Marciac: (4) Céline Bonacina et Pierrick Pedron dans le destin de lAstrada
Salle pleine à l’Astrada pour du jazz aux contours hexagonaux. Loin du chapiteau qui sera bientôt préparé, traité pour recevoir en final Joan Baez et Santana, la salle douillette construite à Marciac représente une sorte de refuge -jauge, acoustique, confort des corps, météo- pour du jazz ou musiques improvisées restitués « nature » entre les deux oreilles.
Céline Bonacina (bs, ss), Leonardo Montana (p), Matyas Szandai (b), Asaf Cirkis (dm)
Pierrick Pedron (as), Carl-Henri Morissey (p), Etienne Renard (b), Elie Martin-Charrière (dm)
Jazz in Marciac, l’Astrada, Marciac (32230), 9 aout
Il fait frisquet ce soir à Marciac. De quoi apprécier l’air tempéré de cet écrin construit il y déjà quelques années via le succès de la grosse machine Jazz in Marciac une fois l’utilisation des arènes traditionnelles abandonnées pour cause de sécurité et de normes. Marciac qui évolue également au sein de son staff avec par exemple la venue d’une nouvelle directrice de l’Astrada. Fanny Pagès arrive tout juste dans la bourgade du Gers, terre désormais aussi renommée pour ses affiches jazz et musiques du monde que vis à vis du foie gras, des vins solides voire de l’Armagnac qui fait partie de l’histoire et de son patrimoine aux côtés des Mousquetaires immortalisés par Alexandre Dumas. Elle vient avec des idées et une philosophie d’action « L’Astrada a toujours pour mission de prolonger toute l’année l’esprit et la culture du jazz issue du festival. Mais nous souhaitons également cultiver le terreau artistique de ce territoire. Notre programmation dès la rentrée, fidèle à son histoire sera ouverte sur la création actuelle, sur le monde. Avec du jazz, bien sur mais aussi du classique, du théâtre…et même du cirque. Il y en aura donc pour tous, et pour toutes les bourses » On oublie parfois que sous le chapiteau géant du terrain de rugby passe en une soirée trois à quatre fois la population du village ! Merci le jazz ?
On retient souvent de Céline Bonacina le son grave, rauque, « velu » de son baryton. C’est pourtant sur le sax soprano qu’elle s’exprime majoritairement sur la durée d’un concert. Forte d’une sonorité claire, un peu tendue, mais toujours très mobile selon les inflexions de la ligne mélodique suivie. Avec au passage quelques accents, disons « shorteriens » (Crystal Rain)… Matyas Szandai fait sur ce concert un remplacement impromptu « Je le remercie pour sa capacité d’adaptation et ce qu’il apporte en instantané » dit la saxophoniste en le présentant. Sans dommage pour la qualité du groupe, au contraire vu le chorus de basse servi au milieu du concert: inspiration, libération d’énergie et sur l’instrument un phrasé toujours très net dans l’exposé solo. Autre caractéristique du quartet: la batterie d’Asaf Sirkis ne comporte pas de charleston -détail qu’on remarque plus facilement en version live. La sonorité assez originale de la percussion porte du coup davantage sur les caisses, résonances de matières synthétiques, de peaux frappées ou frottées, de bois aussi (tambourins) De quoi nourrir notamment un moment spécial de duo de ce set de batterie avec le sax baryton. Céline Bonacina vient chercher l’intensité du rythme en un mode de duel à base de coups de becs, de claquements d’anche, de lancements de « riffs » pour autant de ruptures recherchées (Cyclone). Pour le reste la musique de l’orchestre se construit en de belles lignes tirées à quatre instruments, étagées, segments avançant dans l’espace sonore ainsi créé. Dernier élément, pas le moindre de cette univers musical en mouvement: Leonardo Montana, adepte d’un jeu des deux mains agissant au centre du clavier, se plait à jouer toujours en avance sur le temps fort, manière pianistique qui créée la dynamique (Child’s Mood) Une vraie empreinte pour un travail produit en commun. En collectif.
Question sonorité, Pierrick Pedron s’y entend aussi bien sur. Un alto qui retentit dans des tons acidulés, fort d’attaques très nettes y compris lorsque -chez lui très fréquemment- le rythme s’accélère. Et toujours cette facilité d’évoluer dans les articulations entre notes ou phrases (Unknown, titre éponyme de son dernier album (Fo Feo Production/MFA) largement utilisé lors du concert à Marciac) Une sonorité qui s’adapte bien sur à la nature de la musique jouée: Mum’s eyes, ballade écrite en hommage à sa mère disparue l’an passé passe en revue une gamme de couleurs pastels au fil d’inflexions douces. Le saxophoniste originaire de Bretagne alterne sur des tempos différents effets de puissance et de contrôle. Pierrick Pedron, il n’est que de l’écouter est un musicien en pleine maturité. Longtemps considéré pour ce qui l’avait révélé, un jeune prolongateur surdoué des arcanes des « bopers », ces avaleurs de tempo sur-boostés, il s’affiche aujourd’hui comme un saxophoniste qui, dans le paysage du jazz hexagonal ou européen, a inscrit sa marque. Il l’imprime en toute occasion. Dans son dernier album pré-cité. Sur scène également, tel ce « stop chorus », passage pris seul, précis, brillant pour un hommage très senti à un musicien américain qui avait fait appel à ses services, le pianiste Mulgrew Miller « J’ai intitulé ce thème Mister Miller avec un grand respect car c’était vraiment un Monsieur dans le jazz » Ou cet arrangement original pour une version personnelle d’un morceau signé Dépêche Mode (Enjoy the silence) Une empreinte qui n’empêche pas le jeune trio de donner, sur ce même titre sa pleine mesure avec, puis sans le leader, très librement. Le pianiste Carl-Henri Morissey en particulier, à son aise en illustration ou développement de la mélodie sur des tempos moyens. L’Astrada (mot occitan que l’on pourrait traduire pas « le destin » ), en cette soirée humide de Jazz in Marciac, dégageait de bonnes vibrations judicieusement improvisées. Une vocation assumée en mode tricolore à défaut d’une destinée.
Robert Latxague