New Morning: Belmondo-Luc, scènes de jazz théâtre
Vingt ans. Vingt années depuis le premier album enregistré ensemble, Ameskerri et ce 2.0 qui, dans l’intitulé, annonce déjà quelque chose de la musique offerte en duo. Pourtant l’esprit initial demeure. Quelque chose comme une complicité manifeste, affichée pour choyer, flatter la mélodie. Et rendre grâce à la substantifique moelle du jazz de toujours en toute simplicité…apparente.
Sylvain Luc (g), Stéphane Belmondo (tp, bu)
Le New Morning, Paris, 14 novembre
Plus ou moins assis -car de par l’intensité, l’elan, le mouvement donné dans l’expression libre de sa guitare Sylvain Luc esquisse des gestes de danse en battement de jambes et de pieds improvisés – sur des tabourets hauts ils livrent le produit de leur échange. Séquences de thèmes exposés de concert, à deux. Suivies de parties « à toi à moi » comme l’on dit non sans une certaine tendresse à Bayonne, ville natale du guitariste, à propos du maniement « d’un ballon ovale destiné à bien vivre » dans le club local, l’ “Aviron”. Soit une démonstration de rigueur rythmique de sa part -« la maîtrise du rythme reste la marque des grands en matière d’improvisation dans le jazz » selon Bernard Lubat, autre complice- ou ces étonnantes percées, ces échappées belles fulgurantes sur le manche de la guitare, moments de doigtés, de position de mains hors norme. En parallèle, à son tour de soliste venu, le cadet des Belmondo (l’ainé, saxophoniste, tout à l’écoute figurait bien sur dans la salle) donne à son tour une sonorité pleine, travaillée dans des articulations très claires par laquelle les mélodies se dégagent naturellement. Car là sans doute, dans cette alternance quasi mécanique de précision, se situe la caractéristique de cette formule de duo. Lancés en solo, la trompette ou le bugle bénéficient de l’appui rythmique ou harmonique de la guitare. L‘inverse n’est pas vrai, pas tangible: dans le développement d’un chorus les cordes du guitariste se trouvent livrées à elles même. Sans garde fou. D’ailleurs à l’observer de près écouter son compère dévaler seul le manche de son instrument, l’expression du visage de Stéphane Belmondo, souriant voire porteur d’étonnement, laisse deviner un questionnement intérieur du type « Mais le Sylvain, où est-ce qu’il va chercher tout ça ?” Dans cet esprit du jeu, de la surprise, du défi comme ressort de l’expression d’une musique vivante autant que du plaisir à jouer face au public, les deux musiciens se livrent également à quelques drôles de parties de cache cache. Devinette sur le prochain thème –Stephane Belmondo lui se plaît à parler de chansons- à interpréter. Ou jeu de pistes à partir d’introductions plutôt transfigurées, masquées pour trouver quelle sera la la réalité formelle du morceau choisi. En ce sens la version live, scénique, du matériau créé pour le nouvel album (2.0, Naïve/Believe) relève aussi d’un mode jazz théâtre. Dans lequel Sylvain Luc, espiègle excelle à créer des points de fixation, des espaces de rendez vous.
Un premier set avec en épigramme une composition du guitariste, Les yeux dans l’eau, mano à mano intime, serré, guitare/trompette histoire de célébrer une écriture limpide. Épisode cloturé au travers d’une « chanson » donnée pur feeling de Stevie Wonder. Une deuxième partie marquée par des interventions plus longues, plus étirées dans l’espace telle celle sur Joey’s smile signée Stéphane Belmondo occasion d’une sortie au bugle dessinée à touches softs, soyeuses. Ou d’un African Waltz du guitariste, tout en découpes savantes. Belmondo autant que Luc sont, on le sait, d’habile faiseurs de mélodie. Donc d’émotions à partager. Sur scène, à la vue de chacun, le petit théâtre jazz fonctionne avant tout via la complicité, l’écoute mutuelle. L’envie évidente de (se) faire/donner du plaisir.
Robert Latxague