Nebula Machina (Jérôme Fouquet-Leïla Soldevila-Ugo Boscaïn) au Sunside
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Au Sunside le groupe Nebula Machina (Leïla Soldevila-Jérôme Fouquet-Ugo Boscain) a produit une musique rare, aventureuse, passionnante.
Leïla Soldevila (contrebasse), Ugo Boscaïn (clarinette-contrebasse), Jérôme Fouquet (trompette), Sunside, le 9 octobre 2019
Avant la musique, il y a le silence. Mais entre le silence et la musique , que trouve-t-on? Tout un monde subtil de frottements, de craquements, de grondements, d’infra-mélodies, offrant aux musiciens aventureux de belles terres à arpenter. C’est donc dans ces espaces de landes et de marais que se retrouvent Leïla Soldevila, Ugo Boscain, Jérôme Fouquet. Chacun explore les limites de son instrument, bruits de succion à la trompette, grondements à la clarinette-contrebasse (drôle et rare instrument qui ressemble à une clarinette basse dont on aurait étiré le col), râclements à rebrousse-poil de l’archet sur les cordes de la contrebasse. Dans cet univers bruitiste, des passerelles peu à peu s’ébauchent. On voit se confirmer les affinités naturelles entre clarinette-contrebasse et contrebasse, et Leïla Soldevila prolonger à l’archet les grognements dans l’hyper-grave d’Ugo Boscaïn.
Mais d’autres liens se tissent, parfois plus inattendus, par exemple entre clarinette contrebasse et trompette, surtout quand Jérôme Fouquet utilise ses sourdines. Peu à peu, insensiblement, tous ces sons un peu hirsutes s’harmonisent. Ils finissent par former une sorte de gros nuage qui donne son nom (bien trouvé) au disque du trio: Nebula Machina. La musique est mouvante, instable , évolutive.
On a l’impression d’assister à un phénomène de germination, comme si nous étions dans l’humus de la musique, juste avant l’éclosion d’une mélodie. Et c’est dans l’exploration de ce voisinage avec la mélodie que cette musique touche le plus. Des bribes de mélodie, en effet, flottent en suspension dans l’air et viennent par instant percer le nuage bruitiste élaboré par les instrumentistes. Leïla Soldevila, ou Jérôme Fouquet prennent en charge ces bribes de mélodies.
Jérôme Fouquet fait entrer des fragments éclatés de style wah-wah dans son jeu, ou développe un jeu liquide en ne vidant pas les clés d’eau de son instrument, et ces clapotis de trompette lui permettent d’aller sur le terrain d’Ugo Boscaïn à la clarinette-contrebasse. J’écris ces lignes en écoutant le disque Nebula Machina, paru sur le label slovaque Hevhetia (dont Pascal Anquetil , en introduction du concert, a rappelé l’importance, avec plus de 250 artistes à son catalogue en dix-huit ans d’existence). A la fin du concert, Ugo Boscain passe au piano, joue des séries d’accords répétitifs et hypnotiques du genre gamme par ton sur lesquels Jérôme Fouquet improvise de belles figures. Trois improvisateurs virtuoses pour une musique exigeante et d’une rare profondeur.
Après ce concert, nous décidons de descendre les quelques marches qui conduisent au Sunset. Quelques marches pour changer d’univers. En effet, c’est une musique très différente qui se déploie. On peut y écouter le trio du guitariste Lage Lund, avec cette attitude caractéristique chez lui qui consiste à fixer l’horizon d’un oeil halluciné quand il chorusse. Lage Lund a déjà une solide réputation chez les guitaristes. Son style, que je découvre en direct, n’est pas si lointain de celui de Gilad Hekselman, écouté en ces mêmes lieux il y a deux ans pour un concert mémorable. Mais le jeu de Gilad Hekselman me semble plus fin. Lage Lund a un jeu en arpèges dilatés qui me rappelle ce que fait Mark Turner au saxophone, et une manière assez personnelle d’alterner notes cristallines et notes saturées, vrillées, graillonnantes dans une même phrase. Ses compositions me paraissent encore un peu vertes, mais il me convainct totalement lors d’une magnifique version de You go to my head, où le thème est évoqué en filigrane, par petites séquences de notes, avec subtilité et délicatesse.
Mais parmi les trois musiciens du trio, c’est surtout le contrebassiste Ben Street qui retient mon attention. Ses notes ont une autorité impressionnante. Quand il prend un solo, son discours est véritablement passionnant, avec cette manière de se transformer en homme-orchestre, de faire entendre deux voix, trois voix, plus encore, en individualisant chaque note. Voilà un musicien que je réécouterai avec plaisir.
texte : JF Mondot
Dessins : AC Alvoët (autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire.com expositions en cours au Sunside et Sunset, et au Château d’Ardelay, Les Herbiers)