MATTHIEU CHAZARENC QUARTET Canto II – Cançon au Petit Duc, Aix-en-Provence Vendredi 26 mars.
MATTHIEU CHAZARENC QUARTET
Canto II – Cançon
Au Petit Duc, Aix-en-Provence
Vendredi 26 mars.
Sortie: 26/03/2021
Label : Cristal Records /Distribution Believe
CD Digipack & Digital
Matthieu Chazarenc (drums, percussions), Sylvain Gontard (bugle),Christophe Wallemme(contrebasse),Laurent Derache(accordéon), Sylvain Luc (guitare).
Matthieu Chazarenc CANTO II « Cançon » – YouTube
Pendant que le quartet de Mathieu Chazarenc se prépare à ce drôle de concert sans public mais “déconfiné”, retransmis sur une webtv, je ne peux m’empêcher de repenser à la disparition de Bertrand Tavernier, le “cinéaste cinéphile” qui aimait profondément la musique, sans esprit de chapelle, et le jazz en particulier dont il était un fin connaisseur. Il nous faisait voir et écouter le monde autrement dans ses films.
Arte a déprogrammé sa soirée pour diffuser l’un des derniers films de Tavernier La Princesse de Montpensier, dont la musique est de Philippe Sarde, devenu le compositeur attitré depuis que son mentor, Claude Sautet, dont Tavernier était l’attaché de presse, les avait présentés. Dans Les enfants gâtés de 1977, programmé en fin de soirée, que je reverrai après le concert, on entend quelque chose d’étonnant : de la musique baroque, bien avant Tous les Matins du Monde d’Alain Corneau, des arrangements sur la Sonnerie de Sainte Geneviève du Mont de Marin Marais (gambiste né au XVIIème siècle) que Tavernier avait confiés à un quartet de jazz, composé de deux saxophonistes John Surman et Johnny Griffin, deux contrebassistes Barry Guy et François Rabbath!
Mais au Petit Duc, tout est prêt pour le concert de “sortie” du CD Canto II : Cançon, enregistré en septembre dernier, dans une période pourtant peu propice (on s’en souvient), le deuxième volet d’une aventure commencée en 2018, avec la même équipe, triée sur le volet. Des complices qui partagent ce goût de belles mélodies populaires ancrées dans un terroir.
Rappelons l’importance de la scène aixoise du Petit Duc qui fait un travail formidable pour les artistes en leur permettant de jouer en live, de se retrouver pour faire leur métier tout simplement, ce qu’ils ont oublié depuis un an; et pour les internautes amateurs de musiques, comme pour moi, une façon unique de voir se dérouler un concert qui n’est pas un replay, ni une vidéo …
Le Petit Duc – Salle de concerts à Aix-en-ProvenceLe Petit Duc
L’album qui ne sera pas joué dans l’ordre ce soir, ce qui n’est pas mal en soi, sauf pour la chroniqueuse qui, ayant des soucis de connection, arrivera un peu en retard, présente onze compositions originales inédites du batteur dont un hommage à Marcel Azzola avec Place Jasmin et un autre à son sud-ouest natal Garona, porté par un chœur.
Jusque-là sideman confirmé, Matthieu Chazarenc a décidé de composer à son tour des ballades finement orchestrées aux riches harmonies, des chansons pas toujours douces, sans paroles, aux refrains et couplets qui enflent souvent en un crescendo final. « Quand on réveille le piano à bretelle, qu’on envoie la ritournelle, on se croirait au printemps et le ciel est toujours bleu »…
Comme une ronde à perdre haleine, ça danse et tourne, ça virevolte avec des changements de rythme incessants, les transitions entre les morceaux étant plus que subtiles. L’ensemble garde pourtant une grande cohérence et l’on se laisse emporter par une suite à la profonde respiration, où le temps se dilate ou se resserre comme les soufflets de la “boîte à punaises”.
Dès l’introduction, le décor est planté : Agen, la ville natale et la campagne alentour du Lot et Garonne revivent. L’enracinement dans les paysages du sud-ouest natal traverse la musique du batteur/coloriste qui parvient à faire passer sentiments et émotions dans le jeu collectif.
Ainsi, “Caganis” (le dernier né dans la famille) pose la couleur, place l’accent du sud d’entrée: un bugle solaire et un accordéon qui ne l’est pas moins, mêlent leur voix, sur le rythme martial d’un cliquetis de baguettes dans une évocation très rythmée.
Un bel échange entre les deux musiciens dans “Azur” où ils entrelacent leurs lignes de chant, alternant les soli. Pas vraiment méditatif, ce chant parfois mélancolique est induit par la texture soyeuse du bugle ou le jeu sur les lames de la “boîte à frissons”. Il peut soudain être traversé d’éclats plus vifs, suivant les rythmes qui s’emballent comme dans le final “Wild Call”.
Matthieu Chazarenc est visiblement ému quand il présente son équipe : il a choisi une instrumentation de qualité et un son acoustique. On sent une volonté délibérée d’imposer doucement sa matière enjouée et rebondissante. Une rythmique solide et élégante avec le contrebassiste Christophe Wallemme, au son chaud, mordoré qui prend toute sa dimension au gré des pièces, pose le socle sur lequel s’élèvent le chant velouté et ferme, aveu moins de la plainte que du désir, du bugliste Sylvain Gontard, aux volutes impeccablement déroulées, et de l’accordéoniste Laurent Derache qui plonge dans le son, enlaçant son accordéon, gonflant et dégonflant les soufflets. Chant et contrechant, l’accordéon s’emballe, le bugle l’a précédé ou le suit. Et on assiste à une vraie fête timbrique quand s’ajoutent les cordes pincées de Sylvain Luc.
