Jazz live
Publié le 30 Avr 2018

Pierre François MAURIN, AJMI Jazz Club : Tribute to Ornette Coleman

Trois jours avant le Jazz Day (30 avril), la scène de jazz avignonnaise de l'AJMI accueillait, après une résidence de quatre jours, le quartet du contrebassiste Pierre François MAURIN pour une création en hommage au saxophoniste texan Ornette Coleman. Outre le fait qu'il est toujours passionnant d'assister à la mise en place d'un nouveau projet, à ses répétitions ultimes, voilà l'occasion de braquer les projecteurs sur un musicien discret, timide même qui, s'il est connu comme sideman dans le sud est, peut enfin concrétiser un rêve de leader.

Quartet Pierre François Maurin
Hommage à Ornette Coleman OPEN OR CLOSE

Pourquoi  ce contrebassiste a t-il choisi de rendre hommage à ce musicien singulier,  souvent controversé sans qu’il ait la moindre intention de choquer, qui fut tout de même le leader de groupes novateurs, s’associa au London Symphony Orchestra (Skies of America), ou au Prime Time avec Pat Metheny?

A mon arrivée à l’Ajmi, en ce début de long week-end de pont, le quartet est en piste, le saxophoniste ténor Jean Baptiste Berger en plein chorus et je me demande un peu naïvement comment un contrebassiste se saisit de la musique d’un saxophoniste. Ornette Coleman connaissait par cœur les maîtres de l’instrument, Charlie Parker, Lester Young mais il a cherché à les suivre sans recopier, en dynamitant même leur style.

(Bruno Rumen)

J’aurai  bientôt une partie de la réponse : Pierre-François Maurin a découvert la musique de Coleman à Marciac en 2007 mais pour cet hommage oblique,  le véritable passeur  est  Charlie Haden,  contrebassiste historique du quartet colemanien.

Amoureux de la basse, des cordes en boyaux, du jazz acoustique, années soixante, Pierre François Maurin a aussi un autre quartet avec chanteuse, autour de Nat King Cole.

L’idée de ce projet est née lors de jams mises en place à l’Ajmi par Pierre Villeret, le précédent directeur artistique, qui, l’ayant entendu jouer  lors du Jazz Day de 2015, lui a proposé une résidence. Le musicien a alors l’idée de constituer un quartet sans piano Open or Close, avec des camarades qui partagent les mêmes convictions et attachements musicaux.  Le quartet est ce qui résume sa différence en jazz, écrit Francis Marmande, à propos d’ Ornette Coleman (on peut relire d’ailleurs avec profit sa notice dans l’incontournable bible qu’est le Dictionnaire du Jazz de la collection Bouquins).
Le groupe s’est alors formé avec le guitariste niçois d’origine, Philippe Canovas, avec lequel Maurin tourne dans le trio Jim ( en référence à Jim Hall). Le guitariste fait aussi partie d’un autre trio Tu danses, inspiré par Coltrane, Motian, mais il se produit aussi avec The Shoplifters qui relit la pop anglaise, Cold wave, Lou Reed…

 

(Bruno Rumen)

 

Quant au batteur Matthieu Chrétien qui a suivi la classe jazz de Jean François Bonnel au Conservatoire d’Aix en Provence,  il aime aussi l’électro pop.

(Bruno Rumen)

Comment s’est arrimé à cet équipage sudiste le clarinettiste et saxophoniste rémois Jean Baptiste Berger ? On le connaît à Avignon depuis sa participation au Tremplin Jazz 2014, avec le groupe Cadillac Palace qui obtint le Prix du public. Il a tourné depuis dans le trio et le septet de Guillaume Séguron, Nora Feedback. Mus par cette  envie des jazzmen de jouer ensemble, de confronter leur univers, ils ont fini par se rencontrer et improviser en groupe en juin 2017, pour un concert à Marseille sans véritable répétition, dans une salle associative, rue des Dominicaines, près de la bibliothèque BMVR de l’ Alcazar. Entente immédiate et concrétisation avec la formation de ce quartet dont le nom « Open or Close » (composition de Coleman) fait référence à un groupe pourtant sans Ornette, remplacé par Dewey Redman, avec les habituels Don Cherry, Charlie Haden, Ed Blackwell, dans Old and New Dreams, autre coup de coeur sorti chez ECM en 1979.

(Bruno Rumen)

 

Pierre François Maurin a vite abandonné l’idée d’écrire à la manière d’Ornette : en toute simplicité, il a décidé de reprendre quelques compositions, de les relancer avec des arrangements soignés. Mais justement que choisir dans la vaste production du Texan, comment se réapproprier les morceaux ? Assez spontanément, une sélection s’est imposée, sans surprise, autour de la musique des débuts, bien avant le manifeste Free Jazz pour deux quartets de 1960 (à la pochette culte de l’expressionniste abstrait Jackson Pollock ).
Le programme tourne autour de Something else!!! The music of Ornette Coleman de 1958 sur Contemporary ( personnel : Walter Norris (p), Don Cherry ( cornet), Billy Higgins (dms), Don Payne (b) ) avec « The Blessing », « Invisible », « Round Trip »; « Rejoicing » and « Turn around » se retrouvent sur Tomorrow is the question (1959) (personnel : Percy Heath ou Red Mitchell (cb) Shelly Manne (dms) , Don Cherry (tp). « Ramblin » est sur The Change of Century qui marque le début de la collaboration avec Atlantic, en 1959, une grande année (personnel : Charlie Haden (cb), Billy Higgins (dms), Don Cherry (pocket tp)). Il n’est pas indispensable cependant de connaître son Ornette sur le bout des doigts pour apprécier la musique du quartet, on reconnaîtra vite le fredon de ses mélodies, si attachantes qu’elle ont engendré des standards comme le mythique « Lonely Woman ».

