MARTIAL SOLAL / JEAN-MICHEL PILC : deux pianos, deux soirs et quatre sets
Une rencontre inédite, et pour tout dire un événement. Un Maître avéré, reconnu, et par certains (dont votre serviteur) adulé ; et un plus jeune Maître, déjà auréolé d’une longue carrière états-unienne, mais qui possède surtout -comme son éminent confrère- le goût du risque, de l’imprévu, de l’inconnu. La dernière fois que j’ai écouté Jean-Michel Pilc en solo, en février 2015, dans un autre club de la rue des Lombards, je m’étais pris à rêver de l’entendre en duo de pianos avec Martial Solal. Le rêve devient réalité, et sur le papier c’est déjà le gage d’un moment exceptionnel.
Martial Solal (piano côté jardin), Jean-Michel Pilc (piano côté cour)
Paris, Sunside, 17 décembre 2016, 21h30 & 18 décembre 2016, 20h30
C’est le premier soir, et le deuxième set, ou plutôt le second concert de la soirée. Je n’étais pas là pour le tour de chauffe, la phase d’observation. J’ai préféré attendre le vrai début du vrai match, ou plutôt de la joute, forcément amicale. Dans le public beaucoup d’amateurs chenus (dont je suis), mais aussi de plus jeunes auditeurs, des musiciens, des amis, et quelques quinquagénaires qui à Polytechnique furent de la même promotion que Jean-Michel Pilc. Ils en parlent d’abondance pendant que nous patientons pour le second concert de la soirée. Et pour la complétude de l’échantillon sociologique, l’inévitable trublionne (mais c’est une donnée contingente : il se fût agi tout aussi bien d’un trublion….) qui a oublié d’éteindre son téléphone portable, lequel sonnera durant le concert pendant trente longues secondes (pas trop fort heureusement) jusqu’à ce qu’il soit débusqué par la coupable dans le tréfonds d’un sac labyrinthique. Voilà, le très nombreux public est installé : que la fête commence.
Martial lance une note, deux notes, et Jean-Michel le rejoint dans une intro mystère qui mettra quelque temps à délivrer sa clef d’interprétation : On Green Dolphin Street. Manifestement un thème favori pour l’un et l’autre, et ils s’en donnent à cœur joie, possédant tous les possibles envisageables sur cette trame, et s’ingéniant l’un et l’autre à se surprendre, en allant bien au-delà de ce qu’ils on déjà exploré sur cette grille. Les standards s’enchaînent, mais pour y accéder chacun trouve une porte dérobée. Tandis que Jean-Michel expose Lover Man, Martial l’écoute en souriant, ravi sans doute par la maestria avec laquelle son jeune confrère expose en commentant, révèle en esquivant le prévisible. Martial a beaucoup joué ce thème, et le joue encore, contournant une possible lassitude en explorant des pistes insoupçonnées, ce qu’il fait en rejoignant son partenaire dans l’improvisation. L’un et l’autre continuent de sacrifier au rituel des chansons américaines : ce seront successivement Stella By Starlight et What Is This Thing Called Love. Jean-Michel a souvent l’exposé plus littéral, mais il y glisse toujours une foule de chemins de traverses, de traits saillants, de pirouettes audacieuses. Et Martial bientôt s’insinue dans le discours, très souvent par un détour connu de lui seul. Sur le second cité, après que Pilc a opéré l’indispensable greffe, furtive, de son dérivé (Hot House), Martial s’évade : encore un thème qu’il a souvent joué, et dont il cherche systématiquement les issues les plus secrètes. Soudain Pilc reprend la main, fortissimo, avec des accents rythmiques très marqués, manière de remettre la balle au centre. Ils s’amusent beaucoup, ils jubilent même, quand Martial lance des bribes de Il était un petit navire (naguère par lui rebaptisé Fluctuat Nec Mergitur pour une composition en grand orchestre). Ce ne sont alors que chausse-trapes, facéties et fantaisies, en toute musicalité. La méthode Hanon croisera bientôt une citation de Ohé, Ohé matelot, et les deux pianistes vont de tout cela faire un jeu d’enfants virtuoses : ce sont de grands esprits qui accordent à l’humour et au jeu une place de choix. Retour aux standards ensuite, où les thèmes se croisent et s’enchaînent dans une même séquence. Puis Jean-Michel se penche sur la liste que lui a envoyée Martial. Ils font mine de se mettre d’accord. Ce sera Night and Day. Faux départs gaguesques : Martial met en cause la rectitude de l’exposé, Jean-Michel feint d’acquiescer ; ils vont se livrer de concert à un démontage en règle de cette vénérable composition et, après quelques inclusions sauvages de Laura, à un remontage façon cubiste. Sur scène comme dans la salle, on jubile ; facétieux jusqu’au bout Martial posera, sur la tonique conclusive, une bribe de ce sacré Petit navire ! Après les applaudissements Jean-Michel se saisit du micro pour raconter comment Martial, depuis de longues années qu’ils se connaissent, le met régulièrement au défi d’improviser réellement. Une fois de plus il va relever le défi lancé par son aîné et s’embarquer dans une improvisation modale, plutôt rêveuse, qui après de multiples détours conjoints débouchera sur I Got Rhythm : sur ce terrain l’un et l’autre possèdent d’inépuisables ressources, qui nous vaudront moult détours par d’autres thèmes gershwiniens. Après le salut final, et malgré l’heure tardive, le duo reprend du service pour une version de Caravan forcément différente de ce que nous avons souvent entendu. Là encore les deux pianistes vont chercher à se surprendre, et y parvenir souvent : le Petit Navire encore, la Habanera de Carmen, Mon Homme et d’autres saillies discrètes vont se glisser dans leurs improvisations, dernières salves joyeuses d’un plaisir que les musiciens ont généreusement partagé avec le public présent, lequel n’a pas lésiné sur l’expression enthousiaste de sa reconnaissance.
