Mark Guiliana : la Petite Halle au rythme de la Beat Music
Dans la foule, pour patienter, on échange des anecdotes sur tel autre concert du groupe, ou sur la qualité du fameux disque à peine sorti. Avant-même le concert, le matériel des musiciens, bien en évidence sur scène (deux pôles de claviers en vis-à-vis, basse électrique, batterie acoustique et électronique et une ribambelle d’effets), suscite déjà des regards de la part des curieux et des nombreux musiciens venus assister au spectacle. Les lumières baissent…et le concert commence.
Tout le groupe monte sur scène vêtu de la tenue jogging jaune-sweat à capuche aux couleurs de la pochette de l’album. L’intensité du set et la chaleur feront plus tard retirer le haut aux musiciens pour se rafraîchir… et révéler un t-shirt reprenant lui aussi les couleurs du disque. La musique s’installe sur les premières notes répétées du bassiste, bientôt rejoint par les claviers et la batterie. L’univers sonore qui se déploie puise abondamment dans les musiques électroniques notamment britanniques, dont le côté à la fois planant et explosif est superbement exploité par le bassiste Chris Morissey, rompu à toutes leurs techniques et sonorités. Lui et la batterie ne font qu’un monumental pilier rythmique, donc les contours se floutaient juste ce qu’il faut le temps de quelques breaks bien placés gardant le public alerte. Des amples de spoken-word hypnotique ajoutent une intrigante narration à la musique, qui flirtera même à plusieurs reprises avec l’univers du reggae avant d’y entrer franchement, suscitant des cris d’approbation de la part du public, vers le milieu du set.
La disposition des claviers, face à face de part et d’autre de la scène, prend tout son sens tandis que Nick Semrad et Samuel Crowe forment et se passent des nuages de sons stellaires ou échafaudent une structure mélodico-harmonico-rythmique jouissive. Les improvisations en solo ont été remarquées et saluées à juste titre. Signe de la cohésion sonore de cette heure et demi de musique, le groupe a fait bouger tout le monde, sans toutefois qu’on sache toujours très bien à cause de quel instrument on grimaçait le plus de plaisir à l’écoute. Et Mark Guiliana, absolument redoutable de précision, de groove et d’intensité, parfait chef d’orchestre, tout en jouant le rôle de gardien rêvé du tempo, se chargeait d’insuffler à la musique l’une ou l’autre des multiples directions qu’elle pouvait prendre. Mais il n’y a dans son jeu aucune esbroufe ni rien qui pourrait ressembler à une aisance désinvolte. Habitant tout entier ses instruments, il et installe, retire, étire, retourne, triture et torture le temps avec le plus grand naturel, jusqu’à ce que le claviériste Nick Semrad ne le suspende au cours d’un long interlude en solo dont la finesse a transporté toute la salle dans un autre monde.
Entre ceux qui, conquis d’avance, étaient venu écouter leur héros, et ceux qui voulaient savoir de quoi était réellement fait ce batteur très en vogue, plus aucun doute ne subsistait sur les raisons du succès de Mark Guiliana. Le concert se termine mais personne ne veut partir. Les musiciens remontent sur scène pour un dernier morceau, lentement construit par empilement de sons. Soudain une voix se fait entendre, mais ce n’est pas un sample de plus. Mark Guiliana lui-même s’est saisi d’un vocodeur et berce la foule de sages paroles autant qu’il l’arrache à sa rêverie : “Love is a feeling”… “You have to go home”… Tôt ou (très) tard, nous sommes donc rentrés chez nous. Mais pas sans emporter avec nous un peu de la magie de cette soirée à la Petite Halle. YK
Photo : Gerry Stefault