-ton privé de l’effet soudain d’être soufflé.
Vieux songe et rêve nouveau
Quel concert ! Du souffle justement, en veux-tu en voilà, tiens ! Du jazz avec des racines, du terreau, des vents et une pluie de notes plus ou moins bleues pour y faire pousser des feuilles de plaisir pur. Joshua Redman avec cet orchestre poursuit un but avoué « Je veux rendre hommage aux musiciens qui ont servi fidèlement Ornette Coleman, puis ont porté son message musical dans cet orchestre extraordinaire aujourd’hui oublié que fut Old dreams and New dreams » Soit Don Cherry, Ed Blackwell, Charlie Haden et…Dewey Redman. Sans doute est-ce le but caché de Joshua: rendre un hommage aussi à son père, saxophoniste de son état. Un tel but, une telle ambition portés par l’émotion autant que le souvenir requiert une manière, un truc pour parler trivialement. Le saxophoniste américain qui vit en Californie joue carte sur table. En reprenant le schéma ténor/trompette il reconduit le face à face Ornette/Don Cherry ressuscité ce jour, cette nuit froide de Marciac, au travers du duo Joshua Redman/Ron MIles (ce nom tout de même pour un trompettiste…même s’il utilise surtout le cornet). Et derrière, avec Scott Colley et Brian Blade, à Marciac ce fut, oui un… festival ! Entrée de jeu: The Rest, thème très écrit, objet d’unissons serrés Redman/Miles/Colley. Guinea à suivre, signé Don Cherry déclenche d’abord un « chase » ténor/cornet très vite totalement débridé, avec ouvertures dans tous les sens, rythmes comme mélodie. New Year de Scott Colley: le bassiste et son alter ego de la rythmique (un mot un peu réducteur pour cette cellule vivante) Brian Blade, voguent en indépendant, libres, créatifs. Brian Blade en particulier, l’air de rien, fait flotter les temps et fondre métal ou verre des mélodies (Walls-Bridges) Ça sent la musique de l’envie, le jazz affleure, laisse sourdre pleins d’électrons libres sous les doigts du carré d’as. Pour certains dans la salle, ces vieux rêves et ces songes nouveaux font surgir les images colorisées du groupe d’Ornette des sixties. Les lignes se tracent dans une belle géométrie de l’espace pour se briser et mieux se reconstruire. Les motifs sonnent hors champ comme des chants. On en garde l’accroche mélodique dans la tête à l’instar de ces drôles de phrases jaillies un jour de la trompette de Don Cherry, griot savant avant l’heure. Après le set du trio de Danilo Perez à Junas et à la veille du dernier concert du quartet de Wayne Shorter à San Sebastian (cf comptes rendus jazzmagazine.com > jazz live) Brian Blade, avec son amabilité coutumière m’avait dit « Je reviendrai en Europe en août pour assurer quelques dates avec le groupe de Joshua Redman. Il veut rendre hommage à la musique incroyable d’Ornette… » Il ne croyait pas si bien dire le batteur inclassable, exemple à l’appui de ces versions ré-improvisées dans l’esprit de Turnaround ou Happy House. Occasion d’un échange ténor/cornet parti de motifs simples à partir de la sonorité droite, très travaillée dans l’expression de la part de Ron Miles. L’Interaction se trouve alors poussée jusqu’au fusionnel avant un développement en éclats lumineux dans le sax d’un Joshua Redman « à son sommet aujourd’hui » pour reprendre un terme d’athlète employé ces jours ci lors des mondiaux d’athlétisme. Echos d’un jazz porteur de sens, sensé autant que sensuel. Le quartet rappelé a voulu clore son chapitre marciacais sur Silence de Charlie Haden. Alors, à minuit bien sonné, tout est dit.
Robert Latxague
@Jazz_in_Marciac
Marciac, 11 aout
21 h, Chapiteau: Pierre Boussaguet Septet ; Wynton Marsalis Quintet + Cecile McLorin Salvant
L’Astrada: Paul Lay trio, Yaron Herman trio
|
Ce pourrait figurer au mieux comme un hymne, une chanson de geste pour célébrer un évènement, au pire un simple tic de langage. Pour chaque leader d’orchestre par empathie, politesse ou obligation le Happy Birthday systémique lâché sur scène en différentes langues marque le 40e anniversaire de Jazz in Marciac.