Deuxième soir, second et ultime concert pour cette première rencontre en duo. Le programme comporte quelques-uns des standards joués la veille, dans des versions qui seront évidemment très renouvelées, et pour tout dire bien plus que cela : What Is This Thing Called Love fera, comme d’ailleurs plusieurs autres thèmes durant ce set, un détour furtif du côté de Stompin’ at the Savoy, mais les variations nous entraîneront loin des rives explorées la veille ; quand à l’indispensable référence à Hot House, elle servira cette fois de coda. Lover Man sera aujourd’hui bi-tonal (voire plus si affinités), On Green Dolphin Street et Have You Met Miss Jones ? nous embarqueront vers d’autres cieux. Quant au Petit Navire, s’il fait ce soir encore une citation, de quelques secondes, de Ohé, Ohé matelot, il sera plus concis, mais largement pourvu de nouvelles surprises. Pour tout dire, c’est le jazz dans son intime qui se joue dans une telle rencontre : se renouveler sans cesse sur un matériau maintes fois travaillé, retravaillé et constamment réinventé. La concentration de chacun des pianistes est extrême. L’attention vise à favoriser la réactivité la plus absolue. Tout se joue dans la fraction de seconde : chacun dans l’instant invente son propre chemin, tout en étant dans une écoute sans faille. Et s’ils ne s’égarent jamais, c’est qu’ils ont l’un et l’autre un tempo intérieur d’une incroyable stabilité, tout en étant capables d’incessants écarts toujours promis à rédemption. Ce fut sensible dès le thème qui ouvrait le set : Tea For Two. On peut difficilement trouver plus ressassé. C’est cela sans doute qu’adore Martial : retravailler jusqu’à l’ultime métamorphose un matériau laminé par des décennies de tradition. Et Jean-Michel n’est pas de reste car, bien qu’issu d’une autre génération, il connaît les moindres détours de ce thème, et de ses empreintes successives dans l’histoire du jazz. Et le sel d’un tel échange c’est justement de pousser à l’extrême, sur ce terrain hyper balisé, la joie de jouer. Car ils s’amusent, c’est patent tout au long du concert. Martial va ouvrir un exposé mystère par les quatre premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven, et très vite cela débouchera sur There Is No Greater Love. Sur ce canevas ils vont l’un et l’autre regorger d’idées, qu’il s’agisse de réharmonisation, d’invention mélodique ou de périlleuses escapades rythmiques. Jean-Michel ne manquera pas d’inclure çà et là quelques courtes mesures de Laura, comme pour nous dire « vous voyez, dans le jazz, il y a toujours une fenêtre ouverte sur l’ailleurs ». En rappel, après avoir hésité une fraction de seconde à passer Mozart à la moulinette, ils vont se livrer à une improvisation en dialogue, laquelle, après un détour express du côté de Colchiques dans les prés, et de Salt Peanuts, va nous conduire à un formidable échange sur A Night in Tunisia ; et facétieusement en coda, après avoir esquivé le fameux break si souvent affronté par des générations de jazzmen, ils déboucheront sur…. Stompin’ at the Savoy. La boucle est bouclée, dans le respect des lois du genre, constamment renouvelées par une intrépide imagination, laquelle est servie chez l’un et l’autre par une hallucinante maîtrise de l’instrument, et de l’idiome. Rappelés à nouveau, ils nous offrent un moment de pur bebop, rajeuni comme il se doit par une escapade polytonale et des détours imprévus. Quel bonheur d’avoir pu les écouter ainsi, deux soirs de suite, pour cette rencontre inédite. On se prend à rêver d’une réédition : vous qui programmez les grands festivals d’été, je sais que votre ouvrage en cette fin décembre est bien avancé. Mais si vous avez, comme je le suppose, l’ambition d’offrir au public des bonheurs inédits, réfléchissez au plaisir que vous pourriez lui faire en accueillant une telle rencontre, propre à réinventer chaque fois l’intensité de l’instant.
