Jazz live
Publié le 24 Mar 2013

Quatre concerts : Robin Verheyen, Ingrid Laubrock, Francesco Bearzatti et le duo Tepfer/Wendel

Franck Bergerot a pris du retard dans ses comptes rendus de concert. Il profite du repos dominical pour laisser de côté sa tâche quotidienne de trieur de lentilles et nous raconter les concerts de Robin Verheyen, Ingrid Laubrock, Francesca Bearzatti et le duo Tepfer/Wendel.

 

 

Quatre jours déjà que les pages de Jazz Magazine sont parties, avec une Une consacrée à Joshua Redman, en attendant la sortie d’un CD que nous avons eu déjà le privilège d’écouter et qui est splendide. Enfin un disques avec cordes qui ne ressemble pas à un excès de chantilly.


Quatre jours déjà est pas un compte rendu déposé sur ce blog. Ce n’est pas que je sois resté cloîtré chez moi, mais je n’ai pas trouvé le temps de rendre compte. C’est qu’entre les bouclages, j’ai des lentilles à trier. Chaque nuit, ils viennent déposer devant ma porte un nouvel arrivage et reprendre ce que j’ai trié la journée précédente. Au début, il n’y en avait pas trop, mais la quantité n’a cessé d’augmenter. J’ai bien tenté de faire baisser la cadence, voir de cesser le travail, mais il se sont faits menaçants. Je ne les ai jamais vus, mais ils ont des moyens de pression très spécifiques et assez terribles, que je ne parviens cependant à nommer, et je finis toujours par céder. Cette nuit, ils ne sont pas venus. Peut-être respectent-ils la trêve du week end. Je n’en saurais rien. Ils ne répondent jamais à mes questions. Toujours est-il que je vais en profiter pour vous dire quelques mots des derniers concerts que j’ai vu. Ce sera jusque quelque mots, car il me reste encore à trier deux sacs de lentilles du vendredi et je voudrais être à jour lundi, lorsqu’ils reprendont leurs livraison.


La Dynamo, Pantin (93), le 19 mars 2013.


Robin Verheyen New York Quartet : Russ Johnson (trompette), Robin Verheyen (saxes ténor et soprano), Drew Gress (contrebasse), Jeff Davis (batterie).


La musique de Robin Verheyen put paraître d’un relatif classicisme au public venu écouter Ingrid Laubrock en seconde partie, mais il y a des qualités de lyrisme que j’apprécie chez lui depuis longtemps, plus particulièrement lorsqu’ils est au ténor. Son quartette s’inscrit dans la descendance de celui d’Ornette, avec une belle dynamique entre les deux souffleurs avec de belles combinaisons de timbres sur d’émouvantes constructions mélodiques et de magnifiques improvisations collectives, un Russ Johnson splendide dans sa sonorité comme dans ses phrasés et ses inventions. La rythmique de Drew Gress et Jeff Davis fonctionne avec le même sens polyrythmique qu’un ensemble de tambours africains. Une vrai quartette.


Ingrid Laubrock Anti-House : Ingrid Laubrock (sax ténor), Mary Halvorson (guitare électrique), Kris Davis (piano), Sean Conly (contrebasse), Tom Rainey (batterie).


Les constructions d’Ingrid Laubrock sont impressionnantes, avec leurs intérieurs labyrinthiques en dépit d’ostinatos trompeurs, s’apparentant fort peu au principe du chorus accompagné. Si quelqu’un s’échappe parfois dans ce qui pourrait s’apparenter à un solo, il est vite rattrapé par une partition d’où l’improvisation n’est pas exclue, mais où elle s’intègre dans des parcours collectifs où les rôles s’interchangent et où les formules orchestrales se recomposent constamment. Tout le monde est constammnet au charbon, hors ou sur partition, jusque dans sa façon de se retirer, d’observer ce qui se passe et de rentrer en s’associant à une autre voix, souvent en contrepoint à un autre module orchestrale. Les capacités d’initiatives de chacun à l’intérieur de ces modules très précisément dessinée mettent tout particulièrement Kris Davis et Tom Rainey. En revanche, j’ai quelque difficulté à adhérer aux options de Mary Halvorson dont mes confrères font grand cas. Je ne peux envisager la musique – qu’elle soit jazz, classique ou autre d’ailleurs – sans sa dimension sportive, athlétique, plastique, charnelle même si elle s’exprime dans une certaine approximation comme ça peut être le cas dans la free music. Chez Halvorson, la perfection du jeu ne laisse la place à rien de tout ça et j’avoue y perdre un peu mon latin.


