Jowee Omicil au New Morning
Le départ d’un concert concept voyage, le déclic de cette musique aspirant à l’affichage coloré d’une liberté totale, le musicien haïtien vêtu sur scène de clair obscur le fait vivre en live tout de suite dans un New Morning empli à ras bord via une une exposition instantanée très libératoire.
Par Robert Latxague
À urne répétition sous forme de slogan sur le nom de Bois Caiman, lieu emblématique de la révolte des esclaves de Hispaniola, vieille appellation d’Haïti, succèdent les traits tendus de la clarinette basse. Via son souffle et dans ses mains les instruments vont défiler. Mais déjà le décor sonore est posé. Vient alors un appel scandé-lancé au travers des aigues du sax soprano. S’installe une polyrythmie très expressive sous l’impulsion des deux batteries. Les tenants des claviers échangent leurs instruments. Il y a de la musique, et du spectacle aussi, pour les yeux. Jowee Omicil, d’un ténor joué avec un son profond, ponctué de quelques pics de tension, épaissit le climax. C’est parti pour durer. Ces variations, ces ruptures évocatrices tendront le fil de l’histoire contée sans arrêt notoire plus d’une heure durant. Sur scène, fort d’une densité instrumentale notoire mise entre les mains d’un combo créole judicieusement choisi, le multi-instrumentiste haïtien retrace le propos de son album “Bwa Kayimlan Ceremony”.
On notera entre autres temps forts une relance en formule courte serrée à l’alto tandis que les deux batteries appuient – avec l’effet de tambours surtout lorsque Arnaud Dolmen rejoindra le groupe pour le second set – la rythmique toute en découpe. On se retrouve ainsi plongé dans l’africanité revendiquée (des racines) du jazz. On revient, par flashbacks interposés, à l’époque de l’affirmation militante « black power » du free jazz. Sous le vent de l’improvisation partagée, la musique passe et repasse, traverse en zigs zags les lignes mélodiques et/ou rythmiques. Chaque instrument est acteur, partie prenante directe d’un voyage ancré dans l’histoire de la terre, de l’île d’origine du leader, soumise depuis toujours, on le sait, à des tensions politiques et sociétales. Dans l’histoire également de cette musique « créolisée », jazz avec voix, cris, mélodies lâchées en échos répétés. Au long de quelques épisodes supplémentaires de claviers mis en avant, séquences à dominante électrique et acoustique en trames mêlées sur fond de percussion, on retrouve le terreau originel si riche en couleurs des musiques caraïbes. Le ténor de Jowee Omicil y résonne en ornements puissants, cuivrés à point.
Le sax dans tous ses états demeure bel et bien le point d’ancrage. Au final, dans une coda que l’on n’avait pas forcément vue venir, les éclats de soprano autant que la polyrytmie nous font entrer naturellement dans le rituel exacerbé de la danse. On parlait de « free » à propos du jazz tout à l’heure : Jowee Omicil revendique aujourd’hui un tel héritage. Pour ceux qui l’ont déjà vécu flotte alors l’ombre de Pharoah Sanders, de l’Art Ensemble of Chicago ou les transes de Charles Lloyd. Au bout du bout, au son des onomatopées « parlées-chantées » en créole, on retourne in fine en Haiti. La boucle est bouclée.
Jowee Omicil (ts, as, ss, fl, cnt, perc, elp, voc), Jonathan Jurion, Randy Kerber (elp, p, clav), Jeandah Manga (elb), Yoan Danier (dm), Franck Mantegari (dm) Arnaud Dolmen (dm, perc)New Morning, Paris, 23 janvier.