Youn Sun Nah (voc), Franck Woeste (p, elp, org), Tomek Miernowski (g), Brad Jones (b), Dan Rieser (dm)
Joshua Redman (ts), Ron Miles (cnt), Scott Colley (b), Brian Blade (dm)
Jazz in Marciac, Chapiteau, Marciac (32230), 9 aout
Sur la scène du chapiteau qu’elle connaît bien évidemment, elle voyage ce soir là sur la ligne des titres de son dernier album She moves on, enregistré aux Etats Unis, soutenue par des musiciens américains (sauf aux claviers où Franck Woeste, solide, a repris sa place pour la tournée). Sur un répertoire de chansons US pour la plupart. Youn Sun Nah en live garde ses caractéristiques, tout ce qui construit sa personnalité de chanteuse pas comme les autres. Une silhouette de fragilité mais une expression ferme, une capacité inouïe à sortir de sa peau lisse. Et surtout, griffe personnelle originale d’origine volcanique, une gorge de miel creuset d’une voix de feu. Elle connaît bien le terrain, elle a eu foulé le territoire gersois. De sa voix rentrée qui oblige au silence de l’auditeur elle résume son parcours initiatique local « J’ai franchi toutes les étapes ici se plait-elle à raconter. J’ai d’abord enseigné le chant aux élèves de la classe jazz du collège. J’ai chanté ensuite dans le village. Puis à l’Astrada. Enfin je suis monté sur cette scène, celle là même où je suis pour vous ce soir » Un tour de chant plus qu’un tour du propriétaire d’ailleurs puisque, à l’instar du dernier album, la chanteuse coréenne prend son inspiration chez les auteurs américains, exception faite de Léo Ferré (Avec le temps, chanté en rappel) et Egberto Gismonti. L’orchestre prend les contours de cette musique de standards qui ne dépareilleraient pas sur la bande FM. C’est bien fait, toujours. C’est arrangé comme il faut même si un guitariste au nom polonais mais au « stetson » impeccable enfoncé sur le crâne remplace son collègue Jamie Shaft, par ailleurs producteur de l’album pré-cité. Bien sur certains focus placés en guise d’évènement saillant viennent ponctuer le récital: Black is the colour of my true love’s hair, traditionnel du folksong du sud des Etats Unis, elle choisit de l’interpréter quasiment à capella, colorisé par les petites lames d’acier de son kalimba. Ou Frevo, notes prises détachées, en duo avec la batterie, façon scat à vitesse réelle, comme les égrenaient le brésilien Egberto Gismonti sur sa guitare à douze cordes. Voire Drifting encore, chanson peu connue de Jimi Hendrix, occasion de tutoyer les effets électriques de la guitare de Tomek Miernowski. Quelques pics épars, donc dans ce paysage de récital, pour mettre en tension le chapiteau. Ajoutez-y les habituelles performance vocales, tessiture vertigineuse, cris ou fond de gorge torturé (plus nez pincé curieusement au bout des narines) pour célébrer la voix fumeur-bourbon /whisky de Tom Waits (Jockey Full of Bourbon) Mais au final, comment dire voyons, le plaisir se dissout comme dans un effet de répétition, une langueur un peu monotone, le poids d’une habitude à la performance vocale sans crêtes de musique propices à l’escalade pour profiter de l’effet de surprise au sommet. Ainsi se trouve-ton privé de l’effet soudain d’être soufflé.