La Dynamo, Pantin (93), le 20 mars 2013.


Francesco Bearzatti Tinissima Quartet : Alain Vankenhove (trompette), Francesco Bearzatti (sax ténor), Danilo Gallo (basse électrique), Zeno de Rossi (batterie).


C’était une soirée programmée par Jazz Magazine à laquelle Francesco Bearzatti se présenta dans un état gripale très en avancé, son formidable trompettiste, Giovanni Falzone, étant quant à lui resté alité en Italie. À sa place: Alain Vankenhove venu sur un simple coup de fil qui lui fut passé en début d’après-midi. Le temps de jeter une oreille au nouveau disque du quartette “Monk’n’roll” dont le contenu lui fut envoyé par mail, il réunissait ses effets, trouvait une paire de chaussettes propres et prenait le chemin de la Dynamo… Redoutable performance que de s’attaquer à ce répertoire qu’il connaît trop bien pour ne pas être tenté de tomber dans les pièges que lui tendent les réaménagements conçus par Bearzatti pour ce Monk’n’roll : outre une combinaison des célèbres partitions monkiennes avec des grooves et des couleurs venus d’ailleurs (Pink Floyd, Queen, ACDC, Police, Led Zeppelin, etc.), des remodelages métriques, des élisions, des reconstructions. Le Vankenhove s’en est tiré avec plus que des honneurs et même avec une poétique personnelle, là où il ne suffisait pas d’assimiler les partitions, mais d’y trouver sa place après le quasi-frère de Bearzatti, Giovanni Falzone. Et Bearzatti a joué à fond, au point qu’un public plutôt conquis l’a chaleureusement applaudi mais sans oser insister pour obtenir un rappel, tant il était visible que le saxophoniste avait donné tout ce qu’il pouvait.


Sunside, Paris (75), le 22 mars 2013.


Ben Wendel (sax ténor, basson), Dan Tepfer (p
iano).


Les deux hommes présentaient là le programme de leur nouveau disque “Small Constructions” distribué chez nous par Naïve sous label Sunnyside (4 étoiles dans notre numéro d’avril sous la plume de Philippe Carles). Et le titre est assez bien trouvé si l’on en juge par le travail d’organisation qui, par ses couleurs résultant d’un habillage du piano (harmonisations déclinée en danses des accords ou en arabesques arpégées, otinato, etc.), d’échanges constant de fonction entre les deux instruments, de recombinaisons réitérées des rôles, s’apparentent à un véritable travail d’orchestration (Ben Wendel poussant cet aspect de leur travail jusqu’à se faire entendre soudain au basson, un basson comme on en entendit rarement d’aussi convaincant dans le jazz). Aussi, qu’ils réinventent la circularité obsédante de Solar ou la motricité irrésistible du Line Up de Lennie Tristano, ils se situent dans cet héritage tristanien, via Lee Konitz avec lequel Dan Tepfer a abondamment dialogué et dont Ben Wendel semble reprendre à son compte les improvisations au fil de la pensée. Comme une transposition dans notre époque, avec le bagage des jeunes générations, de ce que fut le duo Konitz/Solal. Ce qui n’est pas rien… 


Le souvenir de ce concert me permet de reprendre le tri de mes lentilles avec une allégresse à laquelle ne m’invite pas en temps normal cette tâche abrutissante. Je vous laisse… Prenez soin de vous.


