Pierrick Menuau « Togetherness Ensemble »
Le 9 mars au New Morning, Pierre Menuau nous offrait cette résurgence rêvée de la musique imaginée par Don Cherry en 1965. C’était il y a près cinquante-sept ans, c’était il y presque une semaine. Dans un cas comme dans l’autre, en débit des estompes de la mémoire, le souvenir en reste vif.
Togetherness Ensemble : presque un pléonasme si le substantif ensemble ne désignait pas ici, très factuellement, une formation orchestrale, le quintette du saxophoniste Pierrick Menuau (ténor) avec Yoann Loustalot (trompette, bugle), Julien Touéry (piano), Sébastien Boisseau (contrebasse) et Christophe Lavergne (batterie). Mais le quintette ici réuni mérite son qualificatif d’Ensemble – « être ensemble » – au même titre que son nom « Togetherness » (Unité) et qui est aussi le titre d’une longue suite enregistrée par Don Cherry, avec Gato Barbieri (sax ténor), Karl Berger (vibraphone), Jean-François Jenny-Clark (contrebasse), Aldo Romano (batterie) à Paris en 1965. Soit quelques mois avant l’enregistrement new-yorkais de « Complete Communion » (avec Barbieri, Henry Grimes et Ed Blackwell). Différents ensembles qui partagent les qualités associées aux concepts de « complète communion » et d’« unité ».
Figure active de la scène jazz des Pays de Loire, respecté pour son travail pédagogique au Conservatoire d’Angers, Pierrick Menuau avait présenté une première mouture de son travail en 2017 avec le contrebassiste Santi Debriano et le batteur Barry Altschul. Le choix de ce dernier ne relevait pas du simple effet « american guest star », si l’on songe à son rôle dans l’histoire d’une certaine conception de la liberté en jazz, rôle pionnier auprès de Paul Bley dès 1965, alors que le pianiste se trouvait totalement impliqué dans l’aventure free, en délicat équilibre entre l’abandon du tempo et l’essence du swing (« Closer », « Rambling »), crête que Barry Altschul continuera à fréquenter en tandem avec Dave Holland auprès de Chick Corea (« The Song of Singing », « A.R.C. »), puis Anthony Braxton (« Circle », « Five Pieces ») ou Sam Rivers (« Hues », « Sizzle »).
Outre cette sensation d’unité à laquelle la formation européenne de Don Cherry était parvenue sur un répertoire-parcours multithématique très malléable invitant au glissement spontané et collectif d’un thème à l’autre, il y avait cette joie du jeu qui en résultait. Et c’est sur cette joie que Pierrick Menuau remporte son pari en entrainant ses compères dans la prise de possession jubilatoire des motifs du quatrième mouvement de la suite Togetherness et des partitions originales que lui a inspiré ce formidable antécédent.
Si la brèche spacio-temporelle qui s’est ouverte avec le Covid nous prive de la caution des « amis d’Outre-Atlantique », l’adoption de Sébastien Boisseau et Christophe Lavergne n’a rien d’une jambe de bois. Leur vieille complicité, explose dans cette art de la jouissance rythmique et de l’improvisation interactive, cet art d’être ensemble, cette connivence de la corde et de la baguette dans l’expression du swing, avec en plus cette mémoire de Jean-François Jenny-Clark qui perle sous les doigts de Boisseau. Ce qui n’est rien dire de la façon dont Pierrick Menuau et Yoann Loustalot s’approprient, chacun à sa façon, les rôles autrefois tenus par Gato Barbieri et Don Cherry. Quant à Julien Touéry, il s’empare de la place qu’occupait autrefois Karl Berger, la réinvente, en y introduisant même sa propre écriture, en lui donnant tout à la fois une consistance qui lui faisait défaut en 1965, et en préservant le sens de l’espace et de la transparence harmonique nécessaire à cette musique de l’apesanteur. Cet orchestre est chaud bouillant. Il doit tourner ! Sur les scènes comme sur nos platines (Pierrick Menuau « Togetherness Ensemble » Tinker / L’Autre Distribution) ! Franck Bergerot (photos © Xavier Prévost)
Ps: en première partie, une autre figure discrète de la scène des Pays de Loire, le pianiste Cédric Piromali, découvert il y a des lustres au concours national de jazz de la Défense au sein d’un formidable trio avec Sébastien Boisseau et le batteur Nicolas Larmignant. Retrouvé ce 9 mars sur un répertoire solo dévolu à Billy Strayhorn, revisité selon des détours tellement monkiens, tellement piromaliens devrais-je dire (être monkien, n’est-ce pas finalement être soi-même), qu’ils m’ont dérouté de toute identification de Billy Strayhorn.