Vieux songe et rêve nouveau
Quel concert ! Du souffle justement, en veux-tu en voilà, tiens ! Du jazz avec des racines, du terreau, des vents et une pluie de notes plus ou moins bleues pour y faire pousser des feuilles de plaisir pur. Joshua Redman avec cet orchestre poursuit un but avoué « Je veux rendre hommage aux musiciens qui ont servi fidèlement Ornette Coleman, puis ont porté son message musical dans cet orchestre extraordinaire aujourd’hui oublié que fut Old dreams and New dreams » Soit Don Cherry, Ed Blackwell, Charlie Haden et…Dewey Redman. Sans doute est-ce le but caché de Joshua: rendre un hommage aussi à son père, saxophoniste de son état. Un tel but, une telle ambition portés par l’émotion autant que le souvenir requiert une manière, un truc pour parler trivialement. Le saxophoniste américain qui vit en Californie joue carte sur table. En reprenant le schéma ténor/trompette il reconduit le face à face Ornette/Don Cherry ressuscité ce jour, cette nuit froide de Marciac, au travers du duo Joshua Redman/Ron MIles (ce nom tout de même pour un trompettiste…même s’il utilise surtout le cornet). Et derrière, avec Scott Colley et Brian Blade, à Marciac ce fut, oui un… festival ! Entrée de jeu: The Rest, thème très écrit, objet d’unissons serrés Redman/Miles/Colley. Guinea à suivre, signé Don Cherry déclenche d’abord un « chase » ténor/cornet très vite totalement débridé, avec ouvertures dans tous les sens, rythmes comme mélodie. New Year de Scott Colley: le bassiste et son alter ego de la rythmique (un mot un peu réducteur pour cette cellule vivante) Brian Blade, voguent en indépendant, libres, créatifs. Brian Blade en particulier, l’air de rien, fait flotter les temps et fondre métal ou verre des mélodies (Walls-Bridges) Ça sent la musique de l’envie, le jazz affleure, laisse sourdre pleins d’électrons libres sous les doigts du carré d’as. Pour certains dans la salle, ces vieux rêves et ces songes nouveaux font surgir les images colorisées du groupe d’Ornette des sixties. Les lignes se tracent dans une belle géométrie de l’espace pour se briser et mieux se reconstruire. Les motifs sonnent hors champ comme des chants. On en garde l’accroche mélodique dans la tête à l’instar de ces drôles de phrases jaillies un jour de la trompette de Don Cherry, griot savant avant l’heure. Après le set du trio de Danilo Perez à Junas et à la veille du dernier concert du quartet de Wayne Shorter à San Sebastian (cf comptes rendus jazzmagazine.com > jazz live) Brian Blade, avec son amabilité coutumière m’avait dit « Je reviendrai en Europe en août pour assurer quelques dates avec le groupe de Joshua Redman. Il veut rendre hommage à la musique incroyable d’Ornette… » Il ne croyait pas si bien dire le batteur inclassable, exemple à l’appui de ces versions ré-improvisées dans l’esprit de Turnaround ou Happy House. Occasion d’un échange ténor/cornet parti de motifs simples à partir de la sonorité droite, très travaillée dans l’expression de la part de Ron Miles. L’Interaction se trouve alors poussée jusqu’au fusionnel avant un développement en éclats lumineux dans le sax d’un Joshua Redman « à son sommet aujourd’hui » pour reprendre un terme d’athlète employé ces jours ci lors des mondiaux d’athlétisme. Echos d’un jazz porteur de sens, sensé autant que sensuel. Le quartet rappelé a voulu clore son chapitre marciacais sur Silence de Charlie Haden. Alors, à minuit bien sonné, tout est dit.
Robert Latxague
@Jazz_in_Marciac
Marciac, 11 aout
21 h, Chapiteau: Pierre Boussaguet Septet ; Wynton Marsalis Quintet + Cecile McLorin Salvant
L’Astrada: Paul Lay trio, Yaron Herman trio
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Ce pourrait figurer au mieux comme un hymne, une chanson de geste pour célébrer un évènement, au pire un simple tic de langage. Pour chaque leader d’orchestre par empathie, politesse ou obligation le Happy Birthday systémique lâché sur scène en différentes langues marque le 40e anniversaire de Jazz in Marciac.
Youn Sun Nah (voc), Franck Woeste (p, elp, org), Tomek Miernowski (g), Brad Jones (b), Dan Rieser (dm)
Joshua Redman (ts), Ron Miles (cnt), Scott Colley (b), Brian Blade (dm)
Jazz in Marciac, Chapiteau, Marciac (32230), 9 aout
Sur la scène du chapiteau qu’elle connaît bien évidemment, elle voyage ce soir là sur la ligne des titres de son dernier album She moves on, enregistré aux Etats Unis, soutenue par des musiciens américains (sauf aux claviers où Franck Woeste, solide, a repris sa place pour la tournée). Sur un répertoire de chansons US pour la plupart. Youn Sun Nah en live garde ses caractéristiques, tout ce qui construit sa personnalité de chanteuse pas comme les autres. Une silhouette de fragilité mais une expression ferme, une capacité inouïe à sortir de sa peau lisse. Et surtout, griffe personnelle originale d’origine volcanique, une gorge de miel creuset d’une voix de feu. Elle connaît bien le terrain, elle a eu foulé le territoire gersois. De sa voix rentrée qui oblige au silence de l’auditeur elle résume son parcours initiatique local « J’ai franchi toutes les étapes ici se plait-elle à raconter. J’ai d’abord enseigné le chant aux élèves de la classe jazz du collège. J’ai chanté ensuite dans le village. Puis à l’Astrada. Enfin je suis monté sur cette scène, celle là même où