Jazz live
Publié le 27 Jan 2025

Médéric Collignon, Baptiste Boiron et quelques empêchements

De la tournée bretonne de ce duo, nous avons vu deux concerts, l’un d’eux dans le cadre du festival de Port-Louis Jazz Miniatures dont nous avons manqué la deuxième journée consacrée au duo Hyperballads (Geoffroy Tamisier / David Chevallier) et au trio Oko (Fidel Fourneyron, Thibaud Soulas, Antoine Paganotti).

Familier des domaines des musiques dites classiques et contemporaines autant que du jazz, le saxophoniste et compositeur Baptiste Boiron s’est déjà fait connaître dans ces pages pour son trio “Là” créé en 2020 avec Frédéric Gastard et Bruno Chevillon et son quintette “Joies multiples” créé en 2023 avec Antonin Volson, Hélène Labarrière, Matthieu Naulleau et Médéric Collignon. Depuis son installation à Melrand dans le Morbihan, Baptiste Boiron a élargi son domaine d’expression à l’étude de la culture bretonne (musique, bombarde, danse, langue) qui l’a conduit à imaginer un duo avec la chanteuse traditionnelle Marthe Vassalo .

Sa collaboration avec Médéric Collignon est d’ailleurs plus ancienne que ce duo qu’ils promènent tous deux en Bretagne depuis quatre jours entre Côtes d’Armor et Morbihan, témoigne de cet ancienneté son apparition en 2013 dans l’émission sur France Musique d’Anne Montaron À l’improviste .

C’est néanmoins à des retrouvailles que Baptiste Boiron invitait ces derniers jours Médéric Collignon, qu’il est nul besoin de vous présenter (rendez-vous ce 30 janvier au Théâtre du Garde-chasse des Lilas pour la restitution scénique de son nouvel album, l’ébouriffant “Artis Thesis” ). Nous avons assisté au deuxième de ces concerts, chez Boiron, dans son village, au Local de Melrand, salle destinée à l’accueil des artistes locaux.

Aucune partition. Nos deux improvisateurs privilégient l’impromptu, sans dogmatisme. La mélodie n’est pas interdite, ni la citation. Mais la mélodie n’est ni un carcan, ni même un passage obligé, et ne doit pas constituer une impasse. Le son d’abord et tout se développe autour d’un triangle (et même deux) de tailles différentes, sur lesquels Collignon esquisse un son, des variations autour de ce son, rythmiques, timbrales, à proximité d’un des micros disposés sur scène… connectés à une table de sonorisation en de bonnes mains qui assureront la qualité particulière de ce concert. Collignon approche sa bouche à l’angle du triangle, en fait varier l’ouverture, y mêle progressivement sa voix dont il jouera plus que du bugle posé sur la grande table qui sépare les deux artistes de la salle. « Bidules » est-il précisé dans les crédits de l’émission d’Anne Montaron et il y a beaucoup d’autres « bidules » sur cette table où le cornet posé servira peu comme tel, le plus souvent soufflé sans embouchure avec un son de shakuhachi ou l’embouchure utilisée, comme un « bidule », désolidarisée de l’instrument dont en principe elle dépend. Et du côté de Baptiste Boiron, c’est un peu pareil, à commencer par des bols tibétains qu’il fait sonner à proximité d’un autre micro, puis qu’il remplit de boules sonantes chinoises, y ajoutant divers autres objets tels le couvre-bec de sa clarinette.

Collignon accorde la préférence à sa voix, qu’il module, modèle, malaxe, des harmoniques suraigües du chant diphonique à l’extrême grave et aux effets de beatbox, la filtrant en outre par le biais d’un boîte de delay qui, grâce à différents potentiomètres, lui permet de déplier, replier et dupliquer le timbre, les hauteurs, les rythmes et les séquences entières comme autant d’origamis.

Boiron joue acoustique : idiophones préconçus où improvisés, flûtiaux, saxophone jouet, anches doubles désolidarisées d’une bombarde qui rencontrera un accueil enthousiaste lorsque Boiron en accordera quelques notes à cette salle habituée au son du couple biniou-bombarde, plus les saxophones ténor, alto et soprano sur lesquels il alterne phrasés conventionnels trahissant sa pratique du jazz et des techniques étendues héritées de la musique contemporaine, plus le Treujenngaol (ou tronc de chou) clarinette au clétage ancien simplifié et modifié par le sonneurs breton pour privilégier le jeu dans un nombre de modes réduits en se rapprochant de l’intonation non tempérée des chanteurs traditionnels.

