Monte Carlo : Chucho et ses sortilèges cubains
Elle attend dans la salle que le son du quartet ait été calibré. Lorsque Chucho égrenant ses mille notes demande de dos au parterre « L’invitée est-elle arrivée? » son épouse lui ayant répondu par l’affirmative, Yilian Canizares grimpe sur scène prestement, la boîte rouge vif de son violon entre ses mains. Alors passant devant le grand piano à queue elle s’adresse à Chucho « Maestro, je suis là, je suis prête! » En chaque occasion la jeune violoniste lui donnera du « Maestro »
Chucho Valdes (p), Reiner Elizalde (b), Georvis Pico Milian (dm), Pedro Pablo Rodriguez per) + invitée : Yilian Canizares (vln)
Monte Carlo Jazz Festival, Opéra Garnier, Monaco, 30 novembre
C’est latent, On le sent plus calme Chucho. Moins désireux de démonstration à tout prix sans doute, certain de son art, de la qualité de son jeu de piano. À coup sûr concentré sur de brillantes expositions livrées sur le clavier. Et « partageur » si l’on osait l’emploi de ce qualificatif hybride. Au bout d’une introduction piano/basse le voilà déjà qui laisse libre court à un gros bon bout de duo de percussions, invitation bien cubaine à se mettre directement sous la dent, l’oreille un climat bien en température « Caliente !» (Rumbon). Ceci dit, Chucho sur son instrument, il lui reste de l’envie bien sûr de dire son fait musical propre. L’occasion d’une longue séquence de piano improvisé: il s’y livre sans retenue à une série de figures limite atonalité, de clusters également, ces frappes sèches, chirurgicales comme autant de petits exercices de virtuosité traités (à la Martial Solal ?) en mode quasi sarcastique (Son XXI) Le piano, Chucho comme tous ses compatriotes musiciens de Cuba, l’a découvert, l’a appris dans un cursus logique question histoire personnelle d’intériorisation de l’instrument. Avec un exercice obligé dès l’enfance : la mise en pratique des canons du classique. Aussi ne rencontre-il sur scène aucune appréhension à aborder 4 variations sur des oeuvres de Mozart, Sauf que, elles revivent alors, chaudes, vibrantes sous les doigts immenses et experts du pianiste de La Havane. Avec même, instillés, injectés certains accents sur les lignes mélodiques mozartiennes quelque peu tropicalisés dès lors que cordes de basse et peaux des tambours se joignent au mouvement sur des tempos métissés de rumba. Pourtant que ces airs chauds contiennent (d‘accents) de naturel! Chucho joue sur le plaisir du décalage, de la transformation in vivo.
Le tambour bâta, tambour rituel venu d’Afrique joué tout en roulements sur une fascinante tournante de mains sonne le temps venu de repasser par la tradition.
Moment d’intensité maximale où là rythmique dans son entier (mention spéciale au bassiste habituel pourtant installé à Madrid désormais, l’excellent Reiner Elizalde) emboîte le pas cadencé du percussionniste. Alors, alors seulement entre en jeu Yilian Canizares. Pour un morceau, un seul. Une trame de musique cubaine traditionnelle jouée dans son jus rythmique, dans ses rondeurs harmoniques, soudain se tend sur les cordes du violon. Puis explose dans une myriade de notes lâchées dans l’enceinte de l’Opéra.
Chucho fera également état du swing, épisode jazz sur un standard (But Not for me). Distillera beaucoup de sensibilité dans son jeu, toucher délicat sur le clavier, émotion en effluves le temps d’une longue introduction en piano solo -au passage, on attend avec impatience un enregistrement solo de sa part « Je vais même en enregistrer plusieurs » confiera-t-il plus tard. Et bien sur, cerise sur le gâteau, le concert se terminera par « un tango blues comme on le joue chez moi, à Cuba » Chucho Valdes aime à faire savoir, à rappeler qu’il est toujours un « maître » en matière de musique afro-cubaine. Le public monégasque, comme d’autres dans cette tournée européenne, a pu le vérifier in situ. Et s’en régaler sous les ors scintillants de l’Opéra Garnier.
Robert Latxague