je suis pour vous ce soir » Un tour de chant plus qu’un tour du propriétaire d’ailleurs puisque, à l’instar du dernier album, la chanteuse coréenne prend son inspiration chez les auteurs américains, exception faite de Léo Ferré (Avec le temps, chanté en rappel) et Egberto Gismonti. L’orchestre prend les contours de cette musique de standards qui ne dépareilleraient pas sur la bande FM. C’est bien fait, toujours. C’est arrangé comme il faut même si un guitariste au nom polonais mais au « stetson » impeccable enfoncé sur le crâne remplace son collègue Jamie Shaft, par ailleurs producteur de l’album pré-cité. Bien sur certains focus placés en guise d’évènement saillant viennent ponctuer le récital: Black is the colour of my true love’s hair, traditionnel du folksong du sud des Etats Unis, elle choisit de l’interpréter quasiment à capella, colorisé par les petites lames d’acier de son kalimba. Ou Frevo, notes prises détachées, en duo avec la batterie, façon scat à vitesse réelle, comme les égrenaient le brésilien Egberto Gismonti sur sa guitare à douze cordes. Voire Drifting encore, chanson peu connue de Jimi Hendrix, occasion de tutoyer les effets électriques de la guitare de Tomek Miernowski. Quelques pics épars, donc dans ce paysage de récital, pour mettre en tension le chapiteau. Ajoutez-y les habituelles performance vocales, tessiture vertigineuse, cris ou fond de gorge torturé (plus nez pincé curieusement au bout des narines) pour célébrer la voix fumeur-bourbon /whisky de Tom Waits (Jockey Full of Bourbon) Mais au final, comment dire voyons, le plaisir se dissout comme dans un effet de répétition, une langueur un peu monotone, le poids d’une habitude à la performance vocale sans crêtes de musique propices à l’escalade pour profiter de l’effet de surprise au sommet. Ainsi se trouve-ton privé de l’effet soudain d’être soufflé.
Vieux songe et rêve nouveau
Quel concert ! Du souffle justement, en veux-tu en voilà, tiens ! Du jazz avec des racines, du terreau, des vents et une pluie de notes plus ou moins bleues pour y faire pousser des feuilles de plaisir pur. Joshua Redman avec cet orchestre poursuit un but avoué « Je veux rendre hommage aux musiciens qui ont servi fidèlement Ornette Coleman, puis ont porté son message musical dans cet orchestre extraordinaire aujourd’hui oublié que fut Old dreams and New dreams » Soit Don Cherry, Ed Blackwell, Charlie Haden et…Dewey Redman. Sans doute est-ce le but caché de Joshua: rendre un hommage aussi à son père, saxophoniste de son état. Un tel but, une telle ambition portés par l’émotion autant que le souvenir requiert une manière, un truc pour parler trivialement. Le saxophoniste américain qui vit en Californie joue carte sur table. En reprenant le schéma ténor/trompette il reconduit le face à face Ornette/Don Cherry ressuscité ce jour, cette nuit froide de Marciac, au travers du duo Joshua Redman/Ron MIles (ce nom tout de même pour un trompettiste…même s’il utilise surtout le cornet). Et derrière, avec Scott Colley et Brian Blade, à Marciac ce fut, oui un… festival ! Entrée de jeu: The Rest, thème très écrit, objet d’unissons serrés Redman/Miles/Colley. Guinea à suivre, signé Don Cherry déclenche d’abord un « chase » ténor/cornet très vite totalement débridé, avec ouvertures dans tous les sens, rythmes comme mélodie. New Year de Scott Colley: le bassiste et son alter ego de la rythmique (un mot un peu réducteur pour cette cellule vivante) Brian Blade, voguent en indépendant, libres, créatifs. Brian Blade en particulier, l’air de rien, fait flotter les temps et fondre métal ou verre des mélodies (Walls-Bridges) Ça sent la musique de l’envie, le jazz affleure, laisse sourdre pleins d’électrons libres sous les doigts du carré d’as. Pour certains dans la salle, ces vieux rêves et ces songes nouveaux font surgir les images colorisées du groupe d’Ornette des sixties. Les lignes se tracent dans une belle géométrie de l’espace pour se briser et mieux se reconstruire. Les motifs sonnent hors champ comme des chants. On en garde l’accroche mélodique dans la tête à l’instar de ces drôles de phrases jaillies un jour de la trompette de Don Cherry, griot savant avant l’heure. Après le set du trio de Danilo Perez à Junas et à la veille du dernier concert du quartet de Wayne Shorter à San Sebastian (cf comptes rendus jazzmagazine.com > jazz live) Brian Blade, avec son amabilité coutumière m’avait dit « Je reviendrai en Europe en août pour assurer quelques dates avec le groupe de Joshua Redman. Il veut rendre hommage à la musique incroyable d’Ornette… » Il ne croyait pas si bien dire le batteur inclassable, exemple à l’appui de ces versions ré-improvisées dans l’esprit de Turnaround ou Happy House. Occasion d’un échange ténor/cornet parti de motifs simples à partir de la sonorité droite, très travaillée dans l’expression de la part de Ron Miles. L’Interaction se trouve alors poussée jusqu’au fusionnel avant un développement en éclats lumineux dans le sax d’un Joshua Redman « à son sommet aujourd’hui » pour reprendre un terme d’athlète employé ces jours ci lors des mondiaux d’athlétisme. Echos d’un jazz porteur de sens, sensé autant que sensuel. Le quartet rappelé a voulu clore son chapitre marciacais sur Silence de Charlie Haden. Alors, à minuit bien sonné, tout est dit.