Xavier Prévost|Une rencontre inédite, et pour tout dire un événement. Un Maître avéré, reconnu, et par certains (dont votre serviteur) adulé ; et un plus jeune Maître, déjà auréolé d’une longue carrière états-unienne, mais qui possède surtout -comme son éminent confrère- le goût du risque, de l’imprévu, de l’inconnu. La dernière fois que j’ai écouté Jean-Michel Pilc en solo, en février 2015, dans un autre club de la rue des Lombards, je m’étais pris à rêver de l’entendre en duo de pianos avec Martial Solal. Le rêve devient réalité, et sur le papier c’est déjà le gage d’un moment exceptionnel.
Martial Solal (piano côté jardin), Jean-Michel Pilc (piano côté cour)
Paris, Sunside, 17 décembre 2016, 21h30 & 18 décembre 2016, 20h30
C’est le premier soir, et le deuxième set, ou plutôt le second concert de la soirée. Je n’étais pas là pour le tour de chauffe, la phase d’observation. J’ai préféré attendre le vrai début du vrai match, ou plutôt de la joute, forcément amicale. Dans le public beaucoup d’amateurs chenus (dont je suis), mais aussi de plus jeunes auditeurs, des musiciens, des amis, et quelques quinquagénaires qui à Polytechnique furent de la même promotion que Jean-Michel Pilc. Ils en parlent d’abondance pendant que nous patientons pour le second concert de la soirée. Et pour la complétude de l’échantillon sociologique, l’inévitable trublionne (mais c’est une donnée contingente : il se fût agi tout aussi bien d’un trublion….) qui a oublié d’éteindre son téléphone portable, lequel sonnera durant le concert pendant trente longues secondes (pas trop fort heureusement) jusqu’à ce qu’il soit débusqué par la coupable dans le tréfonds d’un sac labyrinthique. Voilà, le très nombreux public est installé : que la fête commence.
Martial lance une note, deux notes, et Jean-Michel le rejoint dans une intro mystère qui mettra quelque temps à délivrer sa clef d’interprétation : On Green Dolphin Street. Manifestement un thème favori pour l’un et l’autre, et ils s’en donnent à cœur joie, possédant tous les possibles envisageables sur cette trame, et s’ingéniant l’un et l’autre à se surprendre, en allant bien au-delà de ce qu’ils on déjà exploré sur cette grille. Les standards s’enchaînent, mais pour y accéder chacun trouve une porte dérobée. Tandis que Jean-Michel expose Lover Man, Martial l’écoute en souriant, ravi sans doute par la maestria avec laquelle son jeune confrère expose en commentant, révèle en esquivant le prévisible. Martial a beaucoup joué ce thème, et le joue encore, contournant une possible lassitude en explorant des pistes insoupçonnées, ce qu’il fait en rejoignant son partenaire dans l’improvisation. L’un et l’autre continuent de sacrifier au rituel des chansons américaines : ce seront successivement Stella By Starlight et What Is This Thing Called Love. Jean-Michel a souvent l’exposé plus littéral, mais il y glisse toujours une foule de chemins de traverses, de traits saillants, de pirouettes audacieuses. Et Martial bientôt s’insinue dans le discours, très souvent par un détour connu de lui seul. Sur le second cité, après que Pilc a opéré l’indispensable greffe, furtive, de son dérivé (Hot House), Martial s’évade : encore un thème qu’il a souvent joué, et dont il cherche systématiquement les issues les plus secrètes. Soudain Pilc reprend la main, fortissimo, avec des accents rythmiques très marqués, manière de remettre la balle au centre. Ils s’amusent beaucoup, ils jubilent même, quand Martial lance des bribes de Il était un petit navire (naguère par lui rebaptisé Fluctuat Nec Mergitur pour une composition en grand orchestre). Ce ne sont alors que chausse-trapes, facéties et fantaisies, en toute musicalité. La méthode Hanon croisera bientôt une citation de Ohé, Ohé matelot, et les deux pianistes vont de tout cela faire un jeu d’enfants virtuoses : ce sont de grands esprits qui accordent à l’humour et au jeu une place de choix. Retour aux standards ensuite, où les thèmes se croisent et s’enchaînent dans une même séquence. Puis Jean-Michel se penche sur la liste que lui a envoyée Martial. Ils font mine de se mettre d’accord. Ce sera Night and Day. Faux départs gaguesques : Martial met en cause la rectitude de l’exposé, Jean-Michel feint d’acquiescer ; ils vont se livrer de concert à un démontage en règle de cette vénérable composition et, après quelques inclusions sauvages de Laura, à un remontage façon cubiste. Sur scène comme dans la salle, on jubile ; facétieux jusqu’au bout Martial posera, sur la tonique conclusive, une bribe de ce sacré Petit navire ! Après les applaudissements Jean-Michel se saisit du micro pour raconter comment Martial, depuis de longues années qu’ils se connaissent, le met régulièrement au défi d’improviser réellement. Une fois de plus il va relever le défi lancé par son aîné et s’embarquer dans une improvisation modale, plutôt rêveuse, qui après de multiples détours conjoints débouchera sur I Got Rhythm : sur ce terrain l’un et l’autre possèdent d’inépuisables ressources, qui nous vaudront moult détours par d’autres thèmes gershwiniens. Après le salut final, et malgré l’heure tardive, le duo reprend du service pour une version de Caravan forcément différente de ce que nous avons souvent entendu. Là encore les deux pianistes vont chercher à se surprendre, et y parvenir souvent : le Petit Navire encore, la Habanera de Carmen, Mon Homme et d’autres saillies discrètes vont se glisser dans leurs improvisations, dernières salves joyeuses d’un plaisir que les musiciens ont généreusement partagé avec le public présent, lequel n’a pas lésiné sur l’expression enthousiaste de sa reconnaissance.