Franck Bergerot

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Franck Bergerot a pris du retard dans ses comptes rendus de concert. Il profite du repos dominical pour laisser de côté sa tâche quotidienne de trieur de lentilles et nous raconter les concerts de Robin Verheyen, Ingrid Laubrock, Francesca Bearzatti et le duo Tepfer/Wendel.

 

 

Quatre jours déjà que les pages de Jazz Magazine sont parties, avec une Une consacrée à Joshua Redman, en attendant la sortie d’un CD que nous avons eu déjà le privilège d’écouter et qui est splendide. Enfin un disques avec cordes qui ne ressemble pas à un excès de chantilly.


Quatre jours déjà est pas un compte rendu déposé sur ce blog. Ce n’est pas que je sois resté cloîtré chez moi, mais je n’ai pas trouvé le temps de rendre compte. C’est qu’entre les bouclages, j’ai des lentilles à trier. Chaque nuit, ils viennent déposer devant ma porte un nouvel arrivage et reprendre ce que j’ai trié la journée précédente. Au début, il n’y en avait pas trop, mais la quantité n’a cessé d’augmenter. J’ai bien tenté de faire baisser la cadence, voir de cesser le travail, mais il se sont faits menaçants. Je ne les ai jamais vus, mais ils ont des moyens de pression très spécifiques et assez terribles, que je ne parviens cependant à nommer, et je finis toujours par céder. Cette nuit, ils ne sont pas venus. Peut-être respectent-ils la trêve du week end. Je n’en saurais rien. Ils ne répondent jamais à mes questions. Toujours est-il que je vais en profiter pour vous dire quelques mots des derniers concerts que j’ai vu. Ce sera jusque quelque mots, car il me reste encore à trier deux sacs de lentilles du vendredi et je voudrais être à jour lundi, lorsqu’ils reprendont leurs livraison.


La Dynamo, Pantin (93), le 19 mars 2013.


Robin Verheyen New York Quartet : Russ Johnson (trompette), Robin Verheyen (saxes ténor et soprano), Drew Gress (contrebasse), Jeff Davis (batterie).


La musique de Robin Verheyen put paraître d’un relatif classicisme au public venu écouter Ingrid Laubrock en seconde partie, mais il y a des qualités de lyrisme que j’apprécie chez lui depuis longtemps, plus particulièrement lorsqu’ils est au ténor. Son quartette s’inscrit dans la descendance de celui d’Ornette, avec une belle dynamique entre les deux souffleurs avec de belles combinaisons de timbres sur d’émouvantes constructions mélodiques et de magnifiques improvisations collectives, un Russ Johnson splendide dans sa sonorité comme dans ses phrasés et ses inventions. La rythmique de Drew Gress et Jeff Davis fonctionne avec le même sens polyrythmique qu’un ensemble de tambours africains. Une vrai quartette.


Ingrid Laubrock Anti-House : Ingrid Laubrock (sax ténor), Mary Halvorson (guitare électrique), Kris Davis (piano), Sean Conly (contrebasse), Tom Rainey (batterie).


Les constructions d’Ingrid Laubrock sont impressionnantes, avec leurs intérieurs labyrinthiques en dépit d’ostinatos trompeurs, s’apparentant fort peu au principe du chorus accompagné. Si quelqu’un s’échappe parfois dans ce qui pourrait s’apparenter à un solo, il est vite rattrapé par une partition d’où l’improvisation n’est pas exclue, mais où elle s’intègre dans des parcours collectifs où les rôles s’interchangent et où les formules orchestrales se recomposent constamment. Tout le monde est constammnet au charbon, hors ou sur partition, jusque dans sa façon de se retirer, d’observer ce qui se passe et de rentrer en s’associant à une autre voix, souvent en contrepoint à un autre module orchestrale. Les capacités d’initiatives de chacun à l’intérieur de ces modules très précisément dessinée mettent tout particulièrement Kris Davis et Tom Rainey. En revanche, j’ai quelque difficulté à adhérer aux options de Mary Halvorson dont mes confrères font grand cas. Je ne peux envisager la musique – qu’elle soit jazz, classique ou autre d’ailleurs – sans sa dimension sportive, athlétique, plastique, charnelle même si elle s’exprime dans une certaine approximation comme ça peut être le cas dans la free music. Chez Halvorson, la perfection du jeu ne laisse la place à rien de tout ça et j’avoue y perdre un peu mon latin.


