Olé ! Paco y Chick de concert à Vitoria
Au sortir d’un salut général en guise d’adieu au public, plein centre de la scène, Chick Corea tend ses bras vers les spots de lumière et esquisse un pas de danse flamenca. Farru le bailador de la célèbre lignée des Montoya « Farruco » aussitôt tend tout son corps, met en route sa gestuelle de force et de sensualité pour lui donner la réplique. Le public déjà en surchauffe monte dans les tours d’une émotion plus plus plus. Tous deux, finissent quasi cheek to cheek tel un couple de danseurs « puro flamenco » dans l’écho de milliers de palmas, les mains et le cœur du flamenco…
Festival de Jazz de Vitoria / Gasteizko Jazzaldia
Tom Harrell (tp), Wayne Escoffery (ts), Dany Grisset (p), Ugona Okegwo (b), Jonathan Blake (dm)
Brandford Marsalis (ts, ss), Joey Calderazzo (p), Eric Revis (b), Justin Faulkner (dm)
Antonio Sanchez (dm), Dave Binney (as), Marc Brewer (b), John Screet (p)
Chick Corea (p, el p, keyb), Tim Garland (ts, ss), Charles Altura (g), Christian Mc Bride (b, el b), Marcus Gilmore (dm), Luisito Quintero (perc)
Paco de Lucia (g), Alain Oerez (el b), Antonio Serrano (keyb, hca), Antonio Sanchez (g), David de Jacoba (cante), Israel Suerez « El Piraña »(cante), Antonio Fernandez Montoya « Farru »
Climat brulant dans la capitale de la Communauté Autonome d’Euskadi, tendance à l’orage et présence du jazz dans la ville cinq jours durant pour la 37 e édition du festival, l’un des trois du Pays Basque côté espagnol (Getxo et Donosti/ San Sebastian se tiennent aussi en juillet)
Académique ou pas
Avec lui on toucherait presque à l’esprit d’une sorte d’académie du jazz, bien vu, bien fait, bien joué. Tout y est, tous les ingrédients de la qualité se doivent d’y figurer. A commencer par les caractéristiques du jeu du leader, sonorité ronde et franche de la trompette, plus le sens de la nuance et toujours la justesse, le bon choix dans les dans les inflexions sonores. Et comme pour magnifier en creux un tel savoir faire instrumental de la part de Tom Harrell, immense trompettiste mais personnage toujours aussi extatique, leader physiquement immobile, le ténor de Wayne Escofferry, physique et gueule carrée de quarter back se plait à cracher au besoin des stridences, des doubles sons épais, son lot d’harmoniques sur-boostées, bref un fracas d’acidité faite cuivre.
Qui se cache vraiment derrière la silhouette de Brandford Marsalis ? Un musicien bien sur, un saxophoniste également, oui. Sauf qu’à l’observer live le vocable de caméléon lui colle à la peau. Caméléon au sens où un acteur de théâtre change de ton, modifie ses répliques en fonction du personnage ou du répertoire abordés. Sur les planches du Polideportivo (Palais des Sports), son droit et tendu, il entame le concert au soprano traitant une structure musicale complexe faites de lignes harmoniques décalées et de rythmes croisés. Abordant ensuite une séquence au ténor il passe en revue autant de sonorités que de souffles, chauds et amples façon Lester Young, chahutés à coup d’effets d’anches ou de becs tel Rollins, version Coltrane ou Shorter (d’aujourd’hui) enfin pour matérialiser débordements et traitement de chocs de la colonne d’air. Histoire de prouver sans doute aussi qu’il se trouve à l’aise en toute situation jazzistique Brandford termine le set en reprenant le sax soprano sur un registre de marching band pour entonner la mélodie culte du St James Infirmary. Message au public : ma ville c’est La Nouvelle Orléans ! Autre dominante chez le cadet de la famille Marsalis : laisser jouer ses musiciens. Dans cette optique Joey Calderrazzo se taille la part du lion. Son jeu de piano, très dense, abondamment nourri de figures rythmiques complexes prend au sein de l’orchestre un relief particulier. Et y tient une place centrale.
