Météo – jazz & aventures sonores (1)
Pour bien débuter un festival ami des aventures sonores, quoi de mieux qu’un concert qui n’était pas au programme ? Keith Tippett ayant annulé quelques jours auparavant, c’est Pat Thomas, comme lui pianiste et comme lui britannique, qui ouvre le bal.
21 août
Théâtre de la Sinne
Pat Thomas solo « Thelonious Monk »
Pat Thomas (p)
On aime cet hommage à Thelonious Monk, qui sonne à merveille dans ce théâtre plus haut que large et faisant fonction de machine à remonter le temps. Il ouvrit ses portes en 1868 et semble n’avoir pas changé depuis. Ce premier set donne le ton de la semaine, celui d’une expression sans entraves, la singularité en fil rouge. Il restera aussi pour cet auditeur comme l’un des concerts marquants de cette édition. Le pianiste fait des allers-retours incessants entre tradition et avant-garde, plongeant par exemple de la main gauche dans l’histoire du jazz, stride, ragtime et un drive des plus assurés tandis que la main droite prend la tangente et des libertés avec l’orthodoxie. La musique semble être un prolongement des mouvements du corps de l’artiste, autant que de mains ne connaissant ni l’hésitation ni flottement d’inspiration. Les thèmes sont énoncés avec clarté, puis surgissent de loin en loin. Pat Thomas s’éloigne de la lettre et ne s’embarrasse pas de déférence, livrant une relecture atypique de ces pièces tant de fois entendues. Imiter Monk n’aurait pas de sens; autant prendre le contre-pied. Ce faisant, il fait honneur à l’état d’esprit des originaux, à la personnalité insécable du taiseux de Rocky Mount. D’un geste il fait comprendre que les partitions ne sont que l’une des données de l’équation. La maestria dont il fait preuve est d’autant plus remarquable qu’il s’agissait d’un set de remplacement. Mais Thomas connaît ces morceaux comme sa poche, et tournait récemment avec un hommage à Duke Ellington. La pianiste Cécile Cappozzo, présente parmi les spectateurs et qui publiera d’ici la fin de l’année un disque sur Ayler Records, en sort enchantée et inspirée, elle qui compte Mal Waldron, Cecil Taylor et Ran Blake parmi ses musiciens de chevet. Elle peut désormais ajouter Pat Thomas à cette liste.
David Murray Infinity Quartet & Saul Williams
David Murray (ts, bcl), Saul Williams (voc), Orrin Evans (p), Jaribu Shahid (b), Nasheet Waits (dm)
C’est ensuite l’Infinity Quartet de David Murray, auquel se joint, comme sur le disque « Blues for Memo », le poète et performeur Saul Williams : diction ciselée, flow impeccable et propos percutant. La vigueur initiale du groupe s’accommode assez mal de l’acoustique du lieu. Peut-être conscients de cela, les musiciens veillent par la suite à éviter les débordements, ne se lâchant que sur un final enlevé. Ces jazzmen rodés à toutes les situations exécutent rondement les compositions entendues sur l’album. On sait ces messieurs capables d’embraser tout matériau à leur disposition. Or, le quartette est demeuré en sous-régime, à commencer par un David Murray économe, surtout si l’on pense à ses exploits passés, ou même à une session récente en compagnie de feu Geri Allen et Terri Lyne Carrington. Le ténor et clarinettiste y va bien de quelques solos mais veille surtout à la mise en valeur de Saul Williams, qu’il semble tenir en haute estime et se révèle comme le cœur battant de la formation. Ses vers déclamés, Williams s’écarte régulièrement des projecteurs, et on goûte au jeu d’Orrin Evans, désormais membre de The Bad Plus, du toujours fringant Nasheet Waits et du solide Jaribu Shahid. A retrouver le 6 février 2019 à Sons d’Hiver – Maisons Alfort.
David Cristol
Photo : Petra Cvelbar