La Dynamo, Pantin (93), le 20 mars 2013.


Francesco Bearzatti Tinissima Quartet : Alain Vankenhove (trompette), Francesco Bearzatti (sax ténor), Danilo Gallo (basse électrique), Zeno de Rossi (batterie).


C’était une soirée programmée par Jazz Magazine à laquelle Francesco Bearzatti se présenta dans un état gripale très en avancé, son formidable trompettiste, Giovanni Falzone, étant quant à lui resté alité en Italie. À sa place: Alain Vankenhove venu sur un simple coup de fil qui lui fut passé en début d’après-midi. Le temps de jeter une oreille au nouveau disque du quartette “Monk’n’roll” dont le contenu lui fut envoyé par mail, il réunissait ses effets, trouvait une paire de chaussettes propres et prenait le chemin de la Dynamo… Redoutable performance que de s’attaquer à ce répertoire qu’il connaît trop bien pour ne pas être tenté de tomber dans les pièges que lui tendent les réaménagements conçus par Bearzatti pour ce Monk’n’roll : outre une combinaison des célèbres partitions monkiennes avec des grooves et des couleurs venus d’ailleurs (Pink Floyd, Queen, ACDC, Police, Led Zeppelin, etc.), des remodelages métriques, des élisions, des reconstructions. Le Vankenhove s’en est tiré avec plus que des honneurs et même avec une poétique personnelle, là où il ne suffisait pas d’assimiler les partitions, mais d’y trouver sa place après le quasi-frère de Bearzatti, Giovanni Falzone. Et Bearzatti a joué à fond, au point qu’un public plutôt conquis l’a chaleureusement applaudi mais sans oser insister pour obtenir un rappel, tant il était visible que le saxophoniste avait donné tout ce qu’il pouvait.


Sunside, Paris (75), le 22 mars 2013.


Ben Wendel (sax ténor, basson), Dan Tepfer (p
iano).


Les deux hommes présentaient là le programme de leur nouveau disque “Small Constructions” distribué chez nous par Naïve sous label Sunnyside (4 étoiles dans notre numéro d’avril sous la plume de Philippe Carles). Et le titre est assez bien trouvé si l’on en juge par le travail d’organisation qui, par ses couleurs résultant d’un habillage du piano (harmonisations déclinée en danses des accords ou en arabesques arpégées, otinato, etc.), d’échanges constant de fonction entre les deux instruments, de recombinaisons réitérées des rôles, s’apparentent à un véritable travail d’orchestration (Ben Wendel poussant cet aspect de leur travail jusqu’à se faire entendre soudain au basson, un basson comme on en entendit rarement d’aussi convaincant dans le jazz). Aussi, qu’ils réinventent la circularité obsédante de Solar ou la motricité irrésistible du Line Up de Lennie Tristano, ils se situent dans cet héritage tristanien, via Lee Konitz avec lequel Dan Tepfer a abondamment dialogué et dont Ben Wendel semble reprendre à son compte les improvisations au fil de la pensée. Comme une transposition dans notre époque, avec le bagage des jeunes générations, de ce que fut le duo Konitz/Solal. Ce qui n’est pas rien… 


Le souvenir de ce concert me permet de reprendre le tri de mes lentilles avec une allégresse à laquelle ne m’invite pas en temps normal cette tâche abrutissante. Je vous laisse… Prenez soin de vous.


