Pédron / Rubalcaba, démoniaque et miraculeux
Il fallait une loupe hier pour lire les noms de Pierrick Pédron et Gonzalo Rubalcaba sur les billets d’entrée au concert dont ils assuraient la première partie.
Peut-être signifiait-on par là que leur musique serait discrète par rapport au tohu-bohu qu’est devenu l’ordinaire de l’art de sonoriser. En fait de discrétion, la qualité de leur écoute mutuelle, leur rapport au silence et au son, leur sens des contrastes, entre pianissimo et fortissimo, entre la retenue des miroitements et l’autorité du percussif, entre le point d’orgue et le piqué, le goutte à goutte et le torrentiel, la patience et la précipitation, le plein et le délié, le gras et le maigre, la netteté et la souillure, tout ici relevait d’une organisation miraculeuse de l’espace préservant la fraîcheur de ce qui fut un miracle de production phonographique : l’album « Pédron / Rubalcaba » produit par Laurent de Wilde sur son label Gazebo, sur un programme imaginé par Daniel Yvinec, dont Pédron en fin de concert nous rappela – même journaliste averti, on l’oubliait – que les arrangements étaient, pour la majorité des titres, conçus par cet autre pianiste, dont on est loin de cerner l’atypique personnalité, Laurent Courthaliac. La révélation tardive de ce dispositif quelque peu démoniaque – l’art de l’arrangement, à l’œuvre derrière le rideau, de ce qui se présente comme impromptu – conférait une lueur particulière au miracle de cette musique qui fut enregistrée sans préalable et sans casque et qui nous était hier restituée, cependant inédite parce que totalement remise en jeu et d’une fraîcheur entièrement renouvelée. Sur ce, nos deux magiciens furent interdits de répondre aux chaleureux rappels du public – visiblement ému, Pédron s’étant perdu dans des présentations certes trop longues – pour laisser place à la tête d’affiche. Ayant jeté un coup d’œil à ma montre en me rappelant soudain que j’avais laissé mijoter sur le feu un gigot de sept heures pour mes invités du week-end, je quittais précipitamment le concert après le premier morceau du pianiste Harold Lopez-Nussa, pour rentrer dans ma lointaine banlieue, jouissant dans les transports en commun du retour en bouche des saveurs toujours inattendues et si merveilleusement contrastées dégagées par le duo par leurs versions de Lawns (Carla Bley) et Ezz-tetics (Georges Russell), Si tu vois ma mère (Sidney Bechet) et The Song Is You (Jerome Kern), Five Will Get You Ten (Jakie McLean) et The Folks Who Live On The Hill (encore Kern), etc. Franck Bergerot