Pat Metheny à l’Olympia
Après Nancy et Besançon, Pat Metheny a donné hier soir un mémorable concert en solo à l’Olympia, plein de contrastes et de surprises.
Ça s’annonçait comme un concert intimiste, façon récital au coin du feu : sur scène, seules trois guitares acoustiques et une chaise attendaient la venue du maître, pour son tout premier récital solo parisien. Accueilli comme une rock star ou presque – en dépit d’une relative indifférence médiatique, la dévotion des fans français semble toujours bien vivace ! – notre homme déroule une introduction de toute beauté, avant – chose fort inhabituelle pour lui – de prendre le micro pour s’adresser au public (« Vous pouvez constater que j’ai déjà davantage parlé que pendant tous mes concerts précédents réunis », plaisante-t-il). Il évoque son compagnonnage avec Charlie Haden qui, le premier, l’incita à enregistrer un album entier à la guitare acoustique, le légendaire “Beyond the Missouri Sky” dont il s’apprête à nous donner un florilège : Waltz for Ruth, Our Spanish Love Song, le thème du film Cinema Paradiso… la magie opère au fil d’un long medley à la mélancolie rêveuse, où le jeu aux doigts sur cordes nylon évoque l’univers de la guitare classique.
On aurait pu rester comme ça à léviter tranquillement sur notre petit tapis volant, mais c’était compter sans la facétie de ce bon vieux Pat, qui saisit alors une guitare folk pour se lancer bille en tête dans un vigoureux exercice de « gratte » en accords, faisant tournoyer son médiator sans relâche en montant d’emblée le volume de trente décibels. On s’attendait à atterrir en douceur sur une gentille ballade, mais le voilà qui enchaîne avec une introduction bruitiste radicale à la Derek Bailey, avant d’enchaîner sur une sorte de heavy metal acoustique pour le moins inattendu (voilà sans doute ce qu’il avait en tête lorsqu’il disait que « la guitare peut être tellement de choses différentes à la fois »).
Sans transition aucune, un guitar tech apporte alors sur scène la plus methenyenne des guitares, la fameuse Pikasso à quarante-deux cordes dont la pièce qui suit déploie les fastes orchestraux. Place ensuite à la guitare bariton, dans ses deux variantes à cordes d’acier et nylon, cette dernière utilisée sur le récent album “Moondial” dont le répertoire occupera la suite du concert. On pourrait dire que cet instrument sonne comme une guitare augmentée de la profondeur d’une basse dans les graves, mais on nous explique qu’il faut plutôt le considérer comme « trois instruments à deux cordes que le hasard aurait mis les uns à côté des autres », et dont les registres pourraient être comparés au violon, à l’alto et au violoncelle.
Après plusieurs pistes purement acoustiques, Pat lance une ligne de basse irrésistiblement groovy qu’il fait bientôt tourner dans un looper. Se saisissant alors d’une guitare électrique tendu par le guitar tech, il se lance alors dans une interprétation du fameux Manhã de Carnaval de Luiz Bonfá, aux accents étonnamment bluesy. Suivront deux autres titres dans la même veine, dont une sorte de boogie woogie sur fond de walking bass cradingue.
Déjà près d’une heure quarante-cinq de concert, on aurait pu s’arrêter là, mais Pat en garde encore sous le coude : voilà que, coup de théâtre, un rideau s’écarte en fond de scène pour faire surgir le fameux Orchestrion, cet orchestre de percussions robotique piloté à travers une interface MIDI ! À partir de là, c’est la surenchère : des guitares – et même une basse – montées sur trépieds surgissent de nulle part, tandis qu’un Pat survolté court de l’une à l’autre pour se livrer à un grand exercice de one man band, déroulant une fresque épique façon Pat Metheny Group. Eh, dis donc, vous ne croyiez tout de même pas que vous alliez repartir sans un bon solo de guitare synthé, non ?
Retour au calme initial pour deux rappels acoustiques, dont le désormais classique And I Love Her des Beatles. Au final, on aura entendu ce soir-là une bonne douzaine de guitares, pour à peu près autant d’ambiances musicales : qui dit mieux?
Pascal Rozat