Franck Bergerot

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Franck Bergerot a pris du retard dans ses comptes rendus de concert. Il profite du repos dominical pour laisser de côté sa tâche quotidienne de trieur de lentilles et nous raconter les concerts de Robin Verheyen, Ingrid Laubrock, Francesca Bearzatti et le duo Tepfer/Wendel.

 

 

Quatre jours déjà que les pages de Jazz Magazine sont parties, avec une Une consacrée à Joshua Redman, en attendant la sortie d’un CD que nous avons eu déjà le privilège d’écouter et qui est splendide. Enfin un disques avec cordes qui ne ressemble pas à un excès de chantilly.


Quatre jours déjà est pas un compte rendu déposé sur ce blog. Ce n’est pas que je sois resté cloîtré chez moi, mais je n’ai pas trouvé le temps de rendre compte. C’est qu’entre les bouclages, j’ai des lentilles à trier. Chaque nuit, ils viennent déposer devant ma porte un nouvel arrivage et reprendre ce que j’ai trié la journée précédente. Au début, il n’y en avait pas trop, mais la quantité n’a cessé d’augmenter. J’ai bien tenté de faire baisser la cadence, voir de cesser le travail, mais il se sont faits menaçants. Je ne les ai jamais vus, mais ils ont des moyens de pression très spécifiques et assez terribles, que je ne parviens cependant à nommer, et je finis toujours par céder. Cette nuit, ils ne sont pas venus. Peut-être respectent-ils la trêve du week end. Je n’en saurais rien. Ils ne répondent jamais à mes questions. Toujours est-il que je vais en profiter pour vous dire quelques mots des derniers concerts que j’ai vu. Ce sera jusque quelque mots, car il me reste encore à trier deux sacs de lentilles du vendredi et je voudrais être à jour lundi, lorsqu’ils reprendont leurs livraison.


La Dynamo, Pantin (93), le 19 mars 2013.


Robin Verheyen New York Quartet : Russ Johnson (trompette), Robin Verheyen (saxes ténor et soprano), Drew Gress (contrebasse), Jeff Davis (batterie).


La musique de Robin Verheyen put paraître d’un relatif classicisme au public venu écouter Ingrid Laubrock en seconde partie, mais il y a des qualités de lyrisme que j’apprécie chez lui depuis longtemps, plus particulièrement lorsqu’ils est au ténor. Son quartette s’inscrit dans la descendance de celui d’Ornette, avec une belle dynamique entre les deux souffleurs avec de belles combinaisons de timbres sur d’émouvantes constructions mélodiques et de magnifiques improvisations collectives, un Russ Johnson splendide dans sa sonorité comme dans ses phrasés et ses inventions. La rythmique de Drew Gress et Jeff Davis fonctionne avec le même sens polyrythmique qu’un ensemble de tambours africains. Une vrai quartette.


Ingrid Laubrock Anti-House : Ingrid Laubrock (sax ténor), Mary Halvorson (guitare électrique), Kris Davis (piano), Sean Conly (contrebasse), Tom Rainey (batterie).


Les constructions d’Ingrid Laubrock sont impressionnantes, avec leurs intérieurs labyrinthiques en dépit d’ostinatos trompeurs, s’apparentant fort peu au principe du chorus accompagné. Si quelqu’un s’échappe parfois dans ce qui pourrait s’apparenter à un solo, il est vite rattrapé par une partition d’où l’improvisation n’est pas exclue, mais où elle s’intègre dans des parcours collectifs où les rôles s’interchangent et où les formules orchestrales se recomposent constamment. Tout le monde est constammnet au charbon, hors ou sur partition, jusque dans sa façon de se retirer, d’observer ce qui se passe et de rentrer en s’associant à une autre voix, souvent en contrepoint à un autre module orchestrale. Les capacités d’initiatives de chacun à l’intérieur de ces modules très précisément dessinée mettent tout particulièrement Kris Davis et Tom Rainey. En revanche, j’ai quelque difficulté à adhérer aux options de Mary Halvorson dont mes confrères font grand cas. Je ne peux envisager la musique – qu’elle soit jazz, classique ou autre d’ailleurs – sans sa dimension sportive, athlétique, plastique, charnelle même si elle s’exprime dans une certaine approximation comme ça peut être le cas dans la free music. Chez Halvorson, la perfection du jeu ne laisse la place à rien de tout ça et j’avoue y perdre un peu mon latin.