Robert Latxague
@Jazz_in_Marciac
Marciac, 11 aout
21 h, Chapiteau: Pierre Boussaguet Septet ; Wynton Marsalis Quintet + Cecile McLorin Salvant
L’Astrada: Paul Lay trio, Yaron Herman trio
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Ce pourrait figurer au mieux comme un hymne, une chanson de geste pour célébrer un évènement, au pire un simple tic de langage. Pour chaque leader d’orchestre par empathie, politesse ou obligation le Happy Birthday systémique lâché sur scène en différentes langues marque le 40e anniversaire de Jazz in Marciac.
Youn Sun Nah (voc), Franck Woeste (p, elp, org), Tomek Miernowski (g), Brad Jones (b), Dan Rieser (dm)
Joshua Redman (ts), Ron Miles (cnt), Scott Colley (b), Brian Blade (dm)
Jazz in Marciac, Chapiteau, Marciac (32230), 9 aout
Sur la scène du chapiteau qu’elle connaît bien évidemment, elle voyage ce soir là sur la ligne des titres de son dernier album She moves on, enregistré aux Etats Unis, soutenue par des musiciens américains (sauf aux claviers où Franck Woeste, solide, a repris sa place pour la tournée). Sur un répertoire de chansons US pour la plupart. Youn Sun Nah en live garde ses caractéristiques, tout ce qui construit sa personnalité de chanteuse pas comme les autres. Une silhouette de fragilité mais une expression ferme, une capacité inouïe à sortir de sa peau lisse. Et surtout, griffe personnelle originale d’origine volcanique, une gorge de miel creuset d’une voix de feu. Elle connaît bien le terrain, elle a eu foulé le territoire gersois. De sa voix rentrée qui oblige au silence de l’auditeur elle résume son parcours initiatique local « J’ai franchi toutes les étapes ici se plait-elle à raconter. J’ai d’abord enseigné le chant aux élèves de la classe jazz du collège. J’ai chanté ensuite dans le village. Puis à l’Astrada. Enfin je suis monté sur cette scène, celle là même où je suis pour vous ce soir » Un tour de chant plus qu’un tour du propriétaire d’ailleurs puisque, à l’instar du dernier album, la chanteuse coréenne prend son inspiration chez les auteurs américains, exception faite de Léo Ferré (Avec le temps, chanté en rappel) et Egberto Gismonti. L’orchestre prend les contours de cette musique de standards qui ne dépareilleraient pas sur la bande FM. C’est bien fait, toujours. C’est arrangé comme il faut même si un guitariste au nom polonais mais au « stetson » impeccable enfoncé sur le crâne remplace son collègue Jamie Shaft, par ailleurs producteur de l’album pré-cité. Bien sur certains focus placés en guise d’évènement saillant viennent ponctuer le récital: Black is the colour of my true love’s hair, traditionnel du folksong du sud des Etats Unis, elle choisit de l’interpréter quasiment à capella, colorisé par les petites lames d’acier de son kalimba. Ou Frevo, notes prises détachées, en duo avec la batterie, façon scat à vitesse réelle, comme les égrenaient le brésilien Egberto Gismonti sur sa guitare à douze cordes. Voire Drifting encore, chanson peu connue de Jimi Hendrix, occasion de tutoyer les effets électriques de la guitare de Tomek Miernowski. Quelques pics épars, donc dans ce paysage de récital, pour mettre en tension le chapiteau. Ajoutez-y les habituelles performance vocales, tessiture vertigineuse, cris ou fond de gorge torturé (plus nez pincé curieusement au bout des narines) pour célébrer la voix fumeur-bourbon /whisky de Tom Waits (Jockey Full of Bourbon) Mais au final, comment dire voyons, le plaisir se dissout comme dans un effet de répétition, une langueur un peu monotone, le poids d’une habitude à la performance vocale sans crêtes de musique propices à l’escalade pour profiter de l’effet de surprise au sommet. Ainsi se trouve-ton privé de l’effet soudain d’être soufflé.
