PARIS JAZZ SERIES #85, autour des compositions du pianiste HERBIE NICHOLS
Retour pour le chroniqueur dans ce laboratoire où, depuis 8 ans, des musiciens brillants et aventureux donnent une lecture très personnelle de répertoires issus de l’histoire récente ou un peu plus lointaine. Cela se passe au Bar le 34 (34 Rue Léon, 75018). Quelques épisodes précédents sur ce site en cliquant sur les liens: Jackie McLean, Misha Mengelberg, Manny Albam. La musique choisie cette fois, c’est celle d’un pianiste-météore, Herbie Nichols, mort à 44 ans, en 1963, d’une leucémie, musicien qui joua dans des groupes dixieland mais fut surtout, pour le jazz moderne, l’un des compositeurs les plus intéressants des années 50. Monk lui présenta Mary Lou Williams, laquelle joua plusieurs de ses compositions, tout comme Billie Holiday qui enregistra l’un de ses thèmes, Lady Sings The Blues.
PARIS JAZZ SERIES #85
Pierre-Antoine Badaroux (saxophone alto), Benjamin Dousteyssier (saxophones soprano & baryton), Sébastien Beliah (contrebasse), Antonin Gerbal (batterie)
Paris, Bar le 34, 4 avril 2023, 21h30
Belle expérience d’écoute, et très dépaysante, que de redécouvrir en quartette à 2 sax, contrebasse et batterie, une musique conçue (et interprétée par son compositeur) en trio piano-basse-batterie.
Le set commence par Cro-Magnon Nights, gravé par Herbie Nichols en mai 1955 avec Al McKibbon & Art Blakey, restitué, et même exacerbé, dans son esprit très segmenté. Terrain de jeu idéal pour le sax alto de P.A. Badaroux et le soprano de B. Dousteyssier. Ça commence très fort, en parfaite illustration de cette démarche qui consiste à prendre des thèmes qui sont déjà exemplaires de la créativité des années 50, pour en faire une musique d’aujourd’hui, voire de demain. Sur ce thème déjà déstructuré dans l’esprit de son compositeur, la connivence avec la basse de Sébastien Beliah et la batterie d’Antonin Gerbal fait merveille. Le thème suivant, Twelve Bars, n’avait pas été enregistré par son compositeur, mais il avait été gravé en 1982 par Roswell Rudd, Steve Lacy, Misha Mengelberg, Kent Carter & Han Bennink, puis en 2007 par le pianiste Simon Nabatov. Sur un tempo souple, plutôt mélancolique, le baryton et l’alto vont bientôt titiller cette décontraction de quelques étincelles. On revient ensuite aux titres gravés par le compositeur pour le label Blue Note, même trio et même séance que le premier titre : c’est cette fois Double Exposure, avec toujours le sax baryton. Dans le solo d’alto je crois entendre le fantôme d’All The Things You Are : phantasme de vieil amateur, sans doute…. Là encore la singularité du compositeur Herbie Nichols affleure, dans la construction, les tensions harmoniques. Et le dernier titre du set, Blue Chopsticks, issu de la même séance du pianiste, voit revenir le sax soprano. C’est encore le terrain pour de beaux échanges, et toujours une manière de tirer, de ce thème déjà riche, de nouveaux bonheurs d’expression.
Dans à peine une demi-heure, le dernier RER quittera la Gare du Nord. Crève-cœur pour le chroniqueur qui, une fois de plus et en raison des suppressions de trains en soirée depuis deux ans (et pour un an encore…. on craint que ce ne soit plus!), doit souvent quitter les concerts avant la fin. Je manquerai donc The Third World, 2300 Skiddoo, et quelques autres thèmes qui ont fait du pianiste Herbie Nichols l’un des compositeurs de jazz les plus importants des années 50.
Déveine, la ligne 4 du métro est fermée en semaine après 22h15. Il me faut donc marcher -le plus vite possible- jusqu’à la Gare du Nord pour attraper le dernier convoi direct pour mes pénates. Sinon c’est une galère sans nom. Mais une fois encore, je suis heureux d’avoir goûté, fût-ce pour un seul set, cette belle aventure !
Xavier Prévost
Prochain concert des Paris Jazz Series le samedi 22 avril : ‘Protocluster’, pour improviser sur des enchevêtrements harmoniques et rythmiques, avec Bertrand Denzler, Pierre-Antoine Badaroux, Benjamin Dousteyssier, Matthieu Naulleau & Antonin Gerbal