La Dynamo, Pantin (93), le 20 mars 2013.


Francesco Bearzatti Tinissima Quartet : Alain Vankenhove (trompette), Francesco Bearzatti (sax ténor), Danilo Gallo (basse électrique), Zeno de Rossi (batterie).


C’était une soirée programmée par Jazz Magazine à laquelle Francesco Bearzatti se présenta dans un état gripale très en avancé, son formidable trompettiste, Giovanni Falzone, étant quant à lui resté alité en Italie. À sa place: Alain Vankenhove venu sur un simple coup de fil qui lui fut passé en début d’après-midi. Le temps de jeter une oreille au nouveau disque du quartette “Monk’n’roll” dont le contenu lui fut envoyé par mail, il réunissait ses effets, trouvait une paire de chaussettes propres et prenait le chemin de la Dynamo… Redoutable performance que de s’attaquer à ce répertoire qu’il connaît trop bien pour ne pas être tenté de tomber dans les pièges que lui tendent les réaménagements conçus par Bearzatti pour ce Monk’n’roll : outre une combinaison des célèbres partitions monkiennes avec des grooves et des couleurs venus d’ailleurs (Pink Floyd, Queen, ACDC, Police, Led Zeppelin, etc.), des remodelages métriques, des élisions, des reconstructions. Le Vankenhove s’en est tiré avec plus que des honneurs et même avec une poétique personnelle, là où il ne suffisait pas d’assimiler les partitions, mais d’y trouver sa place après le quasi-frère de Bearzatti, Giovanni Falzone. Et Bearzatti a joué à fond, au point qu’un public plutôt conquis l’a chaleureusement applaudi mais sans oser insister pour obtenir un rappel, tant il était visible que le saxophoniste avait donné tout ce qu’il pouvait.


Sunside, Paris (75), le 22 mars 2013.


Ben Wendel (sax ténor, basson), Dan Tepfer (p
iano).


Les deux hommes présentaient là le programme de leur nouveau disque “Small Constructions” distribué chez nous par Naïve sous label Sunnyside (4 étoiles dans notre numéro d’avril sous la plume de Philippe Carles). Et le titre est assez bien trouvé si l’on en juge par le travail d’organisation qui, par ses couleurs résultant d’un habillage du piano (harmonisations déclinée en danses des accords ou en arabesques arpégées, otinato, etc.), d’échanges constant de fonction entre les deux instruments, de recombinaisons réitérées des rôles, s’apparentent à un véritable travail d’orchestration (Ben Wendel poussant cet aspect de leur travail jusqu’à se faire entendre soudain au basson, un basson comme on en entendit rarement d’aussi convaincant dans le jazz). Aussi, qu’ils réinventent la circularité obsédante de Solar ou la motricité irrésistible du Line Up de Lennie Tristano, ils se situent dans cet héritage tristanien, via Lee Konitz avec lequel Dan Tepfer a abondamment dialogué et dont Ben Wendel semble reprendre à son compte les improvisations au fil de la pensée. Comme une transposition dans notre époque, avec le bagage des jeunes générations, de ce que fut le duo Konitz/Solal. Ce qui n’est pas rien… 


Le souvenir de ce concert me permet de reprendre le tri de mes lentilles avec une allégresse à laquelle ne m’invite pas en temps normal cette tâche abrutissante. Je vous laisse… Prenez soin de vous.