Chick, année après année (il désormais 72 ans et suit un strict régime à base de végétal) est toujours de retour. Une bonne chose soit dit en passant en ce qu’il demeure un sacré pianiste. Au Pays Basque en tous cas il l’a prouvé si besoin était. Bon, pour dire vrai on a pu noter de ci de là (à l’image de son dernier CD, Chick Corea and the Vigil chez Universal) quelques longueurs ou facilités lorsque le spectre du Return For Ever éternel se fait trop pressant avec sa cohorte de notes synthétiques tenues et de formules rythmiques à l’algèbre trop convenu. Au présent la différence vient pourtant de la composition de l’orchestre lui-même. La présence de Tim Garland déjà, sax, flute et clarinette basse utilisés toujours à bon escient. Elément décisif surtout : l’introduction d’un percussionniste –une première depuis le Return to Forever initial avec Airto Moreira– donne à la musique un ton plus jubilatoire, plus ludique, plus rythmiquement naturel en somme. L’apport de couleurs vives des tambours du jeune Luisito Quintero imprègne le tissus des compositions (Portals to forever) Il modifie par là même le son global du groupe comme sans doute aussi le type d’intervention du pianiste leader. Au total plus d’échanges et moins de démonstration gratuite.
On connaît Antonio Sanchez surtout comme batteur attitré des orchestres successifs de
Paco et Chick for ever
« C’est bien l’effet Paco, ça » commentait au milieu du concert un journaliste madrilène « Il réussit le tour de force d’impose la griffe du flamenco ici en Euskadi une partie de l’Espagne où cette musique n’a pas de racines naturelles, donc surtout pas une terre d’élection flamenca » On ne peut pas ne pas fixer son regard, son écoute sur Paco de Lucia. Seul face l’instrument qui l’a sacralisé dans les canons de la guitare flamenca comme entouré de ses musiciens-cantaor, cajon, palmas (marque du rythme base du flamenco à partir du battement de mains)- il demeure une référence pour ne pas parler d’icône (à titre d’information le concert de Vitoria succédait à une date en Hongrie précédent une autre au Liban) de la guitare acoustique cordes nylon dans le registre de la musique liée à la tradition des gitans d’Andalousie. Au point que Chick Corea avoue tout de go à son propos « Le retrouver sur scène représente pour moi un pur bonheur. Car c’est bien lui, et lui seul qui m’a fait entrer dans cet univers musical tellement singulier, typique du monde hispanique » Reste qu’au-delà de cette stature d’icône de maestro référent le guitariste de Cadix affiche également une vision claire de l’évolution nécessaire de son « genre » de musique. Ainsi après avoir introduit successivement au sein de son groupe le cajon (instrument de percussion d’origine péruvienne en la personne de Ruben Datas), la flute et le sax (avec Jorge Pardo) ou la basse électrique (Carlos Benavent qui rejoignit d’ailleurs ensuite Chick Corea) le voilà qui milite aujourd’hui pour l’utilisation l’harmonica dans son orchestre. Feeling encore une fois bien ajusté : Vitoria l’a vécu in vivo ce week-end, la palette sonore de cet instrument entre avec beaucoup d’à propos dans l’univers du flamenco. Mis entre les mains d’Antonio Serrano en particulier, jeune musicien joueur au premier sens du terme et improvisateur inspiré.
Ceci dit les très longues pièces (Zyriab, Spain, Entre dos aguas) attendues et offertes par Chick et Paco (près de quatre heures de concert au total pour les vieux amis et complices réunis pour l’occasion onze années après leur première rencontre sur cette même scène de la capitale basque de l’Alava) ont eu l’avantage d’apporter au public sur un plateau (exclusif) un bonus de plaisir et d’échanges. Au-delà des seules cavalcades de guitare et de piano exposées plus qu’à (chacun) son tour », hors de la ritournelle classique des expositions enchainées de soli de la part de chaque musicien. Dans un geste sincère et plutôt généreux l’envie conjuguée de Paco et Chick visait à satisfaire l’appétit d’un public de fidèles à la fois gourmands et gourmets. Musique offerte in fine de formes autant que de fond. Sans doute est-ce à ce prix de bien être explicite et assumé qu’un festival de jazz ancré en Pays basque se trouve ainsi soudain propulsé à la une du quotidien El Pais, le plus important d’Espagne. Une première avec un écho supplémentaire dans le JT de la télé espagnole. Inédit pour un festival de jazz. Manière de catharsis musicale, qui sait, dans un pays en proie à une forte dépression collective, grosse crise économique et politique actuelle oblige.