Deuxième soir, second et ultime concert pour cette première rencontre en duo. Le programme comporte quelques-uns des standards joués la veille, dans des versions qui seront évidemment très renouvelées, et pour tout dire bien plus que cela : What Is This Thing Called Love fera, comme d’ailleurs plusieurs autres thèmes durant ce set, un détour furtif du côté de Stompin’ at the Savoy, mais les variations nous entraîneront loin des rives explorées la veille ; quand à l’indispensable référence à Hot House, elle servira cette fois de coda. Lover Man sera aujourd’hui bi-tonal (voire plus si affinités), On Green Dolphin Street et Have You Met Miss Jones ? nous embarqueront vers d’autres cieux. Quant au Petit Navire, s’il fait ce soir encore une citation, de quelques secondes, de Ohé, Ohé matelot, il sera plus concis, mais largement pourvu de nouvelles surprises. Pour tout dire, c’est le jazz dans son intime qui se joue dans une telle rencontre : se renouveler sans cesse sur un matériau maintes fois travaillé, retravaillé et constamment réinventé. La concentration de chacun des pianistes est extrême. L’attention vise à favoriser la réactivité la plus absolue. Tout se joue dans la fraction de seconde : chacun dans l’instant invente son propre chemin, tout en étant dans une écoute sans faille. Et s’ils ne s’égarent jamais, c’est qu’ils ont l’un et l’autre un tempo intérieur d’une incroyable stabilité, tout en étant capables d’incessants écarts toujours promis à rédemption. Ce fut sensible dès le thème qui ouvrait le set : Tea For Two. On peut difficilement trouver plus ressassé. C’est cela sans doute qu’adore Martial : retravailler jusqu’à l’ultime métamorphose un matériau laminé par des décennies de tradition. Et Jean-Michel n’est pas de reste car, bien qu’issu d’une autre génération, il connaît les moindres détours de ce thème, et de ses empreintes successives dans l’histoire du jazz. Et le sel d’un tel échange c’est justement de pousser à l’extrême, sur ce terrain hyper balisé, la joie de jouer. Car ils s’amusent, c’est patent tout au long du concert. Martial va ouvrir un exposé mystère par les quatre premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven, et très vite cela débouchera sur There Is No Greater Love. Sur ce canevas ils vont l’un et l’autre regorger d’idées, qu’il s’agisse de réharmonisation, d’invention mélodique ou de périlleuses escapades rythmiques. Jean-Michel ne manquera pas d’inclure çà et là quelques courtes mesures de Laura, comme pour nous dire « vous voyez, dans le jazz, il y a toujours une fenêtre ouverte sur l’ailleurs ». En rappel, après avoir hésité une fraction de seconde à passer Mozart à la moulinette, ils vont se livrer à une improvisation en dialogue, laquelle, après un détour express du côté de Colchiques dans les prés, et de Salt Peanuts, va nous conduire à un formidable échange sur A Night in Tunisia ; et facétieusement en coda, après avoir esquivé le fameux break si souvent affronté par des générations de jazzmen, ils déboucheront sur…. Stompin’ at the Savoy. La boucle est bouclée, dans le respect des lois du genre, constamment renouvelées par une intrépide imagination, laquelle est servie chez l’un et l’autre par une hallucinante maîtrise de l’instrument, et de l’idiome. Rappelés à nouveau, ils nous offrent un moment de pur bebop, rajeuni comme il se doit par une escapade polytonale et des détours imprévus. Quel bonheur d’avoir pu les écouter ainsi, deux soirs de suite, pour cette rencontre inédite. On se prend à rêver d’une réédition : vous qui programmez les grands festivals d’été, je sais que votre ouvrage en cette fin décembre est bien avancé. Mais si vous avez, comme je le suppose, l’ambition d’offrir au public des bonheurs inédits, réfléchissez au plaisir que vous pourriez lui faire en accueillant une telle rencontre, propre à réinventer chaque fois l’intensité de l’instant.
