Pinktown Quintet, Steeve Laffont Trio & Costel Nitescu à Saint-Gaudens
Pinktown Quintet : Adrien Dumont : trompette, bugle, Alessandro Torsiello, sax ténor, Philippe Léogé, piano, Denis Léogé, contrebasse, Jordi Léogé, Batterie.
Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 1er mars
Ce quintette de la Ville rose a tout d’une affaire de famille. La Ville rose, c’est, comme chacun sait, Toulouse, longtemps fief de Philippe Léogé. Pianiste, arrangeur, directeur de Festival, pédagogue, ce dernier, bien connu dans la région et au-delà pour son activité dans le domaine du jazz, jouit d’une solide réputation. Quant à la famille, il s’agit de la sienne. En l’occurrence ses deux fils qui ont hérité de leur géniteur le goût pour la musique. Il leur a mis le pied à l’étrier pour constituer une rythmique plutôt fringante – même si on l’eût souhaitée parfois moins timide. Elle propulse deux jeunes souffleurs à qui on peut, sans grand risque, prédire un bel avenir. Ils se meuvent avec conviction dans un univers dont ils maîtrisent déjà les codes, celui du bop et du hard bop – mais d’un hard bop dont les canons, loin de rester figés, auraient intégré des acquis plus actuels.
La configuration du groupe et aussi la structure des morceaux évoque donc l’âge d’or de ce style. Ainsi le concert du Pinktown Quintet est-il jalonné de morceaux qui ont traversé le temps et restent dans les mémoires. Ils sont signés Wayne Shorter, Horace Silver (Ecaroh), Herbie Hancock (Dolphin Dance), comme s’il s’agissait de reprendre pied, de temps en temps, de se rassurer en abordant des rivages connus. Pour le reste, des compositions dues aux membres du quintette et figurant dans l’album à paraître sous peu. Elles illustrent la même esthétique, sans s’en écarter d’un iota. Les arrangements, précis, sont exécutés à la lettre, les solistes retiennent souvent l’attention. Que manque-t-il à l’ensemble pour susciter l’adhésion franche et massive d’un public pourtant prompt à s’enthousiasmer ? Peut-être une once d’émotion. Ou ce grain de folie qui permet de s’affranchir parfois de toutes les barrières. On aurait toutefois mauvaise grâce à faire preuve d’une exigence excessive : un zeste d’expérience suffira à parfaire les qualités potentielles d’un ensemble tout à fait digne d’intérêt.
Steeve Laffont Trio invite Costel Nitescu : Steeve Laffont, guitare, Rudy Rabuffetti, guitare, Claudius Dupont, contrebasse. Special Guest, Costel Nitescu (violon, piano).
Saint-Gaudens, Parc des Expositions, 1er mars.
Dans la galaxie du jazz manouche, Django Reinhardt pourrait figurer le soleil. In contestable, incontesté. Son rayonnement perdure, son influence aussi. Son répertoire demeure incontournable. Jusqu’aux inédits récemment retrouvés dans ses archives. Autour de Django, gravite une myriade d’étoiles. Certaines de première grandeur. Steeve Laffont est en passe de figurer parmi elles. Exemplaire, en effet, le parcours de ce Perpignanais remarqué, à ses débuts, au côté du regretté contrebassiste Serge Oustiakine et qui a, depuis, côtoyé les plus illustres des Manouches, de Biréli Lagrène à Raphaël Fays, en passant par Stochelo Rosenberg. L’assurance acquise au fil des ans et des rencontres se traduit aujourd’hui par l’autorité avec laquelle il dirige un trio composé d’excellents musiciens. Par la qualité du dialogue qu’il instaure avec le violoniste Costel Nitescu, transfuge du quartette de Tchavolo Schmitt. Les qualités inhérentes à ce genre de musique – rigueur rythmique, virtuosité mélodique, capacité à improviser, lyrisme – sont ici portées à un degré proche de l’excellence. Si bien que l’assemblée, plongée d’emblée dans un climat auquel il est difficile de rester insensible, va sortir de sa léthargie et réserver au groupe un accueil chaleureux.
Ici, le programme est celui d’un voyage en Méditerranée, celui que propose le dernier album du groupe, récemment paru. « Night in Corsica » (ô mânes de Dizzy…) entraîne l’auditeur dans un périple dont chaque titre évoque une contrée, la Corse, bien sûr, mais aussi Perpignan, ville chère aux Sinti (Made in Parpignan), la Catalogne (Tchoumia Catalunya) et autres Minute ou Les Fenêtres de Moscou. L’errance des gens du voyage trouve ici une illustration à travers les influences musicales reçues. Particulièrement émouvante, la composition du violoniste intitulée For Didier et inspirée par la disparition de Didier Lockwood.
Périodiquement, et de même que le Swingtown Quintet revenait aux classiques du hard bop, il s’agit de se ressourcer, histoire de ne pas perdre le fil de la tradition. Ainsi les standards sont-ils sollicités – l’immarcescible Nuages de Django, superbement introduit par Steeve Laffont, I Got Rhythm, festival de virtuosité, ou encore Dark Eyes, occasion pour Costel Nitescu de faire valoir ses talents de pianiste. Un programme déroulé avec une constante bonhomie, comme si allaient de soi les prouesses techniques, les joutes et les dialogues vertigineux, les improvisations funambulesques et pourtant réglées avec une extrême minutie. Pas de doute, la musique manouche a encore un bel avenir devant elle.
En introduction au concert, Pierre Jammes, maitre d’œuvre de Jazz en Comminges, avait levé un coin de voile sur la programmation de la prochaine édition, du 29 mai au 2 juin prochains. Une programmation fidèle au souci d’éclectisme caractéristique de ce festival en plein essor, alliant valeurs sûres et nouveaux talents. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Jacques Aboucaya