Robert Latxague
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Au sortir d’un salut général en guise d’adieu au public, plein centre de la scène, Chick Corea tend ses bras vers les spots de lumière et esquisse un pas de danse flamenca. Farru le bailador de la célèbre lignée des Montoya « Farruco » aussitôt tend tout son corps, met en route sa gestuelle de force et de sensualité pour lui donner la réplique. Le public déjà en surchauffe monte dans les tours d’une émotion plus plus plus. Tous deux, finissent quasi cheek to cheek tel un couple de danseurs « puro flamenco » dans l’écho de milliers de palmas, les mains et le cœur du flamenco…
Festival de Jazz de Vitoria / Gasteizko Jazzaldia
Tom Harrell (tp), Wayne Escoffery (ts), Dany Grisset (p), Ugona Okegwo (b), Jonathan Blake (dm)
Brandford Marsalis (ts, ss), Joey Calderazzo (p), Eric Revis (b), Justin Faulkner (dm)
Antonio Sanchez (dm), Dave Binney (as), Marc Brewer (b), John Screet (p)
Chick Corea (p, el p, keyb), Tim Garland (ts, ss), Charles Altura (g), Christian Mc Bride (b, el b), Marcus Gilmore (dm), Luisito Quintero (perc)
Paco de Lucia (g), Alain Oerez (el b), Antonio Serrano (keyb, hca), Antonio Sanchez (g), David de Jacoba (cante), Israel Suerez « El Piraña »(cante), Antonio Fernandez Montoya « Farru »
Climat brulant dans la capitale de la Communauté Autonome d’Euskadi, tendance à l’orage et présence du jazz dans la ville cinq jours durant pour la 37 e édition du festival, l’un des trois du Pays Basque côté espagnol (Getxo et Donosti/ San Sebastian se tiennent aussi en juillet)
Académique ou pas
Avec lui on toucherait presque à l’esprit d’une sorte d’académie du jazz, bien vu, bien fait, bien joué. Tout y est, tous les ingrédients de la qualité se doivent d’y figurer. A commencer par les caractéristiques du jeu du leader, sonorité ronde et franche de la trompette, plus le sens de la nuance et toujours la justesse, le bon choix dans les dans les inflexions sonores. Et comme pour magnifier en creux un tel savoir faire instrumental de la part de Tom Harrell, immense trompettiste mais personnage toujours aussi extatique, leader physiquement immobile, le ténor de Wayne Escofferry, physique et gueule carrée de quarter back se plait à cracher au besoin des stridences, des doubles sons épais, son lot d’harmoniques sur-boostées, bref un fracas d’acidité faite cuivre.
Qui se cache vraiment derrière la silhouette de Brandford Marsalis ? Un musicien bien sur, un saxophoniste également, oui. Sauf qu’à l’observer live le vocable de caméléon lui colle à la peau. Caméléon au sens où un acteur de théâtre change de ton, modifie ses répliques en fonction du personnage ou du répertoire abordés. Sur les planches du Polideportivo (Palais des Sports), son droit et tendu, il entame le concert au soprano traitant une structure musicale complexe faites de lignes harmoniques décalées et de rythmes croisés. Abordant ensuite une séquence au ténor il passe en revue autant de sonorités que de souffles, chauds et amples façon Lester Young, chahutés à coup d’effets d’anches ou de becs tel Rollins, version Coltrane ou Shorter (d’aujourd’hui) enfin pour matérialiser débordements et traitement de chocs de la colonne d’air. Histoire de prouver sans doute aussi qu’il se trouve à l’aise en toute situation jazzistique Brandford termine le set en reprenant le sax soprano sur un registre de marching band pour entonner la mélodie culte du St James Infirmary. Message au public : ma ville c’est La Nouvelle Orléans ! Autre dominante chez le cadet de la famille Marsalis : laisser jouer ses musiciens. Dans cette optique Joey Calderrazzo se taille la part du lion. Son jeu de piano, très dense, abondamment nourri de figures rythmiques complexes prend au sein de l’orchestre un relief particulier. Et y tient une place centrale.
