Quentin Ghomari et Marc Benham, duo magique au Sunside
Cet ébouriffant duo, auteur déjà d’un des disques les plus marquants de ces derniers mois, Gonam City, a donné au Sunset un concert mémorable.
Quentin Ghomari (trompettes multiples), Marc Benham (piano unique), vendredi 22 mars 2019, le Sunset 75004 Paris
Et donc, Quentin Ghomari et Marc Benham ont eu la bonne idée de se rencontrer. Le croisement de leurs deux trajectoires n’était pourtant pas inscrit dans les astres car ces deux musiciens viennent d’univers assez dissemblables. Mais sur la scène du Sunset, leur complicité est apparue comme éclatante. Ces deux musiciens éclectiques sont capables de passer, comme au début du concert, d’un jazz ouvert et sillonné de dissonances à un standard be-bop comme Celia (Bud Powell) exécuté dans les règles de l’art. Et au-delà de toute la belle musique qu’ils ont produite, ils ont donné l’impression de s’amuser, ce qui est bien réjouissant, et pas si fréquent que ça.
De ces deux musiciens, je n’en connaissais qu’un seul, Quentin Ghomari, entendu aux côtés d’Alexandre Perrot, dans Lande, ou encore de Julien Soro dans Big Four. Dans ces deux formations, il faisait admirer sa palette sonore, son expressivité, son jeu sur les timbres, sa capacité à aller chercher des aigus étourdissants. Mais je ne lui connaissais pas ce goût pour les mélodies recouvertes d’une vénérable patine. Et voilà que je le retrouve en train de rejouer Petite Fleur, qui plus est à la slide trompette, instrument que j’ai découvert ce soir-là (une sorte de trompette transgenre, qui s’est arrêtée juste avant l’opération fatidique qui l’aurait changée en trombone, et qui apporte un son lancinant, poétique, lointain, comme filtré par une invisible cloison). En dehors de cette slide trompette, sa sonorité est pleine, puissante et maîtrisée, et c’est le roi des effets: il dispose d’une palette d’effets timbriques assez ahurissante dont il use avec virtuosité et musicalité. A plusieurs reprises en l’écoutant, je me suis dit qu’il se jouait de la trompette plus qu’il n’en jouait. Il semble faire dire ce qu’il veut à cet instrument pourtant volontiers rêtif et cabochard.
Quant à Marc Benham, je ne l’avais jamais entendu, et je ne connaissais pas encore (je me suis ratrappé depuis) les deux beaux disques enregistrés sous son nom, qui renferment un certain nombre de pépites (sur Solo piano Herbst, je recommande par exemple Beau Blaise et le très beau Idée de Buenos Aires, et sur Fats Food, son Hommage à Fats Waller, sa belle version de I’ve got a feeling i’m falling). Marc Benham a quelque chose de solalien, ou même plutôt quelques choses du grand Martial : la virtuosité des mains, une rapidité d’esprit équivalente à sa rapidité gestuelle, cette manière d’enchaîner une blague et un trait d’une infinie délicatesse, et de ne pas s’appesantir sur les pépites mises au jour. Le jeu de Marc Benham frappe par ses contrastes et sa maîtrise des dynamiques : il est capable de traits délicats, presque tendres, comme s’il avait peur de froisser le clavier, et l’instant d’après de passages violemment percussifs qu’un Thelonious n’aurait pas reniés. L’éclectisme du duo, leur ouverture d’oreilles se lit dans la liste des morceaux joués ce soir : Chi-Chi (Charlie Parler), Celia (Bud Powell) , Petite Fleur (Sidney Bechet), Mood Indigo (Duke Ellington), Pitecanthropus Erectus (Charles Mingus) plus quelques belles compos personnelles (Bistrology de marc Benham, Etourneaux de Quentin Ghomari). C’est le genre de concert où il faut abandonner l’angoisse du dernier métro pour ne pas rater le troisième set. Ceux qui étaient restés, bravant le couvre-feu, ont pu assister ainsi à une magnifique interprétation de Stardust (pourquoi ce vieux standard est-il si peu joué ?) et à une version anthologique du sublime Retrato em branco e preto de Jobim. Ça valait la peine de rater une quantité phénoménale de métros.
Texte JF Mondot
Dessins : AC Alvoët (autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site: www.annie-claire.com) A noter : une grande exposition des dessins et peintures de l’artiste est prévue au Sunside-Sunset à partir du 15 avril 2019 (vernissage de l’exposition)