Pierre-François Blanchard et Thomas Savy au Bal Blomet
Le pianiste et le clarinettiste se produisaient à guichet fermé dans le cadre des Jeudis Jazz Magazine pour saluer la sortie du disque “#Puzzled”, “Révélation !” de notre numéro de février et au sommaire de celui de mars.
Par Franck Bergerot
Ayant rendu compte, il y a un an , de la création de ce répertoire dans l’intimité du Petit Duc à Aix-en-Provence (le 18 février 2022), saurai-je rendre compte de ce concert de sortie de disque sans me répéter ? J’essaierai bien car, la surprise en moins, l’émotion est intacte.
Première impression que les ostinatos des deux premiers titres font apparaitre sur le piano de Pierre-François Blanchard : le souvenir des Children Songs de Chick Corea, impressions due probablement à une simplicité (certainement non dans le faire mais dans le rendu), un côté miniature et minimaliste.
Pourtant, au fil des titres, le discours pianistique s’avère dense, mais nullement obscur, impénétrable ou envahissant : tout est ici intensément lumineux jusque dans le clair-obscur. Et par ailleurs, on oublie vite Corea, pour une autre référence, qui s’impose peut-être à moi en souvenir du disque “Le Secret” de Marion Rampal auquel Blanchard collabora : une certaine musique française postromantique de l’entre-deux siècles, de Fauré à Poulenc. Je me souviens qu’à Aix, Thomas Savy m’avait corrigé : « plutôt Milhaud. » Va pour Milhaud. Mes références sont assez floues ne fréquentant pas tant cette musique (qui est en fait plurielle, couvrant plusieurs décennies), étant moi-même plus attiré en ce qui concerne cette époque par les productions musicales de la Mitteleuropa ; voire assez allergique à cette art de la mélodie française que des interprétations comme celles de Marion Rampal m’ont fait redécouvrir. Comme si la triple association de ce monde pianistique et harmonique avec les voix lyriques en vogue dans les salons de la Troisième République et les textes français des grands et petits poètes de l’époque produisaient une sorte de lourdeur suscitant chez moi l’indigestion. L’abandon de cet “art bourgeois” au profit de voix “naturelles” (au grand dam des connaisseurs) libérant ces mélodies soudain merveilleuses de ce qui me les rendait indigestes. Chacun ses tolérances et allergies, telles sont les miennes.
On passe du coup des compassions du salon à la légèreté du cabaret. Cette sveltesse de l’expression que Blanchard a apprise notamment de Pierre Barouh dont il fut le compagnon de scène. Est-ce du jazz ? Est-ce du classique ? Il est certain que si l’un ou l’autre n’avait pas existé, cette musique ne serait pas, comme bon nombre de musiques qui ont droit de cité sous l’appellation jazz aujourd’hui. Et l’art de l’improvisation ? Il nous file ici entre les doigts. On ne sait le démêler d’une écriture serrée, et pourtant l’impromptu est là, permanent, au cœur de formats plutôt courts, pudiques et concis au profit d’une expression maximale.
Interprète souple et ponctuel, tendre et précis de partitions néanmoins exigeantes, investi de la tête au cœur, Thomas Savy – je l’ai déjà noté ailleurs à son sujet – est d’une émotivité qui touchée au travers de l’armure du savoir-faire, est capable de dérapages intrépides, d’ellipses vertigineuses, d’énigmes sidérales que je ne me souviens avoir jamais rencontrées que chez Wayne Shorter.
Prochain concert Jazz Magazine au Sunside le 14 mars avec le trio du pianiste espagnol Daniel García.