Chick, année après année (il désormais 72 ans et suit un strict régime à base de végétal) est toujours de retour. Une bonne chose soit dit en passant en ce qu’il demeure un sacré pianiste. Au Pays Basque en tous cas il l’a prouvé si besoin était. Bon, pour dire vrai on a pu noter de ci de là (à l’image de son dernier CD, Chick Corea and the Vigil chez Universal) quelques longueurs ou facilités lorsque le spectre du Return For Ever éternel se fait trop pressant avec sa cohorte de notes synthétiques tenues et de formules rythmiques à l’algèbre trop convenu. Au présent la différence vient pourtant de la composition de l’orchestre lui-même. La présence de Tim Garland déjà, sax, flute et clarinette basse utilisés toujours à bon escient. Elément décisif surtout : l’introduction d’un percussionniste –une première depuis le Return to Forever initial avec Airto Moreira– donne à la musique un ton plus jubilatoire, plus ludique, plus rythmiquement naturel en somme. L’apport de couleurs vives des tambours du jeune Luisito Quintero imprègne le tissus des compositions (Portals to forever) Il modifie par là même le son global du groupe comme sans doute aussi le type d’intervention du pianiste leader. Au total plus d’échanges et moins de démonstration gratuite.
On connaît Antonio Sanchez surtout comme batteur attitré des orchestres successifs de
Paco et Chick for ever
« C’est bien l’effet Paco, ça » commentait au milieu du concert un journaliste madrilène « Il réussit le tour de force d’impose la griffe du flamenco ici en Euskadi une partie de l’Espagne où cette musique n’a pas de racines naturelles, donc surtout pas une terre d’élection flamenca » On ne peut pas ne pas fixer son regard, son écoute sur Paco de Lucia. Seul face l’instrument qui l’a sacralisé dans les canons de la guitare flamenca comme entouré de ses musiciens-cantaor, cajon, palmas (marque du rythme base du flamenco à partir du battement de mains)- il demeure une référence pour ne pas parler d’icône (à titre d’information le concert de Vitoria succédait à une date en Hongrie précédent une autre au Liban) de la guitare acoustique cordes nylon dans le registre de la musique liée à la tradition des gitans d’Andalousie. Au point que Chick Corea avoue tout de go à son propos « Le retrouver sur scène représente pour moi un pur bonheur. Car c’est bien lui, et lui seul qui m’a fait entrer dans cet univers musical tellement singulier, typique du monde hispanique » Reste qu’au-delà de cette stature d’icône de maestro référent le guitariste de Cadix affiche également une vision claire de l’évolution nécessaire de son « genre » de musique. Ainsi après avoir introduit successivement au sein de son groupe le cajon (instrument de percussion d’origine péruvienne en la personne de Ruben Datas), la flute et le sax (avec Jorge Pardo) ou la basse électrique (Carlos Benavent qui rejoignit d’ailleurs ensuite Chick Corea) le voilà qui milite aujourd’hui pour l’utilisation l’harmonica dans son orchestre. Feeling encore une fois bien ajusté : Vitoria l’a vécu in vivo ce week-end, la palette sonore de cet instrument entre avec beaucoup d’à propos dans l’univers du flamenco. Mis entre les mains d’Antonio Serrano en particulier, jeune musicien joueur au premier sens du terme et improvisateur inspiré.
Ceci dit les très longues pièces (Zyriab, Spain, Entre dos aguas) attendues et offertes par Chick et Paco (près de quatre heures de concert au total pour les vieux amis et complices réunis pour l’occasion onze années après leur première rencontre sur cette même scène de la capitale basque de l’Alava) ont eu l’avantage d’apporter au public sur un plateau (exclusif) un bonus de plaisir et d’échanges. Au-delà des seules cavalcades de guitare et de piano exposées plus qu’à (chacun) son tour », hors de la ritournelle classique des expositions enchainées de soli de la part de chaque musicien. Dans un geste sincère et plutôt généreux l’envie conjuguée de Paco et Chick visait à satisfaire l’appétit d’un public de fidèles à la fois gourmands et gourmets. Musique offerte in fine de formes autant que de fond. Sans doute est-ce à ce prix de bien être explicite et assumé qu’un festival de jazz ancré en Pays basque se trouve ainsi soudain propulsé à la une du quotidien El Pais, le plus important d’Espagne. Une première avec un écho supplémentaire dans le JT de la télé espagnole. Inédit pour un festival de jazz. Manière de catharsis musicale, qui sait, dans un pays en proie à une forte dépression collective, grosse crise économique et politique actuelle oblige.
