Paul Lay et Beethoven: esprit piano jazz
De quoi s’agit il au fait s’il faut en croire les courtes explications liminaires du pianiste invité à clôturer cette 14e édition bordelaise du festival l’Esprit du piano ( voir aussi le compte rendu du concerte de Rolando Luna dans Jazz Live ) ? « Je vais vous jouer du Beethoven lu et revu par un pianiste de jazz » (sic) Un propos qui dit des choses que l’on n’est pas obligé de saisir immédiatement en découvrant cette musique jouée dans une version live. De quoi nécessiter au delà du sentiment de l’écoute vécue, en complément de ce compte rendu, quelques éléments d’analyse du concert via un entrelardement de justifications recueillies de de la bouche même du pianiste avant d’entre en scène.
Paul Lay (p)
L’Esprit du Piano, Le Rocher de Palmer, Cenon (33150)
Avec cette version du Bagatelle écrit de la main du compositeur allemand on bascule tout de suite d’une mélodie primesautière ancrée sur des accords donnés en tempo très régulier dans leur métrique en une séquence de piano stride, un exercice de ragtime particulièrement enlevé: « Il me plait de varier les rythmes, de pouvoir colorer les accords » Paul Lay s’y emploie donc sur la scène bordelaise notamment à grands coups de clusters frappés drus sur les basses du piano. La séquence suivante illustre dans son ampleur, une sorte de sérénité offerte sur le clavier, reflet musical de la visite que le pianiste fit à Heiligestad ( titre donné du coup à une de ces compositions écrites à Vienne justement ), ce quartier de la capitale autrichienne où résida Beethoven. On peut ressentir alors une certaine fidélité à l’ambiance, le climat des pièces originales du dit « maître ». Au delà de cette (re)connaissance du compositeur choisi, le pianiste entend toujours se nourrir de son biotope favori. Celui des terrains du jazz: « Comme jazzman mon postulat de base c’est de traiter chaque morceau de Beethoven comme je le ferais d’un standard de jazz.» Paul Lay, y revient, insiste sur ce mix de mat!ère dans sa composition Vienna in blues. Dans le même temps, fruit du travail de composition graphique des étudiants de l’Ecole des Gobelins sur l’écran en aval du piano les images défilent à la verticale, dessinant une géométrie du carré sur des grappes de notes plutôt rondes, couleurs entre notes bleues et rouges diaphanes pour aboutir à un champ de roses en mouvement circulaire. Des veines de jazz donc. Et de blues aussi « Même si d’aucuns tendent à penser que ces mondes sont loins de celui de Beethoven » analyse Paul Lay. Dans son jeu en live le blues est au rendez vous donc, en premier plan maintenant s’il vous plait (Vienna in blues) Le pianiste bat la mesure de son pied droit. On figure bel et bien dans la tradition. Sur le Water drops composé également mais par temps humide toujours lors lors du séjour viennois, le propos pianistique plutôt ici rythmiquement enlevé va se mixer illico avec des images tombées en gouttes. Effet un peu facile sans doute.
Viennent deux « hits « – Paul Lay se plait à les nommer ainsi- de Beethoven: une Lettre à Elise « détournée » selon l’expression même du pianiste orthézien. Suivi du très fameux Clair de lune, objet d’une mélodie romantique parfaite. Sous les doigts du pianiste circulent d’abord avec une fidélité marquée des notes de Ludwig Von tout de même…On ne refait pas l’histoire ? Pourtant Paul Lay y vient. C’est sa nature. Il improvise malgré tout: « Sur une scène je me sens pianiste vivant lorsque je me confronte à l’inattendu, aux bonnes surprises de l’impro » Il n’en fait pas forcément part surtout lorsque l’objectif du concert est d’illustrer pianistiquement le génie de Beethoven (et pour l’année qui vient, travail prioritaire en 2024 de revenir sur le brio du Rapsody in Blue de Gershwin, autre monument plus proche du jazz celui là) Pourtant Paul Lay aime aussi à écrire des thèmes personnels. Ainsi en va-t-il « Des sourires et des ombres. Explication: « Cette composition a été écrite pour « tous les déracinés de leur terre » Elle résonne d’ailleurs au présent avec l’actualité sombre du moment, à Gaza par exemple. Sur le clavier le pianiste y démontre une facilité certaine à donner du relief à son expression, fort de deux mains activées en mode complémentaire.
On note alors un vide de quelques secondes de silence à la fin du morceau. Moment pas habituel dans un concert de jazz. Pas de réflexe d’émotion immédiate donc. Le public de l’Esprit du piano se veut être marqué comme respectueux. Une partie tient a garder sans doute le réflexe des concerts de musique classique. Dans ce process final le pianiste lui, fixe alors son regard sur l’avatar du globe terrestre tournant sur lui même, projeté en gros plan sur l’écran.
En mode de bis vient l’iconique Round about midnight de Monk. Un blues en mode de dessert pianistique en quelque sorte, livré avec sa découpe habituelle de mesures. Ce fil rouge aboutira pourtant à une sorte d’élégie en notes bleues posées en douceur…En incrustation sur l’immense écran couvrant tout le fond de scène les cinq étudiants de l’Ecole des Gobelins projettent en conclusion des images mouvantes…rouges autant que bleues.
Bon: un tel champ d’expression pianistique marqué par des repaires, des rendez vous « historiques » obligés ne représente pas forcément le terrain privilégié en dépit de ses qualités d’improvisateur, pour un pianiste de l’envergure de Paul Lay. On l’aura vu, écouté plus extraverti, davantage libéré dans d’autres contextes plus jazzifiants.
Mais de Beethoven à Thelonious Monk, au Rocher, ce soir là entre des mains expertes, question esprit du piano, in fine la boucle était bouclée.
Robert Latxague
(Photos Robert Latxague)