Vieux songe et rêve nouveau
Quel concert ! Du souffle justement, en veux-tu en voilà, tiens ! Du jazz avec des racines, du terreau, des vents et une pluie de notes plus ou moins bleues pour y faire pousser des feuilles de plaisir pur. Joshua Redman avec cet orchestre poursuit un but avoué « Je veux rendre hommage aux musiciens qui ont servi fidèlement Ornette Coleman, puis ont porté son message musical dans cet orchestre extraordinaire aujourd’hui oublié que fut Old dreams and New dreams » Soit Don Cherry, Ed Blackwell, Charlie Haden et…Dewey Redman. Sans doute est-ce le but caché de Joshua: rendre un hommage aussi à son père, saxophoniste de son état. Un tel but, une telle ambition portés par l’émotion autant que le souvenir requiert une manière, un truc pour parler trivialement. Le saxophoniste américain qui vit en Californie joue carte sur table. En reprenant le schéma ténor/trompette il reconduit le face à face Ornette/Don Cherry ressuscité ce jour, cette nuit froide de Marciac, au travers du duo Joshua Redman/Ron MIles (ce nom tout de même pour un trompettiste…même s’il utilise surtout le cornet). Et derrière, avec Scott Colley et Brian Blade, à Marciac ce fut, oui un… festival ! Entrée de jeu: The Rest, thème très écrit, objet d’unissons serrés Redman/Miles/Colley. Guinea à suivre, signé Don Cherry déclenche d’abord un « chase » ténor/cornet très vite totalement débridé, avec ouvertures dans tous les sens, rythmes comme mélodie. New Year de Scott Colley: le bassiste et son alter ego de la rythmique (un mot un peu réducteur pour cette cellule vivante) Brian Blade, voguent en indépendant, libres, créatifs. Brian Blade en particulier, l’air de rien, fait flotter les temps et fondre métal ou verre des mélodies (Walls-Bridges) Ça sent la musique de l’envie, le jazz affleure, laisse sourdre pleins d’électrons libres sous les doigts du carré d’as. Pour certains dans la salle, ces vieux rêves et ces songes nouveaux font surgir les images colorisées du groupe d’Ornette des sixties. Les lignes se tracent dans une belle géométrie de l’espace pour se briser et mieux se reconstruire. Les motifs sonnent hors champ comme des chants. On en garde l’accroche mélodique dans la tête à l’instar de ces drôles de phrases jaillies un jour de la trompette de Don Cherry, griot savant avant l’heure. Après le set du trio de Danilo Perez à Junas et à la veille du dernier concert du quartet de Wayne Shorter à San Sebastian (cf comptes rendus jazzmagazine.com > jazz live) Brian Blade, avec son amabilité coutumière m’avait dit « Je reviendrai en Europe en août pour assurer quelques dates avec le groupe de Joshua Redman. Il veut rendre hommage à la musique incroyable d’Ornette… » Il ne croyait pas si bien dire le batteur inclassable, exemple à l’appui de ces versions ré-improvisées dans l’esprit de Turnaround ou Happy House. Occasion d’un échange ténor/cornet parti de motifs simples à partir de la sonorité droite, très travaillée dans l’expression de la part de Ron Miles. L’Interaction se trouve alors poussée jusqu’au fusionnel avant un développement en éclats lumineux dans le sax d’un Joshua Redman « à son sommet aujourd’hui » pour reprendre un terme d’athlète employé ces jours ci lors des mondiaux d’athlétisme. Echos d’un jazz porteur de sens, sensé autant que sensuel. Le quartet rappelé a voulu clore son chapitre marciacais sur Silence de Charlie Haden. Alors, à minuit bien sonné, tout est dit.
Robert Latxague
@Jazz_in_Marciac
Marciac, 11 aout
21 h, Chapiteau: Pierre Boussaguet Septet ; Wynton Marsalis Quintet + Cecile McLorin Salvant
L’Astrada: Paul Lay trio, Yaron Herman trio