Pau Jazz: Les Égarés sous les flashs
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Les Égarés : Ballaké Sissoko (kora), Vincent Segal (cello), Vincent Peirani (acc), Emile Parisien ( ss)
Jazz à Pau, Le Foirai, Pau (64000)
Ils sont assis resserrés en demi cercle au centre de la grande scène de la salle du Foirail emplie à ras-bord comme d’hab. Pourtant improvisation ou pas, les sons émis, souffles, vibrations résonnent au carré, pans lisses de tout élément virussé, toujours lisibles. Musique à écouter sans effort, à vivre du dedans…Les Egarés, ce pourrait paraître antinomique, un oxymore, célèbrent une certaine tranquillité tout au long de leur parcours scénique. Ils viennent d’horizons divers, musique dite du monde, classique, jazz. Ils ont bien appris leurs partition. Pourtant l’improvisation partagée en mode d’action live prolongée représente de visu leur fil d’Ariane. Ainsi en va-t-il d’effets de cordes de la kora, horizons dessinés, rythmes, rites très africains qu’aussitôt, le sax après l’avoir emprunté, adoubé, alors modèle le tout à la façon jazz d’une patte Parisien orienté vers un virage trans-courant. Une longue pièce à suivre en mouvements continus, contigus. Émile Parisien possède on le sait l’art de secréter des mélodies. Le sax soprano dans son expression directe, doté d’une sonorité très personnelle fait en sorte, justement, qu’elles ne resteront pas secrètes. Qu’elles seront partagées à parts égales. L’accordéon lui, fort de sa surface sonore, de l’élasticité dans l’expression que lui donne Peirani, reste le moteur harmonique autant que rythmique du carré d’As. Il assure le lien.
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Vincent Segal prend la parole. D’un coup d’un seul le voilà qui fustige « deux portables qui filment sans cesse au deuxiéme rang ». Deux jeunes femmes incriminées qui d’ailleurs argumentent, ne se laissent pas marcher sur les pieds. À commencer par ceux ceux nus comme à son habitude de Vincent Peirani, lequel observe l’échange virulent de toute sa hauteur. Incident de parcours, remous dans la salle qui visiblement choisit en majorité de prendre parti en faveur de la requête du violoncelliste outragé par le comportement obstiné des flasheurs et flasheuses à tout va : « J’ai connu un grand photographe de jazz, qui a shooté les plus grands, Keith Jarreth, Miles Davis, Sonny Rollins et consort. Christian Rose ( Référence Jazz Mag ndla) en plein boulot pourtant, depuis la scène, nous musiciens on ne le voyait pas lui » Bon, toutes les intelligences ne sont donc pas artificielles. Ceci posé, dans ces conditions prendre des notes pour rendre compte du concert sans allumer son écran, situation pas commode; ça devient un pari…Trois minutes plus tard, en continuum du concert, Emile Parisien se lève, va au bord de la scène et, plan de cinéma muet, articule des paroles inaudibles mais courroucées, pointant encore du doigt les deux récalcitrantes qui poursuivent le mitraillage numérique…rideau cette fois. Noir revenu. Fin de l’épisode.
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Au delà de ses paroles réactives Vincent Segal maitrise aussi son instrument Sur un thème de Peirani, le travail de son violoncelle se concentre sur le son de l’instrument. En pizzicato sur les cordes à la façon d’une basse ou en précision minutieuse sous l’archet, il en exploite les ressources. Le jeu ouvert offre, pose une série de couleurs mouvantes. En complément, fortes de 22 cordes déployées, la Kora trace les contours de son propre univers. Toujours en lignes très fines. A propos d’univers celui de Joe Zawinul pourrait paraître bien éloigné, sinon décalé de celui du groupe. Pourtant son « Orient Express » revit en hommage avoué. Et le clavieriste d’origine autrichienne qui longtemps cotoya au sein de Weather Report une légende du soprano en la personne de Wayne Shorter ne pouvait deviner que la même nature de sax lui rendrait la pareille bien plus tard au travers des sinusoîdes d’un son si particulier, griffe propre à Emile Parisien, moelleux et acide à la fois. De quoi faire muter -non sans force contorsions corporelles, son autre signature scénique- une ligne brisée en un chant entonné libre avant de passer à une rythmique de danse.
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Ils entrent ainsi dans le jeu parfois en ordre dispersé. Ils laissent volontiers tour à tour le soliste tirer la couverture à lui. À bon escient. Mais Les Égarés de cette espèce rare toujours finissent par se retrouver. Exemple avec ce « Esperanza » de l’accordéoniste Marc Perrone joué en un ensemble parfaitement conjugué. Mélodie joliment métamorphosée en quasi hymne que n’aurait pas renié le chanteur troubadour André Minvielle, un de ses airs favoris, ici en sa terre de Béarn.
Robert Latxague