Xavier Prévost|Une rencontre inédite, et pour tout dire un événement. Un Maître avéré, reconnu, et par certains (dont votre serviteur) adulé ; et un plus jeune Maître, déjà auréolé d’une longue carrière états-unienne, mais qui possède surtout -comme son éminent confrère- le goût du risque, de l’imprévu, de l’inconnu. La dernière fois que j’ai écouté Jean-Michel Pilc en solo, en février 2015, dans un autre club de la rue des Lombards, je m’étais pris à rêver de l’entendre en duo de pianos avec Martial Solal. Le rêve devient réalité, et sur le papier c’est déjà le gage d’un moment exceptionnel.
Martial Solal (piano côté jardin), Jean-Michel Pilc (piano côté cour)
Paris, Sunside, 17 décembre 2016, 21h30 & 18 décembre 2016, 20h30
C’est le premier soir, et le deuxième set, ou plutôt le second concert de la soirée. Je n’étais pas là pour le tour de chauffe, la phase d’observation. J’ai préféré attendre le vrai début du vrai match, ou plutôt de la joute, forcément amicale. Dans le public beaucoup d’amateurs chenus (dont je suis), mais aussi de plus jeunes auditeurs, des musiciens, des amis, et quelques quinquagénaires qui à Polytechnique furent de la même promotion que Jean-Michel Pilc. Ils en parlent d’abondance pendant que nous patientons pour le second concert de la soirée. Et pour la complétude de l’échantillon sociologique, l’inévitable trublionne (mais c’est une donnée contingente : il se fût agi tout aussi bien d’un trublion….) qui a oublié d’éteindre son téléphone portable, lequel sonnera durant le concert pendant trente longues secondes (pas trop fort heureusement) jusqu’à ce qu’il soit débusqué par la coupable dans le tréfonds d’un sac labyrinthique. Voilà, le très nombreux public est installé : que la fête commence.
Martial lance une note, deux notes, et Jean-Michel le rejoint dans une intro mystère qui mettra quelque temps à délivrer sa clef d’interprétation : On Green Dolphin Street. Manifestement un thème favori pour l’un et l’autre, et ils s’en donnent à cœur joie, possédant tous les possibles envisageables sur cette trame, et s’ingéniant l’un et l’autre à se surprendre, en allant bien au-delà de ce qu’ils on déjà exploré sur cette grille. Les standards s’enchaînent, mais pour y accéder chacun trouve une porte dérobée. Tandis que Jean-Michel expose Lover Man, Martial l’écoute en souriant, ravi sans doute par la maestria avec laquelle son jeune confrère expose en commentant, révèle en esquivant le prévisible. Martial a beaucoup joué ce thème, et le joue encore, contournant une possible lassitude en explorant des pistes insoupçonnées, ce qu’il fait en rejoignant son partenaire dans l’improvisation. L’un et l’autre continuent de sacrifier au rituel des chansons américaines : ce seront successivement Stella By Starlight et What Is This Thing Called Love. Jean-Michel a souvent l’exposé plus littéral, mais il y glisse toujours une foule de chemins de traverses, de traits saillants, de pirouettes audacieuses. Et Martial bientôt s’insinue dans le discours, très souvent par un détour connu de lui seul. Sur le second cité, après que Pilc a opéré l’indispensable greffe, furtive, de son dérivé (Hot House), Martial s’évade : encore un thème qu’il a souvent joué, et dont il cherche systématiquement les issues les plus secrètes. Soudain Pilc reprend la main, fortissimo, avec des accents rythmiques très marqués, manière de remettre la balle au centre. Ils s’amusent beaucoup, ils jubilent même, quand Martial lance des bribes de Il était un petit navire (naguère par lui rebaptisé Fluctuat Nec Mergitur pour une composition en grand orchestre). Ce ne sont alors que chausse-trapes, facéties et fantaisies, en toute musicalité. La méthode Hanon croisera bientôt une citation de Ohé, Ohé matelot, et les deux pianistes vont de tout cela faire un jeu d’enfants virtuoses : ce sont de grands esprits qui accordent à l’humour et au jeu une place de choix. Retour aux standards ensuite, où les thèmes se croisent et s’enchaînent dans une même séquence. Puis Jean-Michel se penche sur la liste que lui a envoyée Martial. Ils font mine de se mettre d’accord. Ce sera Night and Day. Faux départs gaguesques : Martial met en cause la rectitude de l’exposé, Jean-Michel feint d’acquiescer ; ils vont se livrer de concert à un démontage en règle de cette vénérable composition et, après quelques inclusions sauvages de Laura, à un remontage façon cubiste. Sur scène comme dans la salle, on jubile ; facétieux jusqu’au bout Martial posera, sur la tonique conclusive, une bribe de ce sacré Petit navire ! Après les applaudissements Jean-Michel se saisit du micro pour raconter comment Martial, depuis de longues années qu’ils se connaissent, le met régulièrement au défi d’improviser réellement. Une fois de plus il va relever le défi lancé par son aîné et s’embarquer dans une improvisation modale, plutôt rêveuse, qui après de multiples détours conjoints débouchera sur I Got Rhythm : sur ce terrain l’un et l’autre possèdent d’inépuisables ressources, qui nous vaudront moult détours par d’autres thèmes gershwiniens. Après le salut final, et malgré l’heure tardive, le duo reprend du service pour une version de Caravan forcément différente de ce que nous avons souvent entendu. Là encore les deux pianistes vont chercher à se surprendre, et y parvenir souvent : le Petit Navire encore, la Habanera de Carmen, Mon Homme et d’autres saillies discrètes vont se glisser dans leurs improvisations, dernières salves joyeuses d’un plaisir que les musiciens ont généreusement partagé avec le public présent, lequel n’a pas lésiné sur l’expression enthousiaste de sa reconnaissance.