Robert Latxague
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Au sortir d’un salut général en guise d’adieu au public, plein centre de la scène, Chick Corea tend ses bras vers les spots de lumière et esquisse un pas de danse flamenca. Farru le bailador de la célèbre lignée des Montoya « Farruco » aussitôt tend tout son corps, met en route sa gestuelle de force et de sensualité pour lui donner la réplique. Le public déjà en surchauffe monte dans les tours d’une émotion plus plus plus. Tous deux, finissent quasi cheek to cheek tel un couple de danseurs « puro flamenco » dans l’écho de milliers de palmas, les mains et le cœur du flamenco…
Festival de Jazz de Vitoria / Gasteizko Jazzaldia
Tom Harrell (tp), Wayne Escoffery (ts), Dany Grisset (p), Ugona Okegwo (b), Jonathan Blake (dm)
Brandford Marsalis (ts, ss), Joey Calderazzo (p), Eric Revis (b), Justin Faulkner (dm)
Antonio Sanchez (dm), Dave Binney (as), Marc Brewer (b), John Screet (p)
Chick Corea (p, el p, keyb), Tim Garland (ts, ss), Charles Altura (g), Christian Mc Bride (b, el b), Marcus Gilmore (dm), Luisito Quintero (perc)
Paco de Lucia (g), Alain Oerez (el b), Antonio Serrano (keyb, hca), Antonio Sanchez (g), David de Jacoba (cante), Israel Suerez « El Piraña »(cante), Antonio Fernandez Montoya « Farru »
Climat brulant dans la capitale de la Communauté Autonome d’Euskadi, tendance à l’orage et présence du jazz dans la ville cinq jours durant pour la 37 e édition du festival, l’un des trois du Pays Basque côté espagnol (Getxo et Donosti/ San Sebastian se tiennent aussi en juillet)
Académique ou pas
Avec lui on toucherait presque à l’esprit d’une sorte d’académie du jazz, bien vu, bien fait, bien joué. Tout y est, tous les ingrédients de la qualité se doivent d’y figurer. A commencer par les caractéristiques du jeu du leader, sonorité ronde et franche de la trompette, plus le sens de la nuance et toujours la justesse, le bon choix dans les dans les inflexions sonores. Et comme pour magnifier en creux un tel savoir faire instrumental de la part de Tom Harrell, immense trompettiste mais personnage toujours aussi extatique, leader physiquement immobile, le ténor de Wayne Escofferry, physique et gueule carrée de quarter back se plait à cracher au besoin des stridences, des doubles sons épais, son lot d’harmoniques sur-boostées, bref un fracas d’acidité faite cuivre.
Qui se cache vraiment derrière la silhouette de Brandford Marsalis ? Un musicien bien sur, un saxophoniste également, oui. Sauf qu’à l’observer live le vocable de caméléon lui colle à la peau. Caméléon au sens où un acteur de théâtre change de ton, modifie ses répliques en fonction du personnage ou du répertoire abordés. Sur les planches du Polideportivo (Palais des Sports), son droit et tendu, il entame le concert au soprano traitant une structure musicale complexe faites de lignes harmoniques décalées et de rythmes croisés. Abordant ensuite une séquence au ténor il passe en revue autant de sonorités que de souffles, chauds et amples façon Lester Young, chahutés à coup d’effets d’anches ou de becs tel Rollins, version Coltrane ou Shorter (d’aujourd’hui) enfin pour matérialiser débordements et traitement de chocs de la colonne d’air. Histoire de prouver sans doute aussi qu’il se trouve à l’aise en toute situation jazzistique Brandford termine le set en reprenant le sax soprano sur un registre de marching band pour entonner la mélodie culte du St James Infirmary. Message au public : ma ville c’est La Nouvelle Orléans ! Autre dominante chez le cadet de la famille Marsalis : laisser jouer ses musiciens. Dans cette optique Joey Calderrazzo se taille la part du lion. Son jeu de piano, très dense, abondamment nourri de figures rythmiques complexes prend au sein de l’orchestre un relief particulier. Et y tient une place centrale.
