Jazz live
Publié le 14 Avr 2025

Pau Jazz: Scofield, guitare père tranquille

John Scofield, (g) Vincent Archer (b), Bill Stewart (dm)

Jazz à Pau, Le Foirail Pau, 11avril

D’aucuns dans le droit fil de l’histoire du jazz peuvent penser que le trio de guitare n’a pas la « fame », la réputation, l’aura d’un trio de piano jazz…et pourtant. Quand on écoute celui de John Scofield, on se dit que comparaison n’est pas raison…Bien sur le guitariste qui a côtoyé Miles Davis notamment, mais aussi Jack De Johnette, Charlie Haden, Joe Lovano, excusez du opeu…n’est sans doute pas vécu comme une « figura » de la guitare jazz ou fusion tels un Mc Laughlin, Bill Frisell ou encore Pat Metheny – aux côtés duquel il a joué pourtant- Avec un palmarès d’une trentaine de disques sous son nom il représente à ce jour, à 73 ans, quelque chose comme un « père tranquille » de son instrument Sur sa Gibson customisée -« J’avais un copain spécialiste du truc à New Nork, alors je lui ai demandé de m’y adapter des micros spéciaux » racontait-il très cool, disponible à François, un ami, guitariste lui même et curieux de la présentation de sa guitare, backstage après le concert, un verre de vin à la main. 

Et comme pour illustrer, signer ce propos Scofield avait choisi de débuter son concert palois sans chichi, sans un mot non plus, à peine un petit signe de la main à l’égard du public, par un standard du be-bop: « Blue Monk » entrepris dare-dare, thème vite envoyé histoire de basculer tout de suite dans l’essentiel. Soit un développement solo au naturel de la part d’un guitariste étalonné désormais tout terrain, jazz, blues, avec extension blues-rock par affinité. John Scofield possède un son à lui, petite saturation, un tantinet d’épaisseur transpirant de ses cordes qu’il sait faire glisser ou tendre sous ses doigts. Derrière, la rythmique qu’il convoque depuis son album Uncle’s John Band (2023) roule son train habituel, carrée, solide, à son écoute comme à sa main. Au passage, n’est-il pas quelque part singulier de voir un batteur de l’envergure de Bill Stewart se contenter d’un set de batterie au plus simple appareil question quantité de caisses et cymbales ? Sauf qu’il en fait un usage maximal. 

Bill Stewart

Le concert près de deux heures durant s’avère plus un parcours qu’un voyage. Les thèmes s’enchainent, sans réelle montée en tension, sans effet de surprise. Pour présenter «  Drinking » il prend la parole enfin, fait l’effort de quelques mots de français. Et plaisante sur cette bribe de savoir linguistique ainsi exposé. Plutôt de tonalité soul blues ce morceau, toujours teinté de cette sonorité caractéristique, chaude un peu acide tout de même, propre à ce type de guitare Gibson 335 favorite des bluesmen de Chicago et d’ailleurs ( lui se dévclare fan de Albert King par exemple…) Il insiste en ce sens sur les attaques de note, les passages d’accords rythmiquement marqués comme autant de bornes sur le dit parcours. Puis vient un bout de discours plus délié, plus fluide Avec « Old man » -ça ne s’invente pas- le paradigme jazz est de retour.  Derrière ça joue aussi plus aérien, tempo ternaire. Scofield y fait chanter son manche, en finesse, sonorité légèrement réverbérée, des gouttes fines de  lyrisme livrées en cadeau. Il nous la fait « Slow hand » comme on qualifiait autrefois Eric Clapton, avec un travail sur les cordes, en appui franc, en glissando ou même tirées pour modulation. Contrairement à nombre de ses confrères aujourd’hui il n’utilise pas ou très peu de pédale d’effets. Le contrôle de l’intensité  s’opère direct sur le bouton de volume à même la guitare. Il y a de l’artisanat encore dans le jeu de John Scofield. Ce qui ne l’empêche pas de tourner au besoin autour de la rythmique, Vince Archer et sa basse gros son, volubile, auteur notamment d’un solo de tempérament très funky.  Bill Stewart, batteur complice créateur de climat, toujours très à l’écoute. Le guitariste originaire de l’Ohio reprend la parole pour un dernier trait d’humour souligné d’un petit sourire timide « Nous venons de vous jouer un morceau qui n’a pas encore de nom attribué…ce pourrait être Blues for Pau, tiens, pourquoi pas ? »

Vince Archer

 Deux thèmes d’apaisement pour terminer sur une note pastel histoire d’entrer sereinement dans la nuit « Easy to remember » standard tiré du song book de Richard Rogers. Scofield en profite pour y placer un modèle d’introduction en accords clairs dessinés, seul avec sa guitare. Suivra une longue balade sorte d’histoire sans paroles étirée en douceur, accompagné par le son d’une basse précise, discours clair, étoffé en soutien tout au long. Enfin  « Ida Lupino » dû à la plume experte de Carla Bley coule en un feeling profond mis en partage, manière bien sentie d’une complainte offerte en bonus par le trio.

John Scofield signe le Hall of Fame de Jazz à Pau

Robert Latxague