Oloron: Paul Lay atout chœur
Écrire pour un chœur. Paul Lay, face compositeur, inscrit dans moultes expériences jazzistiques mais pas que, n’avait pourtant jamais entrepris de se lancer dans une tel travail jusqu’ici. Le,hasard aura voulu qu’il prenne connaissance de celui d’un ensemble vocal de ce type basé à Toulouse. Et qu’au surplus ce dernier soit dirigé par un natif lui aussi d’Orthez, sa ville de berceau sise en Béarn. Autant de raisons pour qu’une jonction d’interêts bien partagés autant que bien sentis s’opère. Qu’un projet de collaboration naisse à ce propos « Nous nous sommes découverts des goûts musicaux communs. Mais surtout lors de nos rencontres successives Joël Suhubiette, le chef, m’a fait découvrir les modes de travail d’un choeur justement. Cela m’a donné l’envie d’écrire pour une telle formule. D’autant qu’il m’a laissé carte blanche dans cet objectif » D’un commun accord également, le thème de la lumière s’est imposé comme focus thématique du projet. Avec en corollaire la volonté de recours à des écrits poétiques comme contenu de base question verbe « Je ne suis pas à proprement parler un spécialiste de poésie. Pourtant certains haïkus en particuliers, dans leurs formulations très expressives, chantent à mes oreilles, générateurs de phrases mélodiques » Dès lors le pianiste a (provisoirement) laissé la place ponctuellement au compositeur pour une tâche d’écriture prolongée par épisodes huit mois durant « Transcrire de la musique sur des portées pour 17 choristes en simultané a représenté pour moi une expérience inédite, passionnante. Je dois préciser que Joël Suhubiette m’a bien aidé, orienté fort de son expérience sur les scores tout en me laissant une liberté absolue dans le rendu. A posteriori j’ai adoré creuser cet aspect polyphonique très riche. De toutes les façons déjà, la voix, réelle ou imaginaire, a toujours représenté un aspect mélodique vital dans l’ensemble de mes compositions »
Au final, cette phase de phosphoration ayant abouti en de longues partitions, les deux personnes en une du musicien Paul Lay, pianiste/compositeur, se voient investir en compagnie du troisième, lui baguette en main à la tête de son chœur d’hommes et de femmes, une première mise en pratique scénique, en Béarn toujours leur terre d’élection, mais côté piémont des Pyrénées cette fois, à Oloron Sainte Marie.
Paul Lay (p), Clemens Van der Feen (b), Donald Kontomanou (dm) + Choeur de chambre : Les Éléments (direction Joël Suhubiette)
Espace Jeliote, Oloron Ste Marie (64 400), 17 mai
Une création donc Une ambition partagée : mettre la musique au service des voix « Durant toutes les phases du travail de mise en place la collaboration s’est révélée très fluide » Placer les voix au services de mots ensuite. Les notes ayant été posées fallait-il encore pour ce programme baptisé « Wawes of light» trouver des phrases de sens, donc des auteurs adéquats. En accord commun Paul Lay et Joêl Suhubiette choisissent de convoquer á cet effet Victor Hugo, Emily Dickinson mais aussi des poètes moins connus, Henry David Thoreau ou le magyar Sándor Weores pour illustrer Ligetii. Au delà de la litanie de partitions d’un programme musical sensé illustrer la magie et les mystères de de la lumière, le défi, une fois musiciens et choristes montés sur les planches c’était bien de mêler l’écrit à l’improvisé.
On démarre sur « Printemps » un texte de Victor Hugo, séquence d’énergies combinées rythmique et clavier. De quoi tenir un premier pari initial: faire cadrer le travail jazz du trio avec la surface et les reliefs, soit l’amplitude sonore des effets du chœur. Après la tension, la détente, une séquence plus cool, phrases arpégées, clavier parcouru tout en clarté de notes choisies afin d’ illustrer les strophes d’Emily Dickinson. Moment fort pour une plongée dans le monde de Purcell: le choeur seul en lice rassemble toutes ses voix en forme de puissant appel d’air histoire d’épicer d’autant un « Hear my Prayer O lord » aux contour d’hymne. Lorsque le trio revient en scène, on verse sans transition dans du piano stride, limite boogie-woogie, Paul Lay alors injecte comme de coutume les doses de traditions auxquelles ill tient question point d’histoire du piano jazz.
Quels que soient les thèmes en défilement, le choeur toulousain dans ses variations d’intensité comme de couleurs sonores évolue telle une masse mobile, malléable, fluide. Renforcée de part le mode de direction tout de précision, de finesse et de présence affirmée de la part de Joël Suhubiette, chef chevronné s’il en est. En ce sens, parmi les trouvaille issues de son travail d’écriture, Paul Lay réussit de son côté à faire sonner certaines parties du Chœur tel un big band exploitant les richesses de timbre de ses sections. En appels et réponses, en jonctions et séparation d’unités (basses, sopranos), en oppositions de voix masculines/féminines, dans l’utilisation des forces combinées des unissons également( Wawes of light ) Moment propice pour souligner le super travail de découpe de Donald Kontomanou en appui, précis, dynamique du flux vocal via tambours et cymbales.
Intermède jazz stricto sensu à présent. Le trio seul part en une cadence rythmique infernale histoire d’illustrer Oscar Peterson (« Allegro ») Paul Lay y voyage à son aise tablant sur un gros travail d’accords servi sur plusieurs plateaux successifs. Lui qui a tenu à faire chanter les lignes de Bill Evans (album Blue in green, Tribute to Bill Evans), tend ici là plutôt à se lâcher dans des hachures et dissonances façon Monk…
Pour revenir au choeur, une autre trouvaille reste à noter : promouvoir un ton caractéristique, parlant, apte à offrir une identité propre à chaque entrées dans les thèmes abordés. Traits frappés ainsi de lyrisme pour ses « Psaumes ». Effet de spiralee sur le Choeur placé dans une trace circulaire pour une meilleure montée en tension mélodique histoire de célébrer l’art de Ligeti (« Éjzaka ») Composition à tonalité aérienne en hommage à son ami bassiste brutalement disparu, Matyas Szandai. Unissons enfin pour des voix qui flottent tels des voiles au vent en accents religieux via Jean Sébastien Bach spécialement ré-arrangé à cet effet. Et puis, voici bien une incursion surprise, ce volet ouvert sur une partie de piano solo lancé sur la base d’une ligne rythmique obsédante, en prélude à une intégration naturelle du choeur. Une manière d’ascension en assaut musical, d’une mer calme jusqu’à la tempête sonore. Disons…-impression toute personnelle certes- et pour rester dans les arcanes du vocal jazz, passer d’un climat de plénitude façon Double Six jusqu’à l’esthétique en brut…du cri mode jazz free.
Paul Lay et son compère complice orthézien Joël Suhubiette réunis sur scène pour une première fois ont pris acte et plaisir de cette aventure créatrice. Au point que suite à d’autres concerts à suivre Waves of light, matière vivante de jazz et de choeur sera enregistré en février prochain à Toulouse pour un album à venir.
Robert Latxague
(photos Robert Latxague)