Pau: Tigran, pour une mise en scène jazz
Dans sa présentation du concert du soir Stéphane Kochoyan, maître de cérémonie sur cette dite première saison de jazz à Pau insiste pour remercier la presse locale paloise par rapport au concert du mois précédent. Plus tard il justifiera sa démarche singulière « Ce n’est pas tous les jours qu’un journaliste d’un titre de la PQR affirme qu’une telle musique s’adresse à et peut intéresser TOUS les publics. Surtout à la sortie d’un set de Kenny Garreth, lequel n’a pas spécialement fait de cadeau ce soir là question densité et relief du contenu musical proposé…»
Tigran Hamasyan (p), Rick Rosato ( b) Jonathan Pinson (dm)
Jazz à Pau, Foirail, Pau (64000), 11 mars
Question de mise en place ou façon très directe d’imposer sa manière, sa patte pianistique ? Tigran -on ne donne souvent que son prénom, à l’égal de son collègue pianiste serbe Bojan Z, sans doute parce que son nom n’est pas si simple à orthographier sinon prononcer -se plaît à concentrer son jeu au centre du clavier en rafale d’accords successifs ( Laura ). Il fait montre ainsi d’un jeu aux formes très serrées. On le perçoit clairement au travers de phrases plutôt compactes comme à sa façon systémique de rechercher l’appui de la basse, de sa marque du temps pour au final s’y soustraire, s’en démarquer. Dans ce jeu en triangle Jonathan Pinson, lui aussi souvent en quête d’échappées belles, règle au besoin le curseur des intensités tel un généreux fournisseur de frappas et autres roulements en gage de relief marqueurs des moments d’improvisation. Au total, à l’instar de son album «Standards» les phrases, les séquences produites via le trio visent à générer, à mettre des images en commun.
Tigran Hamasyan, surgi fort jeune dans le monde du jazz hexagonal s’est affirmé de toujours très libre dans son langage pianistique, très entreprenant dans la construction de son discours. En mode live il s’attache à varier les couleurs, à rechercher la surprise dans le contraste ( De-Dah ) Ainsi en cours de ce concert palois s’affiche-t-il un instant comme attiré par des coups formels donnés sur le clavier dans le registre des graves. ( I didn’t know what time it was ) Histoire d’élargir la palette le voilà qui va chercher très vite après des flux d’air libre, des espaces côté aigues cette fois avec force grappes de notes.
Tigran joue sur l’intensité, les appels en tension. Il se plaît au besoin à installer une certaine dramaturgie dans ses pièces ( Road song ). Puis le thème définitivement exposé, au fil des parties solos la tempête s’apaise, dans le ventre du piano. Les notes se délient. Quand elle survient, la balade ( I should care ) calme momentanément le jeu. Le trio en phase avec son leader économise alors ses effets. Le « Big Foot » emprunté à Charlie Parker pousse naturellement à ré-accélérer le tempo. La virtuosité s’invite à nouveau à fleur de clavier, avalant au passage des goulées de notes lancées en une verve «bebopisante» .
Le rappel arrive enfin: le pianiste arménien choisit de le truffer de petites miniatures, phrases courtes travaillées au plus près de la mélodie. ( Vardavar ) Avec toujours un même souci de musicalité.
S’il fallait, pour une meilleure exposition des talents qui,sait, mélanger certaines formes d’art surgis au XXe siècle, Tigran Hamasyan sans nul doute serait à classer comme pianiste…metteur en scène.
Robert Latxague