Deuxième soir, second et ultime concert pour cette première rencontre en duo. Le programme comporte quelques-uns des standards joués la veille, dans des versions qui seront évidemment très renouvelées, et pour tout dire bien plus que cela : What Is This Thing Called Love fera, comme d’ailleurs plusieurs autres thèmes durant ce set, un détour furtif du côté de Stompin’ at the Savoy, mais les variations nous entraîneront loin des rives explorées la veille ; quand à l’indispensable référence à Hot House, elle servira cette fois de coda. Lover Man sera aujourd’hui bi-tonal (voire plus si affinités), On Green Dolphin Street et Have You Met Miss Jones ? nous embarqueront vers d’autres cieux. Quant au Petit Navire, s’il fait ce soir encore une citation, de quelques secondes, de Ohé, Ohé matelot, il sera plus concis, mais largement pourvu de nouvelles surprises. Pour tout dire, c’est le jazz dans son intime qui se joue dans une telle rencontre : se renouveler sans cesse sur un matériau maintes fois travaillé, retravaillé et constamment réinventé. La concentration de chacun des pianistes est extrême. L’attention vise à favoriser la réactivité la plus absolue. Tout se joue dans la fraction de seconde : chacun dans l’instant invente son propre chemin, tout en étant dans une écoute sans faille. Et s’ils ne s’égarent jamais, c’est qu’ils ont l’un et l’autre un tempo intérieur d’une incroyable stabilité, tout en étant capables d’incessants écarts toujours promis à rédemption. Ce fut sensible dès le thème qui ouvrait le set : Tea For Two. On peut difficilement trouver plus ressassé. C’est cela sans doute qu’adore Martial : retravailler jusqu’à l’ultime métamorphose un matériau laminé par des décennies de tradition. Et Jean-Michel n’est pas de reste car, bien qu’issu d’une autre génération, il connaît les moindres détours de ce thème, et de ses empreintes successives dans l’histoire du jazz. Et le sel d’un tel échange c’est justement de pousser à l’extrême, sur ce terrain hyper balisé, la joie de jouer. Car ils s’amusent, c’est patent tout au long du concert. Martial va ouvrir un exposé mystère par les quatre premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven, et très vite cela débouchera sur There Is No Greater Love. Sur ce canevas ils vont l’un et l’autre regorger d’idées, qu’il s’agisse de réharmonisation, d’invention mélodique ou de périlleuses escapades rythmiques. Jean-Michel ne manquera pas d’inclure çà et là quelques courtes mesures de Laura, comme pour nous dire « vous voyez, dans le jazz, il y a toujours une fenêtre ouverte sur l’ailleurs ». En rappel, après avoir hésité une fraction de seconde à passer Mozart à la moulinette, ils vont se livrer à une improvisation en dialogue, laquelle, après un détour express du côté de Colchiques dans les prés, et de Salt Peanuts, va nous conduire à un formidable échange sur A Night in Tunisia ; et facétieusement en coda, après avoir esquivé le fameux break si souvent affronté par des générations de jazzmen, ils déboucheront sur…. Stompin’ at the Savoy. La boucle est bouclée, dans le respect des lois du genre, constamment renouvelées par une intrépide imagination, laquelle est servie chez l’un et l’autre par une hallucinante maîtrise de l’instrument, et de l’idiome. Rappelés à nouveau, ils nous offrent un moment de pur bebop, rajeuni comme il se doit par une escapade polytonale et des détours imprévus. Quel bonheur d’avoir pu les écouter ainsi, deux soirs de suite, pour cette rencontre inédite. On se prend à rêver d’une réédition : vous qui programmez les grands festivals d’été, je sais que votre ouvrage en cette fin décembre est bien avancé. Mais si vous avez, comme je le suppose, l’ambition d’offrir au public des bonheurs inédits, réfléchissez au plaisir que vous pourriez lui faire en accueillant une telle rencontre, propre à réinventer chaque fois l’intensité de l’instant.
