Orthez (3): Paul Lay, Eric Le Lann convoquent Amstrong sous la nef
“Je dédie ce morceau à Didier Datchary. Il m’a inculqué ici le piano jazz. Il figure désormais dans chacune de mes notes jouées” Paul Lay est ému á l’évocation de la mémoire de son prof de piano jazz de l’Ecole de Musique d’Orthez, sa ville. D’autant que sont présents au concert dans ce lieu singulier n’était l’importance historique de la communauté protestante au sein de cette cité, son père, sa mère, sa grand-mère…
Paul Lay (p), Eric Le Lann (tp)
Jazz Naturel, Église Évangélique, Orthez (64300), 17 mars
Dianah pour entamer le concert, comme dans le disque qui les a réunis (Thanks a million, Gazebo / L’autre Distribution) histoire de célébrer Amstrong. Et déjà sur une sonorité de trompette très claire, respectueuse du savoir et du faire du dit Satchmo, Paul Lay qu’on n’attendait pas forcément sur ce terrain du jazz premier, imprime ses digressions, ses aléas de main droite. Autre titre de légende du trompettiste de la Nouvelle Orléans, Mack the Knife, L’Opera de 4 sous, Brecht et Kurt Weill conjugués par le cuivre. Le Lann se régale dans son élément : trompette bouchée, notes ciselées précises, travaillées á l’unité. Jusqu’á une petite pointe de vibrato piquée de suraigu en point d’orgue du thème. Le son traverse la nef au toit boisé avec d’autant plus de naturel que le duo évolue quasi en condition d’acoustique. Vient le moment évoqué plus haut, gorgé d’emotion, de l’hommage au musicien landais disparu récemment qui l’a formé au piano jazz. Paul Lay, en solo sur Farewell to Louis, distille une séquence de notes claires égrenées, comme détachées volontairement une à une, spectre sonore plutôt traité dans les aiguës, innervées en tout état de cause de beaucoup de feeling. Manière, est-on en droit d’imaginer, d’un album aux souvenirs intérieur très personnel.
Les titres défilent, évocateurs d’un jazz période années trente, l’Amstrong de ce temps (Jubillee) y étant convoqué, comme Gershwin d’ailleurs. Pourtant le bagage de l’un comme de l’autre transfigure les mélodies, les séquences improvisées dans la réalité du jazz d’aujourd’hui, pas oublieux certes, pas figés non plus bien entendu. Ainsi les formes du piano stride rebondissent pour mieux éclater, revivifiées à deux mains jouissivement savantes de Paul Lay (Louison) Les traits de be-bop voire même quelques accents piqués de free passent aussi par le souffle d’Eric Le Lann, à son aise sur ces terrains de jeu. Aux courants, aux airs pulsés du jazz, à la profession de foi envers cette musique jamais sacrée, dans un lieu de religion faut-il y voir un signe, les deux musiciens veulent sans doute dire Thanks a Million…
Robert Latxague