Et tout cela s’articule d’un “pupitre” à l’autre par la grâce d’une écoute mutuelle en une longue variation qui ne s’interdit pas la rupture – lorsqu’une idée a été menée à son terme ou pour le goût de la surprise –, ni la romance onirique, ni l’humour tendre ou satirique et il y a parfois chez l’un et l’autre quelque chose du clown Grock ou de Harpo Marx.  

L’écoute du Local est gourmande, canaille, bon enfant… Les visages et les corps s’abandonnent au rêve ou rient aux éclats, applaudissent à tout crin, en redemandent et le spectacle se terminera au bar où l’on se pressera autour des artistes pour faire durer le plaisir dans l’échange parlé.

Le lendemain, c’est le festival Jazz Miniatures de Port-Louis qui accueille le duo dans la Citadelle, imposant et austère édifice militaire fortifié au 16e et 17e siècle et destiné à défendre l’accès de la rade de Lorient. Rendez-vous est donné avec le duo dans la salle de l’Arsenal, immense parallélépipède de pierre surmonté d’une impressionnante charpente, et auquel on n’accèdera qu’après avoir fait valoir son invitation et suivi un cheminement obligé à travers les différentes cours de la citadelle, le tout sous les trombes d’eau en bordure de la tempête Eowyn qui ravage les Iles Britanniques. « Prévoir des vêtements chauds, salle non chauffée » prenait soin de nous avertir le programme.

Ambiance donc différente de celle du Local de Melrand. En guise de bar, une distribution de boisson chaude, public à la fois plus disparate et plus âgé – en gros, l’âge moyen du public du jazz aujourd’hui. La différence vient aussi de l’espace et de la sonorisation, plus sommaire. Là où, hier, les musiciens s’étaient réjouis de disposer d’une sonorisation performante, ici l’acoustique du lieu est un atout, ce qui incite Boiron à ne rejoindre son compère qu’une fois le concert commencé, se faisant deviner d’abord hors les murs avant de pénétrer dans la salle et de rejoindre la “scène” en contournant le public par l’arrière en soufflant dans son saxophone ténor. Rien n’étant écrit, rien n’est prévisible, sinon le produit de leurs deux personnalités, le “matériel” dont ils usent et la qualité de leur écoute réciproque, avec cette lancinante citation de Moonlight in Vermont qui traverse un moment leur récital comme un fantôme pluvieux. Écoute sérieuse, silencieuse, attentive, respectueuse, emmitouflée et cependant applaudissements chaleureux, manifestations d’enthousiasme d’un public qui entoure les artistes, les interroge, riant rétrospectivement de ce dont il n’avait osé sourire jusque-là que sous cape.

Les Jazz Miniatures s’étalent toujours sur deux ou trois jours et ce dimanche 26 janvier, se poursuivait en principe à la Criée de Port-Louis avec deux formations à la mesure des moyens de l’association Hop’n Jazz, le duo Hyperballads (Geoffroy Tamisier au bugle, David Chevallier à la guitare et au théorbe) et le trio Oko (Fidel Fourneyron au trombone, Thibaud Soulas à la contrebasse et Antoine Paganotti à la batterie). Hélas, à la tempête Eowyn devait en succéder une autre à laquelle préludèrent quelque rafales suffisamment puissantes pour inquiéter ma promenade dominicale en rase campagne, annonciatrices sous un ciel pourtant radieux d’une nouvelle tempête baptisée Herminia par les services météorologiques. Et si l’idée de se faire emporter dans les airs par la fougueuse Herminia avait quelque chose d’assez tentant, l’idée de trouver sur ma route du retour quelques et arbres abattus et de faire dans la tourmente la petite heure de route séparant Port-Louis de ma campagne, me retint à l’abri de ma maisonnette où je commençais à écrire ces lignes à l’heure où quelques dizaines de kilomètres plus au sud commençait le concert. Avec d’autant plus grands regrets que le temps restait au calme. Mais bientôt l’ouragan se leva avec une telle force que je terminai ce papier à la lueur d’une lampe à pétrole, renonçant même – mon ordinateur étant tombé à court de batterie – à ce qui avait été mon intention première de rédiger un compte rendu imaginaire à partir de ce que je sais des musiciens dont je manquais le concert. Espérant aussi que nos amis Collignon et Boiron étaient parvenus sains et saufs sur les lieux du quatrième et dernier concert de leur tournée, la Manoir de la Roche Léau dans les Côtes d’Armor. Franck Bergerot