Xavier Prévost|Une rencontre inédite, et pour tout dire un événement. Un Maître avéré, reconnu, et par certains (dont votre serviteur) adulé ; et un plus jeune Maître, déjà auréolé d’une longue carrière états-unienne, mais qui possède surtout -comme son éminent confrère- le goût du risque, de l’imprévu, de l’inconnu. La dernière fois que j’ai écouté Jean-Michel Pilc en solo, en février 2015, dans un autre club de la rue des Lombards, je m’étais pris à rêver de l’entendre en duo de pianos avec Martial Solal. Le rêve devient réalité, et sur le papier c’est déjà le gage d’un moment exceptionnel.
Martial Solal (piano côté jardin), Jean-Michel Pilc (piano côté cour)
Paris, Sunside, 17 décembre 2016, 21h30 & 18 décembre 2016, 20h30
C’est le premier soir, et le deuxième set, ou plutôt le second concert de la soirée. Je n’étais pas là pour le tour de chauffe, la phase d’observation. J’ai préféré attendre le vrai début du vrai match, ou plutôt de la joute, forcément amicale. Dans le public beaucoup d’amateurs chenus (dont je suis), mais aussi de plus jeunes auditeurs, des musiciens, des amis, et quelques quinquagénaires qui à Polytechnique furent de la même promotion que Jean-Michel Pilc. Ils en parlent d’abondance pendant que nous patientons pour le second concert de la soirée. Et pour la complétude de l’échantillon sociologique, l’inévitable trublionne (mais c’est une donnée contingente : il se fût agi tout aussi bien d’un trublion….) qui a oublié d’éteindre son téléphone portable, lequel sonnera durant le concert pendant trente longues secondes (pas trop fort heureusement) jusqu’à ce qu’il soit débusqué par la coupable dans le tréfonds d’un sac labyrinthique. Voilà, le très nombreux public est installé : que la fête commence.
Martial lance une note, deux notes, et Jean-Michel le rejoint dans une intro mystère qui mettra quelque temps à délivrer sa clef d’interprétation : On Green Dolphin Street. Manifestement un thème favori pour l’un et l’autre, et ils s’en donnent à cœur joie, possédant tous les possibles envisageables sur cette trame, et s’ingéniant l’un et l’autre à se surprendre, en allant bien au-delà de ce qu’ils on déjà exploré sur cette grille. Les standards s’enchaînent, mais pour y accéder chacun trouve une porte dérobée. Tandis que Jean-Michel expose Lover Man, Martial l’écoute en souriant, ravi sans doute par la maestria avec laquelle son jeune confrère expose en commentant, révèle en esquivant le prévisible. Martial a beaucoup joué ce thème, et le joue encore, contournant une possible lassitude en explorant des pistes insoupçonnées, ce qu’il fait en rejoignant son partenaire dans l’improvisation. L’un et l’autre continuent de sacrifier au rituel des chansons américaines : ce seront successivement Stella By Starlight et What Is This Thing Called Love. Jean-Michel a souvent l’exposé plus littéral, mais il y glisse toujours une foule de chemins de traverses, de traits saillants, de pirouettes audacieuses. Et Martial bientôt s’insinue dans le discours, très souvent par un détour connu de lui seul. Sur le second cité, après que Pilc a opéré l’indispensable greffe, furtive, de son dérivé (Hot House), Martial s’évade : encore un thème qu’il a souvent joué, et dont il cherche systématiquement les issues les plus secrètes. Soudain Pilc reprend la main, fortissimo, avec des accents rythmiques très marqués, manière de remettre la balle au centre. Ils s’amusent beaucoup, ils jubilent même, quand Martial lance des bribes de Il était un petit navire (naguère par lui rebaptisé Fluctuat Nec Mergitur pour une composition en grand orchestre). Ce ne sont alors que chausse-trapes, facéties et fantaisies, en toute musicalité. La méthode Hanon croisera bientôt une citation de Ohé, Ohé matelot, et les deux pianistes vont de tout cela faire un jeu d’enfants virtuoses : ce sont de grands esprits qui accordent à l’humour et au jeu une place de choix. Retour aux standards ensuite, où les thèmes se croisent et s’enchaînent dans une même séquence. Puis Jean-Michel se penche sur la liste que lui a envoyée Martial. Ils font mine de se mettre d’accord. Ce sera Night and Day. Faux départs gaguesques : Martial met en cause la rectitude de l’exposé, Jean-Michel feint d’acquiescer ; ils vont se livrer de concert à un démontage en règle de cette vénérable composition et, après quelques inclusions sauvages de Laura, à un remontage façon cubiste. Sur scène comme dans la salle, on jubile ; facétieux jusqu’au bout Martial posera, sur la tonique conclusive, une bribe de ce sacré Petit navire ! Après les applaudissements Jean-Michel se saisit du micro pour raconter comment Martial, depuis de longues années qu’ils se connaissent, le met régulièrement au défi d’improviser réellement. Une fois de plus il va relever le défi lancé par son aîné et s’embarquer dans une improvisation modale, plutôt rêveuse, qui après de multiples détours conjoints débouchera sur I Got Rhythm : sur ce terrain l’un et l’autre possèdent d’inépuisables ressources, qui nous vaudront moult détours par d’autres thèmes gershwiniens. Après le salut final, et malgré l’heure tardive, le duo reprend du service pour une version de Caravan forcément différente de ce que nous avons souvent entendu. Là encore les deux pianistes vont chercher à se surprendre, et y parvenir souvent : le Petit Navire encore, la Habanera de Carmen, Mon Homme et d’autres saillies discrètes vont se glisser dans leurs improvisations, dernières salves joyeuses d’un plaisir que les musiciens ont généreusement partagé avec le public présent, lequel n’a pas lésiné sur l’expression enthousiaste de sa reconnaissance.