Car les amis ont leur place dans cette musique, le grand Sylvain Luc est invité, illuminant chaque titre où il intervient, élargissant le champ sonore. Son insertion paraît évidente dès “Plus bleu que le bleu de tes yeux”, chanson de Charles Aznavour dont Matthieu Chazarenc fut le dernier batteur. Avec le guitariste qu’il retrouve souvent dans sa petite cave, à Paris, ils jouent à deux, improvisant un duo de guitare et cuillers/ boîte de confit comme ce soir! Un échange aussi percutant que tendre. Ces deux-là se sont trouvés et il font bloc, épaule contre épaule, inventant sur le moment leur musique.
On ressent l’évocation des lieux, des villages, des places où l’on fête l’été, où les musiciens accompagnent la danse et cela parle au bayonnais.
Un autre hommage est d’ailleurs rendu à l’accordéoniste Marcel Azolla, rencontré lors d’un concert à Vulaines sur Seine, dans les Yvelines, qui les avait encouragés à continuer. Cela deviendra “Place Jasmin”, la place principale agenaise, dédiée au poète Jasmin, en écho à Azolla, cet autre poète de l’accordéon.
Aux balais, mailloches, baguettes, et à mains nues…ou avec n’importe quel ustensile de sa batterie, Chazarenc, dans ces refrains tournoyants, sans débauche de percussions use pertinemment de tous les effets possibles, imprime une tension sur laquelle rebondit le son.
Fragile et lyrique, fiévreux, ce coloriste impose sa poigne et s’approprie ses musiques pour s’en faire une signature. Et dessine une histoire aux couleurs tendres, fraîches, vives, de ballades délicates en petites pièces qui groovent.
Le son est excellent, et les caméras du lieu volètent, intranquilles à se poser en long plan serré sur les solistes tant l’interplay est manifeste. La circulation est souple, dans ce tramage aéré, fluide qui obéit à un authentique travail de placement et de répartition des rôles.
Les regards et les sourires se libèrent au fur et à mesure de l’échange, quand les musiciens sont dégagés de la pression initiale. Cette simplicité apparente, sans recherche d’effets virtuoses, est une authentique déclaration d’amour à une musique populaire à laquelle on ne reste pas insensible. C’est le coeur qui parle, chante, explicitement, des qualités qui jouent en faveur de ce Canto II.
Ainsi se termine cette soirée : apaisée, mais enivrée de musiques, celles des films de Tavernier, entendues sur France Musique dans la Ronde de nuit **, et grâce au Petit Duc, à Myriam Daups, Gérard Dahan et leur équipe technique, à la musique convaincante et revigorante de Matthieu Chazarenc dont le nom fleure bon ses origines sudistes. Et ce n’est pas un vain compliment dans la bouche ou sous la plume d’une méridionale. Une dernière preuve?
Pour le final, une citation du seul thème musical de “Se canto, que canto”, considéré comme l’ hymne de ralliement à l’Occitanie, signe de reconnaissance pour ces occitans fiers de leur passé et de leur langue. En voici le premier couplet:
Se canto, que canto, Canto pas per iéu, Canto per ma mio Qu’es aluen de iéu. |
S’il chante, qu’il chante, Ce n’est pas pour moi, Il chante pour ma mie Qui est loin de moi. |
Un chant qui éclaire ainsi le titre choisi de l’album. Tout est dit.
Sophie Chambon
*Tracklisting de Canto II :
01. Cançon 3:59
02. Caganis 03:15
03. Au Mont d’Or05:11
04. Place Jasmin – Pour Marcel Azzola 02:16
05. Villa verde 04:13
06. Azur03:12
07. Les terrasses du Palat05:09
08. Après la nuit03:13
09. Wild Call03:53
10 Plus bleu que tes yeux02:44
11. Vargas03:54
12. Garòna04:49
**N’oubliez pas de lire le bonus de Stéphane OLLIVIER sur « Round Midnight : le film qui aimait le jazz ». Mais quand on évoque jazz, blues, cinéma et Tavernier, citons les trois films coproduits avec les Américains, Mississipi Blues en 1983 avec Robert Parrish, Round Midnight de 1986 (musique confiée à Herbie Hancock qui obtint l’oscar de la meilleure musique de films) avec l’immense sax ténor Dexter Gordon, pour le rôle principal, Dale Turner inspiré de deux figures majeures, Lester Young et Bud Powell ( d’après La danse des infidèles de Francis Paudras) et Dans la brume électrique (In the electric mist) avec l’acteur Tommy Lee Jones qui a collaboré au scénario (2009) d’après James Lee Burke, film d’atmosphère en Louisiane, avec la superbe B.O aux thèmes cajun de Marco Beltrami.
Sans oublier que Tavernier aimait Louis Sclavis à qui il avait confié les thèmes de ça commence aujourd’hui en 1999, Henri Texier pour celle de Holy Lola en 2004. Et Ron Carter s’était emparé de la B.O de La Passion Béatrice en 1987, film aujourd’hui introuvable…