Paul jarret, Julien Soro, Ariel Tessier: doux chiens musiciens
Le trio Sweet Dog (Julien Soro, Paul Jarret, Ariel Tessier) a improvisé en direct au Triton et c’était formidable.
Sweet Dog avec Julien Soro (ténor sax) , Paul Jarret (guitare, effets), Ariel Tessier (batterie), Le Triton, 16 septembre 2021
Julien Soro, Ariel Tessier, Paul Jarret… Ces trois musiciens, membres du riche et créatif collectif Pegazz-L’Hélicon, ont constitué un groupe d’improvisation pure et sans concession. Ils se connaissent, se reniflent (d’où leur nom de Sweet Dog ?) et s’anticipent. Dans leurs meilleurs moments ils transforment l’improvisation en composition instantanée à plusieurs.
Chacun de ces doux chiens maîtrise et utilise toute la palette de son instrument. Julien Soro (de plus en plus au ténor ces temps-ci) passe d’éruptions gatobarbieresques à des suavités getziennes au ralenti. Il travaille le temps tout en douceur, comme un Stan Getz qui ferait le moonwalk avec son saxophone (j’admets que l’image exige un peu d’imagination). Paul Jarret dose ses effets, envoie des lambeaux de brouillards, ou des grésillements hystériques, fait apprécier la beauté de son toucher et son sens mélodique à la guitare. Jamais une note n’est perdue. Quant à Ariel Tessier il fait alterner l’orage et des symphonies minimalistes et feutrées où si l’on croit reconnaître en fermant les yeux grillons, coups de becs d’oiseau, fantômes marchant dans un grenier.
Parfois la musique est furieuse, sauvage. Ça sarcle et ça râcle. C’est rêche. C’est comme s’il fallait tout détruire avant de pouvoir tout recommencer. De ce déluge de fer et de feu jaillit alors une chanson ingénue, qui vole au-dessus des cendres fumantes.
C’est très impressionnant de voir ces trois musiciens improviser en direct des compositions qui ont un début, un développement, un milieu, une fin, qui ne se répètent pas ou très peu, qui ont des montées et des descentes. C’est du funambulisme à plusieurs. La temporalité devenue argile, est façonnée de mille manières : temps troués, temps dissous, temps boursouflés, temps fractionnés. Le degré de connection musicale qu’il faut pour pétrir ainsi le temps à plusieurs laisse pantois. Quand on sort de là, on ne sait plus très bien où on en est. Est-on là depuis trente minutes ou trois heures ? J’ai souvent constaté que quand la musique fait perdre la notion du temps, c’est qu’il se passe quelque chose. Avec ce groupe d’improvisateurs funambules et radicaux, il se passe vraiment quelque chose.
Texte JF Mondot
Photos : Cristèle Dumas