MARJOLAINE REYMOND au Studio de l’Ermitage
Pour fêter la parution de son disque «Splendour of Blood», publié fin avril, la chanteuse-compositrice se produisait en concert avec tous le musiciens du CD
MARJOLAINE REYMOND «Splendour of Blood»
Marjolaine Reymond (composition, voix, effets, sifflet à coulisse), Christophe Monniot (saxophone sopranino, arrangements), Matthieu Metzger (saxophone alto), Jean-Brice Godet (clarinette), Armand Dubois (cor en Fa), François Thuillier (tuba), Leonardo Montana (piano acoustique, piano numérique), Olivier Lété (guitare basse), Christophe Lavergne (batterie)
Paris, Studio de l’Ermitage, 5 juin 2022
La musique s’offre à nous selon le programme du disque (déclinant quatre parties évoquant la passion), mais traité différemment. Le premier thème commence, après la voix échantillonnée de Javier Leibiusky qui donne, en hébreu, le titre de la première des quatre séquences. Mais avant le chant (le poème Splendour in the Grass de William Wordsworth), c’est un turbulent solo de piano qui va ouvrir l’espace des passions. Tout au long du concert les solos instrumentaux vont ponctuer la dramaturgie d’ensemble, des solos plus développés que sur le disque, et tout aussi libres. Nous aurons ainsi une foule de dialogues croisés et improvisés, au sein du groupe. C’est un orchestre de solistes, de solistes inspirés, et cela donne à l’ensemble un supplément d’âme. Les compositions sont très élaborées, selon des lignes aux intervalles distendus, aux chromatismes audacieux. Les arrangements combinent des tensions et des frottements virulents avec des consonances délicates (magnifique travail de Christophe Monniot sur la musique composée par Marjolaine Reymond). Il y a beaucoup de musique à jouer, et l’on peut gager que c’est la qualité exigeante de l’écriture (avec la liberté d’improviser) qui a motivé cette très belle brochette de solistes à rejoindre l’aventure. Marjolaine Reymond fait entendre expressivité intense et sûreté vocale (ce qui, sur ces compositions funambulesque, tient du miracle). Elle joue en virtuose des deux micros qui sont face à elle, l’un d’eux étant relié à des effets commandés par ses soins.
Le fait que cette musique, éminemment élaborée, puisse se donner à entendre avec cette liberté, de manière aussi vivante, est à la fois la réussite et le secret de ce défi musical. Les textes se succèdent, empruntés à Elizabeth Browning, Emily Brontë, et à Salomon pour Le Cantique des Cantiques, ce dernier en hébreu avec la voix off, échantillonnée, de Javier Leibiusky. Comme tous les spectateurs, je suis porté par ce flot de musique et d’expression, fasciné par la fluidité des transitions entre l’écrit et l’improvisé, comme si un seul organe, l’orchestre tout entier, chanteuse incluse, était le mystérieux émetteur de cet objet musical surprenant de beauté inventive. On est entre la musique contemporaine, le jazz, le rock progressif et, pour l’intensité dramatique, l’opéra. La forme est très libre, certaines séquences se terminant par un solo instrumental qui signe la coda comme une évidence. Bref une grande réussite, pour la conception comme pour l’improvisation. On espère que les programmateurs de festivals (je n’en ai pas remarqué dans la salle, mais je n’avais pas déclenché mon détecteur de notabilités, et le dimanche de Pentecôte n’était peut-être pas la meilleure date pour un voyage d’étude….) auront la curiosité d’écouter vraiment ce disque, et le talent de comprendre que, sur scène, la musique prend encore plus d’ampleur.
Xavier Prévost