Parfum de Jazz (20ème anniversaire) Les Ladies du Jazz
Parfum de Jazz, festival itinérant, s’est déroulé du 12 au 25 août dans quinze communes de la Drôme Provençale et du Tricastin (Buis-les-Baronnies, Nyons, Pierrelatte, Saint-Paul-Trois-Châteaux, entre autres…): animations gratuites dans la journée sur les places de villages et en divers lieux (caves vinicoles, hôpital, maison de retraite…), exposition photographique, cycle de 8 conférences et concerts en soirée.
Grande première dans le PFJF (Paysage Festivalier du Jazz en France): ce festival était entièrement dédié aux « Ladies du Jazz ». Pour son vingtième anniversaire Parfum de Jazz s’est totalement décliné au féminin.
Deuxième originalité de Parfum de Jazz (outre le fait que tous les groupes programmés étaient dirigés par des femmes) : la tonalité globale du « menu » proposé était (pour le dire vite) vraiment « jazz ». C’est à dire dédié à tous les jazz(s). Tous les styles apparus entre la naissance de cette musique il y a un siècle et aujourd’hui étaient à l’affiche. L’offre ne se limitait donc pas seulement au New-Orleans et au Swing d’avant 1945 ! Aucune trace d’intégrisme à Parfum de Jazz!
Par contre la programmation affichait clairement une volonté de ne pas céder à une tendance lourde adoptée par de très nombreux festivals: « attirer beaucoup de monde avec… les musiques voisines et cousines ».
Le modèle « économique » de Parfum de Jazz permet d’assumer ce choix.
Pas d’infrastructures massives à mettre en place (les concerts ont lieu dans des cours d’école, salles des fêtes, ou sur des places de village), un minimum de dépenses pour la sécurité. Subventions publiques et des sociétés civiles (Spedidam, Adami…), mécénats et partenariats, difficilement collectés mais d’un niveau assez correct. Une équipe de bénévoles compétents qui participent aux hébergements et aux « caterings »…
L’équilibre financier, certes précaire, est atteint ici, pour les concerts payants, avec des audiences entre 200 et 400 personnes… Ce qui fut le cas pratiquement pour toutes les soirées.
Il en résulte une atmosphère de sérénité, de tranquillité, de fluidité qu’on rencontre beaucoup moins, pour diverses raisons, dans les « grands » festivals hexagonaux.
Le maitre d’oeuvre de Parfum de Jazz est Alain Brunet. Cet ancien très haut fonctionnaire est le fondateur, le Président de l’Association organisatrice, le programmateur et, entre autres, le présentateur des concerts… Au four et au moulin comme on dit ! Pour paraphraser un thème de Wynton Marsalis dédié à Jean-Louis Guilhaumon dans sa Marciac Suite intitulé Jean Louis is everywere, à Parfum de Jazz : Alain is everywere ! Délaissant sa trompette qu’il pratique habituellement avec son groupe Akpé Motion (nouveau cd bientôt), cette année il a très souvent « scatté » avec plusieurs chanteuses. D’une manière décontractée et humoristique.
Au total : 35 concerts et animations, 8 conférences (bien sûr consacrées uniquement aux Ladies du Jazz !), une projection du film Billie for Ever en présence de son réalisateur Frank Cassenti et une exposition de photos d’André « Moustac » Henrot (avec seulement, bien sûr, que des portraits de « Dames du jazz »).
Le programme intégral de Parfum de Jazz 2018 peut être consulté ici : https://www.parfumdejazz.com/programme/
Impossible d’avoir tout vu et entendu et de tout chroniquer…
Avec la complicité de Pascal Derathé, « patron » hyperactif du remarquable site Jazz Rhône-Alpes, qui nous a permis d’utiliser ses reportages photographiques (à visiter, son site, foisonnant : jazz-rhone-alpes.com) nous allons proposer aux fidèles du livereport de jazzmagazine.com quelques commentaires de ses clichés (et de quelques autres pris avec mon iphone !)…
Florence Fourcade Quartet : Hommage à Stéphane Grappelli
(Mollans sur Ouveze : 13 août)
Florence Fourcade: violon, voix, Philippe Troisi: guitare, Hubert Rousselet: contrebasse, Thierry Larosa: batterie
L’orage menaçait : abandon du coquet théâtre de verdure du village… repli à la salle des fêtes (une fournaise!).
Florence Fourcade (Mademoiselle Swing) propose une sélection de standards et de morceaux de jazz dit manouche. Certes inspirée par Stéphane elle joue pourtant de manière personnelle, se démarquant du grand maître par une attaque plus « vive » . Programme varié: Night and day, Sweet Georgia Brown, Troublant Boléro, I got rhythm, My heart belong to daddy (en version calypso!), La Javanaise, Fascinating rhythm, Moonlight Serenade, Milou (une composition de Grappelli pour le film de Louis Malle Milou en mai) et… Pent up house (de Sonny Rollins). Au rappel : Les yeux noirs. Tous ces thèmes interprétés avec humour. En maniant habilement l’art de la citation. Florence a aussi chanté à l’unisson avec son jeu de violon… Etonnant. Gros succès pour Mademoiselle Fourcade…
Julie Saury Sextet : For Maxim
(Jardins du cinéma de Buis les Baronnies, le 14 août)
Bruno Rousselet (b), Jérôme Etcheberry (tp), Philippe Milanta (p), Aurélie Tropez (cl), Frédéric Couderc (ts, ss, slide), Julie Saury (dr).
