Nantes: Festival Variations (3/3)
Après un samedi qui nous aura menés vers d’autres horizons, ce dimanche de clôture était marqué par deux événements plus jazz, avec les prestations de Dan Tepfer et Sylvie Courvoisier. Impossible, néanmoins, de ne pas dire d’abord un mot de l’incroyable performance qui se déroulait de midi à 20 heures à la bibliothèque cosy de l’Institut des études avancées de Nantes, avec vue panoramique sur la Loire : Nicolas Horvath y interprétait l’intégrale des pièces pour piano d’Erik Satie, les enchaînant dans un continuum absolu, sans même prendre le temps de souffler ou de boire un verre d’eau. Puissance des œuvres, investissement total de l’interprète, concentration absolue du public, le tout dans une ambiance intime et décontractée – soit ce qui manque si cruellement d’ordinaire aux concerts classiques : même en n’y passant que vingt minutes, l’expérience avait quelque chose de vertigineux.
À 15 heures, au Lieu Unique, une occasion rare nous était donnée d’écouter le programme « Acoustic Informatics » de Dan Tepfer, dans lequel le pianiste franco-américain réconcilie ses talents de musicien-improvisateur et son esprit scientifique d’ancien étudiant en astrophysique. Imaginez un pianio – le Disklavier de Yamaha – pouvant non seulement être joué de manière traditionnelle, mais également être piloté par ordinateur : une sorte de player piano du XXIème siècle, en somme, où les rouleaux perforés auraient été remplacés par une interface MIDI. Pour cet instrument bien particulier, Dan Tepfer a composé des algorithmes qui le font réagir en temps réel à ses improvisations : en d’autres termes, lorsque le pianiste joue une note, le piano en joue en réaction une ou plusieurs autres, selon une logique prédéfinie (par exemple : une cascade descendante de neuvièmes mineures), provoquant à son tour une réaction de l’improvisateur et ainsi de suite, dans un étourdissant dialogue de l’homme avec la machine. En France, Tepfer avait donné un premier aperçu de cette démarche radicalement novatrice lors de son concert au Festival Radio France Occitanie Montpellier 2016, auquel mon collègue Xavier Prévost a dédié un article détaillé. Un an et demi plus tard, le projet s’est enrichi d’une fascinante dimension visuelle, la musique jouée sur le Disklavier étant « retranscrite » en temps réel par des formes géométriques apparaissant sur un écran de projection, dévoilant par là ses ressorts sous-jacents. Je sais bien, sur le papier, tout cela paraît effroyablement geek et aride ; et pourtant, il en résulte une merveilleuse musique des sphères, qui ne fait que prolonger la grande tradition des compositeurs qui, à l’instar de Bach, ont exploré dans leurs œuvres les liens mystérieux entre harmonie et rapports mathématiques.
Deux heures plus tard, comme pour prendre le contre-pied de cette démarche hautement conceptuelle et pourtant si évidemment musicale, Sylvie Courvoisier renversait la table à la tête d’un trio inédit constitué de Vincent Courtois au violoncelle et de l’étonnant batteur suisse Julian Sartorius. Après un week-end d’explorations à haute teneur minimaliste, le jazzfan revenait non sans une certaine jouissance sur un terrain à lui davantage familier, celui du jaillissement pur de l’improvisation. Ce qui n’empêcha pas ce trio d’inspiration très free de conclure avec brio sur un groove entêtant, précis, hypnotique… minimaliste ? Pourquoi pas, après tout !
Pascal Rozat
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