Chick, année après année (il désormais 72 ans et suit un strict régime à base de végétal) est toujours de retour. Une bonne chose soit dit en passant en ce qu’il demeure un sacré pianiste. Au Pays Basque en tous cas il l’a prouvé si besoin était. Bon, pour dire vrai on a pu noter de ci de là (à l’image de son dernier CD, Chick Corea and the Vigil chez Universal) quelques longueurs ou facilités lorsque le spectre du Return For Ever éternel se fait trop pressant avec sa cohorte de notes synthétiques tenues et de formules rythmiques à l’algèbre trop convenu. Au présent la différence vient pourtant de la composition de l’orchestre lui-même. La présence de Tim Garland déjà, sax, flute et clarinette basse utilisés toujours à bon escient. Elément décisif surtout : l’introduction d’un percussionniste –une première depuis le Return to Forever initial avec Airto Moreira– donne à la musique un ton plus jubilatoire, plus ludique, plus rythmiquement naturel en somme. L’apport de couleurs vives des tambours du jeune Luisito Quintero imprègne le tissus des compositions (Portals to forever) Il modifie par là même le son global du groupe comme sans doute aussi le type d’intervention du pianiste leader. Au total plus d’échanges et moins de démonstration gratuite.
On connaît Antonio Sanchez surtout comme batteur attitré des orchestres successifs de
Paco et Chick for ever
« C’est bien l’effet Paco, ça » commentait au milieu du concert un journaliste madrilène « Il réussit le tour de force d’impose la griffe du flamenco ici en Euskadi une partie de l’Espagne où cette musique n’a pas de racines naturelles, donc surtout pas une terre d’élection flamenca » On ne peut pas ne pas fixer son regard, son écoute sur Paco de Lucia. Seul face l’instrument qui l’a sacralisé dans les canons de la guitare flamenca comme entouré de ses musiciens-cantaor, cajon, palmas (marque du rythme base du flamenco à partir du battement de mains)- il demeure une référence pour ne pas parler d’icône (à titre d’information le concert de Vitoria succédait à une date en Hongrie précédent une autre au Liban) de la guitare acoustique cordes nylon dans le registre de la musique liée à la tradition des gitans d’Andalousie. Au point que Chick Corea avoue tout de go à son propos « Le retrouver sur scène représente pour moi un pur bonheur. Car c’est bien lui, et lui seul qui m’a fait entrer dans cet univers musical tellement singulier, typique du monde hispanique » Reste qu’au-delà de cette stature d’icône de maestro référent le guitariste de Cadix affiche également une vision claire de l’évolution nécessaire de son « genre » de musique. Ainsi après avoir introduit successivement au sein de son groupe le cajon (instrument de percussion d’origine péruvienne en la personne de Ruben Datas), la flute et le sax (avec Jorge Pardo) ou la basse électrique (Carlos Benavent qui rejoignit d’ailleurs ensuite Chick Corea) le voilà qui milite aujourd’hui pour l’utilisation l’harmonica dans son orchestre. Feeling encore une fois bien ajusté : Vitoria l’a vécu in vivo ce week-end, la palette sonore de cet instrument entre avec beaucoup d’à propos dans l’univers du flamenco. Mis entre les mains d’Antonio Serrano en particulier, jeune musicien joueur au premier sens du terme et improvisateur inspiré.
Ceci dit les très longues pièces (Zyriab, Spain, Entre dos aguas) attendues et offertes par Chick et Paco (près de quatre heures de concert au total pour les vieux amis et complices réunis pour l’occasion onze années après leur première rencontre sur cette même scène de la capitale basque de l’Alava) ont eu l’avantage d’apporter au public sur un plateau (exclusif) un bonus de plaisir et d’échanges. Au-delà des seules cavalcades de guitare et de piano exposées plus qu’à (chacun) son tour », hors de la ritournelle classique des expositions enchainées de soli de la part de chaque musicien. Dans un geste sincère et plutôt généreux l’envie conjuguée de Paco et Chick visait à satisfaire l’appétit d’un public de fidèles à la fois gourmands et gourmets. Musique offerte in fine de formes autant que de fond. Sans doute est-ce à ce prix de bien être explicite et assumé qu’un festival de jazz ancré en Pays basque se trouve ainsi soudain propulsé à la une du quotidien El Pais, le plus important d’Espagne. Une première avec un écho supplémentaire dans le JT de la télé espagnole. Inédit pour un festival de jazz. Manière de catharsis musicale, qui sait, dans un pays en proie à une forte dépression collective, grosse crise économique et politique actuelle oblige.
