Jazz live
Publié le 3 Déc 2024

Rencontres AJC 2024 à la Dynamo de Banlieues Bleues

Hier soir se succédaient, au cours de la traditionnelle soirée de présentation des lauréats du dispositif Jazz Migration, quatre groupes émergents et autant de visions du jazz et des musiques actuelles.

 

C’est à Marsavril qu’il revenait d’ouvrir le bal de cette 10ème édition du dispositif d’accompagnement de l’Association Jazzé Croisé, et nul doute que la façon dont ils ont entamé la soirée se prêtait parfaitement à cette plongée dans quatre univers parallèles : des atmosphères mélancoliques développées par le guitariste Pierre Guimbail, charpentées des grooves tantôt tendus ou éthérés du batteur Benjamin François, rompu à l’art du breakbeat comme à tout le “drumming” post-rock, et la bassiste Jasmine Lee, maillon essentiel de l’identité sonore du groupe, pour mieux mettre en valeur le souffle venu d’ailleurs de Mathieu Bellon (saxophone ténor et effets). Si cette musique est cinématique et onirique, c’est d’un rêve tourmenté et brumeux, que le groupe invite à traverser au pas de la flânerie avant d’en provoquer la transfiguration volcanique voire la destruction.

Le quartette NUBU (photo) se présente avec une instrumentation comme on n’en a jamais entendu dans l’histoire de ce dispositif qui en a pourtant vu d’autres : le trombone de Thibaut Du Cheyron, un flugabone tenu par Victor Auffray, Elisabeth Coxall au chant et au serpent, rare et insolite instrument à vent, Marion Ruault au violoncelle et le kit de batterie de Guillaume Lys constitué de percussions hétéroclites, mélodiques ou non.
Le chant d’Elisabeth Coxall est aussi bien rythmique et onomatopéique que lyrique (on n’est parfois pas loin de Cathy Berberian, la compagne de Luciano Berio), mais dans ce foisonnement de rythmes entre ambiance de club electro et éclats africains, on ne sent aucune lutte mais un même mouvement vers l’extase, jamais plus proche que quand les deux soufflants (Victor Auffray est lui-même acrobate vocal et “yoddleur” flamboyant) donnent de la voix pour harmoniser celle de leur chanteuse virtuose. Un groupe avec lequel on retrouve des sensations que peut offrir une formation comme No Tongues (travail des modes de jeux, instrumentation familière mais pas trop) mais avec un univers différent dont le grain de folie souligne la sensibilité à fleur de peau.

Là où les autres groupe avaient progressivement dissipé la brume du mystère pour révéler leur univers par paliers, le trio Sėlēnę (prononcez Séléné) a créé un effet d’un charme indéniable dès les premières notes de Cascade dont le titre renvoie autant aux arpèges fluides de Blaise Cadenet, guitariste à quatre mains (mediator, accords plaqués, bottleneck et e-bow, et autant de mondes différents, dont celui du blues quand il prend un solo à la fin du set), au jeu du batteur Mahesh Vingataredy, habité et d’une musicalité presque mélodique, ou aux voix (chant et violoncelle) de Mélanie Badal, narratrice principale. Une succession d’impressions et d’ambiances fugitives mais marquantes, une musique ni totalement “chambriste” ni dans un ailleurs cosmique mais entre les deux selon le degré d’intensité que choisir de développer le trio.

Les derniers à passer dans une Dynamo désormais chauffée à blanc étaient [NA], un trio qui se distingue aussi par sa configuration atypique : sax baryton, guitare électrique à résonateur et batterie. Le premier accord qui éclate comme un coup de tonnerre met la barre de la puissance collective très haute, mais la suite tient autant de la bande-originale aux accents de western que du groupe de rock, avec toute la diversité que suppose ce concept : torrents d’énergie oui, mais aussi un côté bien plus calme, une certaine idée des contrastes, la batteure Selma Doyen menant la danse et changeant de braquets en un instant. Le polysouffleur Rémi Psaume passe du baryton grondeur à l’alto flûté et chantant tandis que le guitariste (baryton, pour balancer grave) Raphaël Szöllösy oscille entre mini et maximalisme, traits virtuoses et millimétrés et riffs rageurs avec le naturel de ceux qui aiment la guitare, toute la guitare. C’est lui conclut la soirée d’une phrase qui veut tout dire : « vive le jazz, vive le punk et vive la musique ». Yazid Kouloughli