Franck Bergerot

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Franck Bergerot a pris du retard dans ses comptes rendus de concert. Il profite du repos dominical pour laisser de côté sa tâche quotidienne de trieur de lentilles et nous raconter les concerts de Robin Verheyen, Ingrid Laubrock, Francesca Bearzatti et le duo Tepfer/Wendel.

 

 

Quatre jours déjà que les pages de Jazz Magazine sont parties, avec une Une consacrée à Joshua Redman, en attendant la sortie d’un CD que nous avons eu déjà le privilège d’écouter et qui est splendide. Enfin un disques avec cordes qui ne ressemble pas à un excès de chantilly.


Quatre jours déjà est pas un compte rendu déposé sur ce blog. Ce n’est pas que je sois resté cloîtré chez moi, mais je n’ai pas trouvé le temps de rendre compte. C’est qu’entre les bouclages, j’ai des lentilles à trier. Chaque nuit, ils viennent déposer devant ma porte un nouvel arrivage et reprendre ce que j’ai trié la journée précédente. Au début, il n’y en avait pas trop, mais la quantité n’a cessé d’augmenter. J’ai bien tenté de faire baisser la cadence, voir de cesser le travail, mais il se sont faits menaçants. Je ne les ai jamais vus, mais ils ont des moyens de pression très spécifiques et assez terribles, que je ne parviens cependant à nommer, et je finis toujours par céder. Cette nuit, ils ne sont pas venus. Peut-être respectent-ils la trêve du week end. Je n’en saurais rien. Ils ne répondent jamais à mes questions. Toujours est-il que je vais en profiter pour vous dire quelques mots des derniers concerts que j’ai vu. Ce sera jusque quelque mots, car il me reste encore à trier deux sacs de lentilles du vendredi et je voudrais être à jour lundi, lorsqu’ils reprendont leurs livraison.


La Dynamo, Pantin (93), le 19 mars 2013.


Robin Verheyen New York Quartet : Russ Johnson (trompette), Robin Verheyen (saxes ténor et soprano), Drew Gress (contrebasse), Jeff Davis (batterie).


La musique de Robin Verheyen put paraître d’un relatif classicisme au public venu écouter Ingrid Laubrock en seconde partie, mais il y a des qualités de lyrisme que j’apprécie chez lui depuis longtemps, plus particulièrement lorsqu’ils est au ténor. Son quartette s’inscrit dans la descendance de celui d’Ornette, avec une belle dynamique entre les deux souffleurs avec de belles combinaisons de timbres sur d’émouvantes constructions mélodiques et de magnifiques improvisations collectives, un Russ Johnson splendide dans sa sonorité comme dans ses phrasés et ses inventions. La rythmique de Drew Gress et Jeff Davis fonctionne avec le même sens polyrythmique qu’un ensemble de tambours africains. Une vrai quartette.


Ingrid Laubrock Anti-House : Ingrid Laubrock (sax ténor), Mary Halvorson (guitare électrique), Kris Davis (piano), Sean Conly (contrebasse), Tom Rainey (batterie).


Les constructions d’Ingrid Laubrock sont impressionnantes, avec leurs intérieurs labyrinthiques en dépit d’ostinatos trompeurs, s’apparentant fort peu au principe du chorus accompagné. Si quelqu’un s’échappe parfois dans ce qui pourrait s’apparenter à un solo, il est vite rattrapé par une partition d’où l’improvisation n’est pas exclue, mais où elle s’intègre dans des parcours collectifs où les rôles s’interchangent et où les formules orchestrales se recomposent constamment. Tout le monde est constammnet au charbon, hors ou sur partition, jusque dans sa façon de se retirer, d’observer ce qui se passe et de rentrer en s’associant à une autre voix, souvent en contrepoint à un autre module orchestrale. Les capacités d’initiatives de chacun à l’intérieur de ces modules très précisément dessinée mettent tout particulièrement Kris Davis et Tom Rainey. En revanche, j’ai quelque difficulté à adhérer aux options de Mary Halvorson dont mes confrères font grand cas. Je ne peux envisager la musique – qu’elle soit jazz, classique ou autre d’ailleurs – sans sa dimension sportive, athlétique, plastique, charnelle même si elle s’exprime dans une certaine approximation comme ça peut être le cas dans la free music. Chez Halvorson, la perfection du jeu ne laisse la place à rien de tout ça et j’avoue y perdre un peu mon latin.