Robert Latxague
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Au sortir d’un salut général en guise d’adieu au public, plein centre de la scène, Chick Corea tend ses bras vers les spots de lumière et esquisse un pas de danse flamenca. Farru le bailador de la célèbre lignée des Montoya « Farruco » aussitôt tend tout son corps, met en route sa gestuelle de force et de sensualité pour lui donner la réplique. Le public déjà en surchauffe monte dans les tours d’une émotion plus plus plus. Tous deux, finissent quasi cheek to cheek tel un couple de danseurs « puro flamenco » dans l’écho de milliers de palmas, les mains et le cœur du flamenco…
Festival de Jazz de Vitoria / Gasteizko Jazzaldia
Tom Harrell (tp), Wayne Escoffery (ts), Dany Grisset (p), Ugona Okegwo (b), Jonathan Blake (dm)
Brandford Marsalis (ts, ss), Joey Calderazzo (p), Eric Revis (b), Justin Faulkner (dm)
Antonio Sanchez (dm), Dave Binney (as), Marc Brewer (b), John Screet (p)
Chick Corea (p, el p, keyb), Tim Garland (ts, ss), Charles Altura (g), Christian Mc Bride (b, el b), Marcus Gilmore (dm), Luisito Quintero (perc)
Paco de Lucia (g), Alain Oerez (el b), Antonio Serrano (keyb, hca), Antonio Sanchez (g), David de Jacoba (cante), Israel Suerez « El Piraña »(cante), Antonio Fernandez Montoya « Farru »
Climat brulant dans la capitale de la Communauté Autonome d’Euskadi, tendance à l’orage et présence du jazz dans la ville cinq jours durant pour la 37 e édition du festival, l’un des trois du Pays Basque côté espagnol (Getxo et Donosti/ San Sebastian se tiennent aussi en juillet)
Académique ou pas
Avec lui on toucherait presque à l’esprit d’une sorte d’académie du jazz, bien vu, bien fait, bien joué. Tout y est, tous les ingrédients de la qualité se doivent d’y figurer. A commencer par les caractéristiques du jeu du leader, sonorité ronde et franche de la trompette, plus le sens de la nuance et toujours la justesse, le bon choix dans les dans les inflexions sonores. Et comme pour magnifier en creux un tel savoir faire instrumental de la part de Tom Harrell, immense trompettiste mais personnage toujours aussi extatique, leader physiquement immobile, le ténor de Wayne Escofferry, physique et gueule carrée de quarter back se plait à cracher au besoin des stridences, des doubles sons épais, son lot d’harmoniques sur-boostées, bref un fracas d’acidité faite cuivre.
Qui se cache vraiment derrière la silhouette de Brandford Marsalis ? Un musicien bien sur, un saxophoniste également, oui. Sauf qu’à l’observer live le vocable de caméléon lui colle à la peau. Caméléon au sens où un acteur de théâtre change de ton, modifie ses répliques en fonction du personnage ou du répertoire abordés. Sur les planches du Polideportivo (Palais des Sports), son droit et tendu, il entame le concert au soprano traitant une structure musicale complexe faites de lignes harmoniques décalées et de rythmes croisés. Abordant ensuite une séquence au ténor il passe en revue autant de sonorités que de souffles, chauds et amples façon Lester Young, chahutés à coup d’effets d’anches ou de becs tel Rollins, version Coltrane ou Shorter (d’aujourd’hui) enfin pour matérialiser débordements et traitement de chocs de la colonne d’air. Histoire de prouver sans doute aussi qu’il se trouve à l’aise en toute situation jazzistique Brandford termine le set en reprenant le sax soprano sur un registre de marching band pour entonner la mélodie culte du St James Infirmary. Message au public : ma ville c’est La Nouvelle Orléans ! Autre dominante chez le cadet de la famille Marsalis : laisser jouer ses musiciens. Dans cette optique Joey Calderrazzo se taille la part du lion. Son jeu de piano, très dense, abondamment nourri de figures rythmiques complexes prend au sein de l’orchestre un relief particulier. Et y tient une place centrale.