Le CV de Julie Saury est remarquable : « sidewoman » fort recherchée. De la petite formation jusqu’ au big band, en des styles variés… Maxim Saury était un très grand nom du New-Orleans Revival en France. Dès ses débuts comme « batteriste » (elle préfère ce mot à « batteuse » dit-elle en souriant) Julie a suivi son chemin indépendamment de l’héritage paternel. Avec son projet « For Maxim » elle s’affirme comme leader d’un sextet original composé de solistes haut de gamme. Avec ce groupe elle « bouscule gentiment » le répertoire de son père. Les musiciens jouent « moderne » même s’ils ont une culture venue du jazz traditionnel. « Aurélie Tropez, la clarinettiste du groupe n’incarne pas mon père ! Elle joue avec son propre style !».
Les thèmes sont globalement ceux du disque : Avalon, Stars fell in Alabama, Basin Street Blues (un des thèmes fétiches de son père et qui la « bassinait » avec ce standard dit-elle avec humour), Back home again in Indiana…Chaque soliste s’exprime longuement sur les thèmes qui lui sont dédiés. Un étonnant Petite Fleur au sax ténor !
Julie joue en fin de concert un long solo surprenant sur Saint Louis Blues. Elle est rejointe, joyeusement, par Jérôme Etcheverry (qui fait joujou avec sa sourdine) et Fred Couderc (qui en fait de même avec moult appeaux de tous genres)… Le concert se termine sur Crazy Rythm… Ultime clin d’oeil.
Celine Bonacina : Crystal Quartet
(Théâtre de Plein Air Buis les Baronnies, 16 août)
Celine Bonacina (ss, sax baryton), Asaf Sirkis (dr, perc), Matyas Sandzaï (b), Léonardo Montana (p).
Celine est un leader charismatique. Elle entretient avec chaque musicien de fortes connivences mélodiques, harmoniques et rythmiques. Même en l’absence de son bassiste habituel elle a su assurer pleinement la cohésion de son groupe. Entre force et douceur, Céline Bonacina est une artiste singulière maitrisant pleinement son instrument… presque aussi grand qu’elle! Lorsque son dynamisme naturel surgit elle laisse entrevoir un caractère joyeux à l’humour aiguisé. Son jeu est énergique et joyeux. Elle « envoie du cuivre qui décoiffe ». Au soprano elle s’inspire avec talent et originalité de Wayne Shorter. Son percussionniste joue de manière originale sans caisse claire…
Michele Hendricks Quintet : Hommage à Ella Fitzgerald
(Théâtre de Plein Air Buis les Baronnies, 17 août)
Michele Hendricks (voc), Olivier Temine(ts) , Arnaud Mattei (p), Bruno Rousselet (b), Philippe Soirat (dr)
Grand Prix du Disque de l’Académie du Jazz pour son « A little bit of Ella », fille de l’immense vocaliste Jon Hendrick, Michele est une phénoménale scatteuse. Son groupe tourne comme une horloge suisse. Son vieux complice Arnaud Mattei la suit dans toutes ses vertigineuses improvisations. Olivier Temime aussi bien dans les contrechants qu’en solo joue avec gourmandise et punch. Philippe Soirat est un maître du swing soyeux, celui qui convient parfaitement à Michele.
Lady be good, I fall in love too easily (dédié à Aretha Franklin, disparue la veille), un It don’t mean a thing (à la jovialité communicative!), How high the moon (à la sauce reggae!), Watermelon man avec des paroles de Jon Hendricks) et pour finir, le standard Airmail special de Charlie Christian. Michele s’amusant encore une fois à chanter à l’unisson avec le sax.
Olivier Temime
Au rappel, Michele invite Alain Brunet à scatter sur Mama you told me…
Public enchanté…
Rhoda Scott : Lady Quartet
(Théâtre de Plein Air, Buis les Baronnies, 18 août)
Rhoda Scott (orgue/voix), Sophie Alour(ts), Lisa Cat Bero (as), Julie Saury (dr)
Rhoda Scott, longtemps surnommée « The barefoot lady » (l’organiste aux pieds nus…) a créé en 2004 ce magnifique quartet de femmes avec Sophie Alour, compositrice et instrumentiste au saxophone ténor, Lisa Cat-Berro au saxophone alto et la solide « batteriste » Julie Saury.
Ce quartet avait été formé pour une « Ladies Night » à Vienne. Belle coincidence : Jean Paul Boutellier le fondateur de Jazz à Vienne était présent. Visiblement heureux de constater que 14 ans après sa création « viennoise » le groupe était toujours aussi inventif et pêchu.
En juillet 2018 (toujours à Vienne!) Rhoda a reçu, le jour de ses 80 ans, la médaille de Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Le quartet a joué plusieurs compositions de son dernier CD : « We free Queens ».
Une version « funky » du tube d’Herbie Hancock Watermelon man. Douceur avec la « La Valse à Charlotte » puis valse swinguante (« Que reste t-il de nos amours ? »).
Rhoda a rendu hommage à Aretha Franklin (décédée deux jours avant), en invitant la chanteuse Sylvia Howard sur un Road 66, émouvant et gorgé de feeling.
Au rappel Alain Brunet a scatté en dialoguant avec l’orgue « enveloppante » de Rhoda…
Rhoda Scott, avec Sylvia Howard et Alain Brunet
Belle conclusion pour la première séquence de Parfum de jazz en Drôme Provençale.
Très vite à venir sur le jazzlive… « Episode II » de Parfum de Jazz … en Tricastin avec les concerts, les animations et l’ évocation des superbes conférences consacrées aux « Femmes dans le Jazz ».
Pierre-Henri Ardonceau
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