La Dynamo, Pantin (93), le 20 mars 2013.


Francesco Bearzatti Tinissima Quartet : Alain Vankenhove (trompette), Francesco Bearzatti (sax ténor), Danilo Gallo (basse électrique), Zeno de Rossi (batterie).


C’était une soirée programmée par Jazz Magazine à laquelle Francesco Bearzatti se présenta dans un état gripale très en avancé, son formidable trompettiste, Giovanni Falzone, étant quant à lui resté alité en Italie. À sa place: Alain Vankenhove venu sur un simple coup de fil qui lui fut passé en début d’après-midi. Le temps de jeter une oreille au nouveau disque du quartette “Monk’n’roll” dont le contenu lui fut envoyé par mail, il réunissait ses effets, trouvait une paire de chaussettes propres et prenait le chemin de la Dynamo… Redoutable performance que de s’attaquer à ce répertoire qu’il connaît trop bien pour ne pas être tenté de tomber dans les pièges que lui tendent les réaménagements conçus par Bearzatti pour ce Monk’n’roll : outre une combinaison des célèbres partitions monkiennes avec des grooves et des couleurs venus d’ailleurs (Pink Floyd, Queen, ACDC, Police, Led Zeppelin, etc.), des remodelages métriques, des élisions, des reconstructions. Le Vankenhove s’en est tiré avec plus que des honneurs et même avec une poétique personnelle, là où il ne suffisait pas d’assimiler les partitions, mais d’y trouver sa place après le quasi-frère de Bearzatti, Giovanni Falzone. Et Bearzatti a joué à fond, au point qu’un public plutôt conquis l’a chaleureusement applaudi mais sans oser insister pour obtenir un rappel, tant il était visible que le saxophoniste avait donné tout ce qu’il pouvait.


Sunside, Paris (75), le 22 mars 2013.


Ben Wendel (sax ténor, basson), Dan Tepfer (p
iano).


Les deux hommes présentaient là le programme de leur nouveau disque “Small Constructions” distribué chez nous par Naïve sous label Sunnyside (4 étoiles dans notre numéro d’avril sous la plume de Philippe Carles). Et le titre est assez bien trouvé si l’on en juge par le travail d’organisation qui, par ses couleurs résultant d’un habillage du piano (harmonisations déclinée en danses des accords ou en arabesques arpégées, otinato, etc.), d’échanges constant de fonction entre les deux instruments, de recombinaisons réitérées des rôles, s’apparentent à un véritable travail d’orchestration (Ben Wendel poussant cet aspect de leur travail jusqu’à se faire entendre soudain au basson, un basson comme on en entendit rarement d’aussi convaincant dans le jazz). Aussi, qu’ils réinventent la circularité obsédante de Solar ou la motricité irrésistible du Line Up de Lennie Tristano, ils se situent dans cet héritage tristanien, via Lee Konitz avec lequel Dan Tepfer a abondamment dialogué et dont Ben Wendel semble reprendre à son compte les improvisations au fil de la pensée. Comme une transposition dans notre époque, avec le bagage des jeunes générations, de ce que fut le duo Konitz/Solal. Ce qui n’est pas rien… 


Le souvenir de ce concert me permet de reprendre le tri de mes lentilles avec une allégresse à laquelle ne m’invite pas en temps normal cette tâche abrutissante. Je vous laisse… Prenez soin de vous.


Franck Bergerot