Deuxième soir, second et ultime concert pour cette première rencontre en duo. Le programme comporte quelques-uns des standards joués la veille, dans des versions qui seront évidemment très renouvelées, et pour tout dire bien plus que cela : What Is This Thing Called Love fera, comme d’ailleurs plusieurs autres thèmes durant ce set, un détour furtif du côté de Stompin’ at the Savoy, mais les variations nous entraîneront loin des rives explorées la veille ; quand à l’indispensable référence à Hot House, elle servira cette fois de coda. Lover Man sera aujourd’hui bi-tonal (voire plus si affinités), On Green Dolphin Street et Have You Met Miss Jones ? nous embarqueront vers d’autres cieux. Quant au Petit Navire, s’il fait ce soir encore une citation, de quelques secondes, de Ohé, Ohé matelot, il sera plus concis, mais largement pourvu de nouvelles surprises. Pour tout dire, c’est le jazz dans son intime qui se joue dans une telle rencontre : se renouveler sans cesse sur un matériau maintes fois travaillé, retravaillé et constamment réinventé. La concentration de chacun des pianistes est extrême. L’attention vise à favoriser la réactivité la plus absolue. Tout se joue dans la fraction de seconde : chacun dans l’instant invente son propre chemin, tout en étant dans une écoute sans faille. Et s’ils ne s’égarent jamais, c’est qu’ils ont l’un et l’autre un tempo intérieur d’une incroyable stabilité, tout en étant capables d’incessants écarts toujours promis à rédemption. Ce fut sensible dès le thème qui ouvrait le set : Tea For Two. On peut difficilement trouver plus ressassé. C’est cela sans doute qu’adore Martial : retravailler jusqu’à l’ultime métamorphose un matériau laminé par des décennies de tradition. Et Jean-Michel n’est pas de reste car, bien qu’issu d’une autre génération, il connaît les moindres détours de ce thème, et de ses empreintes successives dans l’histoire du jazz. Et le sel d’un tel échange c’est justement de pousser à l’extrême, sur ce terrain hyper balisé, la joie de jouer. Car ils s’amusent, c’est patent tout au long du concert. Martial va ouvrir un exposé mystère par les quatre premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven, et très vite cela débouchera sur There Is No Greater Love. Sur ce canevas ils vont l’un et l’autre regorger d’idées, qu’il s’agisse de réharmonisation, d’invention mélodique ou de périlleuses escapades rythmiques. Jean-Michel ne manquera pas d’inclure çà et là quelques courtes mesures de Laura, comme pour nous dire « vous voyez, dans le jazz, il y a toujours une fenêtre ouverte sur l’ailleurs ». En rappel, après avoir hésité une fraction de seconde à passer Mozart à la moulinette, ils vont se livrer à une improvisation en dialogue, laquelle, après un détour express du côté de Colchiques dans les prés, et de Salt Peanuts, va nous conduire à un formidable échange sur A Night in Tunisia ; et facétieusement en coda, après avoir esquivé le fameux break si souvent affronté par des générations de jazzmen, ils déboucheront sur…. Stompin’ at the Savoy. La boucle est bouclée, dans le respect des lois du genre, constamment renouvelées par une intrépide imagination, laquelle est servie chez l’un et l’autre par une hallucinante maîtrise de l’instrument, et de l’idiome. Rappelés à nouveau, ils nous offrent un moment de pur bebop, rajeuni comme il se doit par une escapade polytonale et des détours imprévus. Quel bonheur d’avoir pu les écouter ainsi, deux soirs de suite, pour cette rencontre inédite. On se prend à rêver d’une réédition : vous qui programmez les grands festivals d’été, je sais que votre ouvrage en cette fin décembre est bien avancé. Mais si vous avez, comme je le suppose, l’ambition d’offrir au public des bonheurs inédits, réfléchissez au plaisir que vous pourriez lui faire en accueillant une telle rencontre, propre à réinventer chaque fois l’intensité de l’instant.
Xavier Prévost