Avec le quartet, le contrebassiste a essayé de retracer un portrait cohérent, généreusement expansionniste, où la musique prend de nouvelles directions, avec une liberté de tous les instruments, toujours surveillée. Des airs légers, un tempo qui peut fluctuer d’un certain « alanguissement » à une ligne vigoureuse et droite car la pulsation règne, souveraine, due à une formidable section rythmique, d’une grande précision, qui donne son ampleur à l’ensemble. Le coeur tonal est constitué de la basse, chantante sur lequel peuvent s’envoler les solistes qui s’épaulent et jamais ne s’affrontent. Le quartet fait partager très vite son désir de musique : pas une intervention qui ne soit un plaisir de swing et de mélodie. Les arrangements de PF Maurin maintiennent une certaine diversité, d’une composition à l’autre, selon un ordre judicieusement établi. Pour évoquer sans reproduire. Un répertoire éclectique et pourtant homogène, puisque tous arpentent les mêmes rivages, à la recherche d’un horizon partagé.
L’introduction du set est de Philippe Canovas, un « Open bar » enchaîné avec  » The Sphinx » aux accents country; suivra du binaire funky dans « Rambling » avec un nouveau solo de Philippe Canovas. Un « Invisible » très harmolodique ( la mélodie n’est pas toujours en rapport avec l’harmonie, mais la pulse est là); « Round trip » , qui après une intro guitare/sax vire au rock en final. Un « Open or Close » à la clarinette, au son boisé teinté de nette africanité. Une envie de surprendre, de partir sur les traces d’ Ornette Coleman, ouvert, comme  Jimmy Giuffre, natif lui aussi de Fort Worth, à toutes influences, blues, rock, folk, et jazz bien sûr, du be bop à un  drôle de free. Déroutant sans le vouloir mais déterminé dans sa vision,  Ornette s’accrochait résolument à une ligne musicale maîtresse, la sienne.
Si on devait trouver un temps fort, ce serait la reprise du mélancolique « Lonely Woman » (sur The Shape of Jazz to Come, toujours de 1959, sur Atlantic) où, sur un tempo ralenti, le ténor lyriquement effusif, élève sa plainte, soutenu par la guitare qui expose le thème, littéralement obsédant. Les deux reposent sur une ossature rythmique impeccable, audacieuse, jamais forcenée. Lui correspond, en miroir, une autre ballade de Pierre-François Maurin, intitulée « Nedah » (lire Haden évidemment) introspective autant que passionnée, une valse à trois temps servie par JB Berger à la clarinette, vibrant et jamais rageur, fougueux et sensible.
Le quartet joue au plus près, sans mise en scène des egos. Avec une égale répartition des rôles. Comme une fratrie musicienne, alors que tellement de musiciens jouent sans trop se regarder…Humble et joyeux, respirant un même air, dans le souffle même que donne le jazz, comme dans ce « Rejoicing » bien nommé. Les titres des compositions comme des albums ne trompent pas dans l’écriture d’Ornette.
Une impression soyeuse pour une musique fraîche, sans nostalgie, qui tout en vous enveloppant, dynamise. L’ensemble est fragile et pourtant assuré, poussant toujours plus loin l’effet de proximité avec le public, jusqu’au rappel, un « Turn around » particulièrement entraînant.
Néanmoins, pour cette création, le quartet est aux aguets, dans une interactivité de tous les instants, ne s’autorisant pas la jubilation d’un relâchement, quelque peu solitaire. Toujours cette extrême attention au collectif. Un de leurs atouts majeurs est que, répondant comme un seul homme aux codes et références communs, les quatre se rejoignent pour atteindre une justesse stylistique. La mémoire d’une certaine musique se rejoue au présent, la forme initiale se métamorphosant autour de l’improvisation.

Habile mélodiste, le contrebassiste étoffe le registre des graves avec une sensibilité à fleur de cordes, sachant se jouer des timbres, du ténor solaire à la guitare plus chagrine. Des séquences doucement rêveuses qui peuvent aussi enfler en crescendos avec volutes free sonnants du sax et déferlante sèche, essentielle de la batterie, roulements, tam tam des fûts, avec le contrepoint délicatement ourlé de la guitare très cristalline, hypnotique souvent, faussement indolente.
Retrouver l’élan, l’énergie, le décalage et les écarts mélodiques de la musique colemanienne (« a single organism with multiple hearts »), tel était le pari, réussi. On ne reste pas insensible à la musique de cette formation soudée, sincèrement engagée dans un jazz aimé, que l’on aura plaisir à retrouver lors de ce micro-festival de jazz au coeur du festival d’Avignon, l‘AJMI JAZZ FOCUS, cet été en juillet, du jeudi 19 au samedi 21 juillet. Retenez les dates.

Cet Open or Close de qualité, sortira d’ailleurs, en format numérique, sur le label Ajmi Live ( http://www.jazzalajmi.com)  puisque la musique fut enregistrée vendredi soir. Avis aux amateurs!

 

Sophie Chambon