Quentin Ghomari inaugure Ôtrium
Trompette, basse, batterie : on ne voit pas ça tous les jours. Telle est la formule choisie par Quentin Ghomari pour son nouveau trio.
Quentin Ghomari (trompette), Yoni Zelnik (basse), Antoine Paganotti (batterie), Sunside, 9 septembre 2021
Quentin Ghomari, est ce jeune trompettiste d’une trentaine d’années, qu’on a pu entendre récemment dans des contextes très variés où il était toujours impeccable : au sein du quartet Lande (avec Julien Soro, Alexandre Perrot, Ariel Tessier) pour des musiques improvisées très ouvertes et très libres, au sein de Papanosh pour un jazz festif mais pas que, et dans l’inclassable duo, fourmillant d’idées musicales, qu’il forme avec le pianiste Marc Benham (recommandations sans réserve pour leur disque Gonam City).
Pour ce nouveau projet (qui vient s’inscrire dans la galaxie des groupes du très créatif collectif musical Pegazz et L’Helicon) Quentin Ghomari a donc choisi cette formule audacieuse du trio, ainsi qu’un répertoire original de sa plume (avec visiblement un amour des collages et des juxtapositions, comme par exemple pour cette suite en trois parties qui ouvre le concert) et quelques standards formidablement interprétés (un Billy Strayhorn de derrière les fagots, tellement de derrière les fagots que j’ai oublié le titre ; Un magnifique The Sphynx de Don Cherry).
Dans les premiers morceaux, l’influence qui m’apparaît la plus évidente est celle de Booker Little : à cause aussi de cette capacité à faire vivre le son, à le pétrir, à le rendre plein, charnu, éclatant, comme un cœur qui se dilate. Avoir cela, pour un trompettiste, c’est avoir l’essentiel. Mais Quentin Ghomari a bien d’autres choses dans son sac. En particulier une palette d’effets variés, à base de growls, d’effets de souffle, de grésillements, de demi-pistons qui lui permettent de travailler le son et le timbre pour l’ajuster à ce que réclame l’instant. Son jeu, ainsi, n’est jamais monocorde. Au cours d’un chorus, il semble ouvrir des fenêtres : ici une petite lucarne free, là un petit hublot bruitiste, ou un petit soupirail musique contemporaine (j’arrête ici cette métaphore, ayant épuisé tous mes synonymes pour « fenêtre »). Pour autant, son style ne donne jamais l’impression d’un patchwork, grâce à une ligne mélodique épurée et tenue. Enfin, je relève une dernière chose, qui n’est pas si fréquente chez les musiciens de jazz : la condensation de son expression. Ses phrases sont denses, réfléchies, avec une volonté d’aller vers la suggestion plutôt que vers l’explicitation.
Cette densité dans l’expression, je la retrouve aussi chez le bassiste Yoni Zelnik. A certains moments du concert, ses notes avaient un impact une force extraordinaires: Des notes de bronze. Et une capacité à faire émerger des grooves hypnotiques dont la tension ne se relâche jamais. Il cimente le groupe. Yoni Zelnik sait susciter le meilleur de ses partenaires, quel que soit le contexte.
Quant au troisième larron du trio, Antoine Paganotti, il impressionne par sa musicalité, par sa manière infaillible de doser son volume sonore, par sa capacité à déterminer le moment où il doit être en retrait, et celui où il doit passer au premier plan. En l’écoutant, je me dis qu’un grand batteur est comme un joueur de tennis à Wimbledon : il faut sentir et choisir le moment exact où l’on monte au filet. Et Antoine Paganotti ne se trompe jamais.
Parmi les très beaux moments du concert, je note Ötrium (nom du groupe aussi bien que de la composition) où Quentin Ghomari fait vivre et résonner de longues notes dilatées qui chacune semblent le personnage d’une histoire. Ensuite, vers la fin du deuxième set, deux très belles compositions, pleine de fraîcheur mélodique, Babillages, et Kenny and Jim (hommage double à Kenny Wheeler et Jim Harrison). Le concert se termine en beauté par une nouvelle composition de Quentin Ghomari Blues pour Michel Z (d’inspiration hard-bop), avec le merveilleux César Poirier, éblouissant de maîtrise, et un Reflections (Thelonious Monk).
Le lendemain du concert, je passe un coup de téléphone à Quentin Ghomari pour en savoir un peu plus sur ses influences à la trompette. Le nom de Booker Little n’est pas celui qui sort le premier, comme je l’aurais pensé. Son dieu, c’est Dave Douglas : « Je l’ai écouté énormément, il m’a beaucoup influencé ! En particulier ce qu’il joue aux côtés de John Zorn avec Masada, mais aussi son trio avec guitare et batterie, The tiny bell trio. Une chose que j’aime chez lui, c’est de sentir dans son jeu à la fois l’influence de la musique contemporaine et la connaissance de la toute la tradition jazz ».
Il aime Lester Bowie, et « Miles Davis à toutes les époques » (une de ses compositions Charms of Miles’s skies lui rend hommage). Il assume son goût pour des univers esthétiques très divers, ce qu’il appelle « faire l’élastique : « Dave Douglas disait qu’il avait passé beaucoup de temps à trouver quelle direction il allait prendre, car il aimait beaucoup de choses différentes. La solution qu’il a trouvée a été de ne pas choisir. J’ai envie de suivre son exemple… ».
Texte : JF Mondot
Dessins : AC Alvoët (dessins réalisés en 2018 et 2019)
Photographies : Cristèle Dumas