Chick, année après année (il désormais 72 ans et suit un strict régime à base de végétal) est toujours de retour. Une bonne chose soit dit en passant en ce qu’il demeure un sacré pianiste. Au Pays Basque en tous cas il l’a prouvé si besoin était. Bon, pour dire vrai on a pu noter de ci de là (à l’image de son dernier CD, Chick Corea and the Vigil chez Universal) quelques longueurs ou facilités lorsque le spectre du Return For Ever éternel se fait trop pressant avec sa cohorte de notes synthétiques tenues et de formules rythmiques à l’algèbre trop convenu. Au présent la différence vient pourtant de la composition de l’orchestre lui-même. La présence de Tim Garland déjà, sax, flute et clarinette basse utilisés toujours à bon escient. Elément décisif surtout : l’introduction d’un percussionniste –une première depuis le Return to Forever initial avec Airto Moreira– donne à la musique un ton plus jubilatoire, plus ludique, plus rythmiquement naturel en somme. L’apport de couleurs vives des tambours du jeune Luisito Quintero imprègne le tissus des compositions (Portals to forever) Il modifie par là même le son global du groupe comme sans doute aussi le type d’intervention du pianiste leader. Au total plus d’échanges et moins de démonstration gratuite.
On connaît Antonio Sanchez surtout comme batteur attitré des orchestres successifs de
Paco et Chick for ever
« C’est bien l’effet Paco, ça » commentait au milieu du concert un journaliste madrilène « Il réussit le tour de force d’impose la griffe du flamenco ici en Euskadi une partie de l’Espagne où cette musique n’a pas de racines naturelles, donc surtout pas une terre d’élection flamenca » On ne peut pas ne pas fixer son regard, son écoute sur Paco de Lucia. Seul face l’instrument qui l’a sacralisé dans les canons de la guitare flamenca comme entouré de ses musiciens-cantaor, cajon, palmas (marque du rythme base du flamenco à partir du battement de mains)- il demeure une référence pour ne pas parler d’icône (à titre d’information le concert de Vitoria succédait à une date en Hongrie précédent une autre au Liban) de la guitare acoustique cordes nylon dans le registre de la musique liée à la tradition des gitans d’Andalousie. Au point que Chick Corea avoue tout de go à son propos « Le retrouver sur scène représente pour moi un pur bonheur. Car c’est bien lui, et lui seul qui m’a fait entrer dans cet univers musical tellement singulier, typique du monde hispanique » Reste qu’au-delà de cette stature d’icône de maestro référent le guitariste de Cadix affiche également une vision claire de l’évolution nécessaire de son « genre » de musique. Ainsi après avoir introduit successivement au sein de son groupe le cajon (instrument de percussion d’origine péruvienne en la personne de Ruben Datas), la flute et le sax (avec Jorge Pardo) ou la basse électrique (Carlos Benavent qui rejoignit d’ailleurs ensuite Chick Corea) le voilà qui milite aujourd’hui pour l’utilisation l’harmonica dans son orchestre. Feeling encore une fois bien ajusté : Vitoria l’a vécu in vivo ce week-end, la palette sonore de cet instrument entre avec beaucoup d’à propos dans l’univers du flamenco. Mis entre les mains d’Antonio Serrano en particulier, jeune musicien joueur au premier sens du terme et improvisateur inspiré.
Ceci dit les très longues pièces (Zyriab, Spain, Entre dos aguas) attendues et offertes par Chick et Paco (près de quatre heures de concert au total pour les vieux amis et complices réunis pour l’occasion onze années après leur première rencontre sur cette même scène de la capitale basque de l’Alava) ont eu l’avantage d’apporter au public sur un plateau (exclusif) un bonus de plaisir et d’échanges. Au-delà des seules cavalcades de guitare et de piano exposées plus qu’à (chacun) son tour », hors de la ritournelle classique des expositions enchainées de soli de la part de chaque musicien. Dans un geste sincère et plutôt généreux l’envie conjuguée de Paco et Chick visait à satisfaire l’appétit d’un public de fidèles à la fois gourmands et gourmets. Musique offerte in fine de formes autant que de fond. Sans doute est-ce à ce prix de bien être explicite et assumé qu’un festival de jazz ancré en Pays basque se trouve ainsi soudain propulsé à la une du quotidien El Pais, le plus important d’Espagne. Une première avec un écho supplémentaire dans le JT de la télé espagnole. Inédit pour un festival de jazz. Manière de catharsis musicale, qui sait, dans un pays en proie à une forte dépression collective, grosse crise économique et politique actuelle oblige.
Robert Latxague