Régis Huby en grande forme
Pour cette sixième édition du festival Les Emouvantes, le contrebassiste Claude Tchamitchian, avait prévu un bouquet final, la grande formation du violoniste Régis Huby, big band atypique où les cordes ont remplacé les trompettes, où le saxophone est en minorité parmi les bois, où le véritable batteur est le vibraphone, où pupitres de guitare et contrebasse sont doublés…
Illustration: Exposition Daniel Chompré au Prieuré de La Ferté-la-Loupière 2018 © X. Deher (Fictional Cover)
Quatrième et dernière journée d’un festival présenté chaque soir par son programmateur, Claude Tchamitchian, remerciant concert après concert ses partenaires (notamment la structure d’accueil: le Théâtre des Bernardines de Marseille) et saluant la “communauté” qui l’a rendu possible. Cette communauté, c’est Emouvance qui est à la fois compagnie nationale permettant le travail des différentes formules du contrebassiste et donc les musiciens qui y sont associés (tentet Acoustic Lousadzak, sextette, quartette et solo dont la dernière manifestation phonographique est attendue dans les bacs… voir notre numéro de novembre). C’est aussi un label phonographique fondé en partenariat avec l’ingénieur du son de La Buissonne, Gérard de Haro. C’est enfin ce festival Les Emouvantes. Festival à taille humaine, programmation de musicien jouant tout à la fois la “famille”, l’ouverture (voire la diversité des concerts chroniqués dans les pages qui précèdent) et la curiosité, celle du programmateur et celle qu’il chercher à susciter par un accueil convivial et une tarification modeste (60 € les quatre soirées, 10 € le concert, 20 € pour les deux concerts de soirée, 6 et 12 € tarifs réduits). Vendredi, les élèves du “Conservatoire national à rayonnement régional avaient pu travailler toute la journée deux conceptions de l’improvisation voisines et complémentaires, le matin avec Andy Emler, l’après-midi avec Dominique Pifarély. Et pour cette dernière soirée, pour la première fois depuis la soirée d’ouverture, après sa présentation, Claude Tchamichian rejoignait sur scène sa contrebasse, non pour prendre la tête d’un de ses groupes, mais pour la mettre au service d’Ellipse, le grand ensemble de Régis Huby. Le personnel parle déjà de lui-même :
Régis Huby (violon, composition), Guillaume Roy (violon alto), Atsushi Sakaï (violoncelle), Matthias Mahler (trombone), Joce Mienniel (flûte), Catherine Delaunay (clarinette), Jean-Marc Larché (sax soprano), Pierre-François Rousillon (clarinette basse), Marc Ducret (guitare électrique), Pierric Hardy (guitare acoustique), Bruno Angelini (piano), Illya Amar (vibraphone), Guillaume Séguron, Claude Tchamitchian (contrebasse), Michele Rabbia (percussion, électronique).
C’est Illya Amar qui ouvre la marche. Son grand marimba et son vibraphone constitueront tout à la fois le moteur et la courroie de transmission. Alimentés en carburant par la guitare acoustique de Pierrick Hardy et les contrebasses de Guillaume Séguron et Claude Tchamitchian (la batterie, ici et là dévoyée par l’électronique, de Michele Rabbia jouant plus un rôle de coloration et de mouche du coche), les claviers percutés d’Amar semblent formuler sous forme d’ostinato les grands motifs qu’il distribue aux autres pupitres et qui structurent la grande suite jouée par l’orchestre. Ces motifs relevant de l’esthétique répétitive dynamisée par une constante et rapide mobilité, génèrent des effets de canon asymétrique et de superposition polyrythmique, des motifs secondaires ou de grandes arches mélodiques où l’on glisse constamment de la partition à l’improvisation, sans jamais laisser l’ego perdre de vue le collectif. Dès le premier solo, la flûte de Joce Minniel est “bordée” par le piano Bruno Angelini ; les cordes chorussent souvent collectivement, parfois à l’arrière-plan de quelque autre action orchestrale, le violoncelle d’Atsushi Sakaï parasitant à un moment donné une grand élégie des violons de Régis Huby et Guillaume Roy, puis faisant soudain équipe avec le trombone de Matthias ; Jean-Marc Larché et Mac Ducret se livre plus loin à des échanges d’une intense complémentarité ; Rabbia vient stimuler de ses percussions et de son électronique un solo de Catherine Delaunay qu’il conclue seul ; la suite de mes notes est illisible (avec qui donc la clarinette basse de Pierre-François Roussillon s’est-elle trouvée associée ?). Tous ces moments d’expression particulières émergeant souvent l’air de rien du collectif qui les absorbent ensuite comme s’il s’en nourrissait jusqu’à assimilation totale, dans un flux continu où les timbres se combinent et recombinent au service de textures constamment renouvelées admirablement restituées dans toutes leurs nuances par la sonorisation de Sylvain Thévenard, d’infime pianissimo à de monumentaux tutti… Mais déjà le train où je rédige ce compte rendu vient s’accoster en gare de Lyon. C’est quatre journées d’Emouvantes sont bel et bien terminées et Jazz Magazine m’attend pour préparer le bouclage prochain de notre numéro de novembre. • Franck Bergerot