Les Rendez-vous de Daniel Humair 4. Masterclass et tremplin
Le prétexte de ces quatre jours passés dans le sillage de Daniel Humair était l’invitation de Jazz Contre Band à siéger au jury, présidé par le batteur, du premier tremplin du festival transfrontalier franco-suisse. C’était hier, 22 octobre, précédé de deux masterclass, l’une par Humair, l’autre par Guillaume Perret.
Vous avez dit “Musiques actuelles” ?
L’ETM, école de musiques actuelles et des technologies musicale de Genève : des locaux tout neufs sur 800m2, 450 élèves. “Musiques actuelles”… En France, le monde du jazz mesure le danger de cette appellation qui a permis aux autres musiques non classiques de partager le minuscule gâteau d’aide publique consenti au jazz depuis les années Maurice Fleuret sur le budget de la musique et de la culture, au risque, souvent constaté, de voir le jazz poussé vers la sortie par les musiques actuelles pour motif de “non actualité”. Souvenons de cette question d’Arnaud Laporte, l’animateur de la Dispute sur France Culture, demandant à l’un de ses invités qui témoignait de son goût pour la musique classique : « Mais ne vous arrive-t-il pas d’écouter de la musique contemporaine… », précisant aussitôt ce qu’il entend par “musique contemporaine” : « de la chanson, du rock, du rap, de la variété, du reggae… » Où je suis infiniment reconnaissant à l’écrivaine Desarthe, bien avant que ne soit connu son travail sur René Urtreger, d’avoir répondu à une question un peu semblable à un Arnaud Laporte interloqué : « mais j’écoute beaucoup de jazz ! »
Tant et si bien que je devine un avenir pas si lointain où, ce que, faute de mieux, j’appelle l’abstraction musicale, se trouvera marginalisé. Par “abstraction musicale”, je désigne les musiques instrumentales non asservies à l’illustration sonore d’une texte ou d’un sens articulé (chanson, rap, générique d’émission, annonce en gare, jingle publicitaire et communication en tous genres…) ou à des impératifs de formats autorisant une mémorisation et des émois immédiats (couplet-refrain, harmonies sans tensions excessives, boucles et schémas rythmiques ou mélodiques ne dépassant pas un nombre de mesures réduit, de préférence pair et symétrique). Soit pour l’essentiel le jazz et la musique classique non lyrique (avec quelques exceptions pour les grands tubes du symphonique et de la musique pour piano) à quoi il faudrait ajouter les traditions populaires et/ou extra-européennes échappant à la moulinette industrielle de la “world music”. Une marginalisation que l’on perçoit dans la culture musicale (lorsqu’il y en a une) ou la perception du fait musical des élites culturelles, qu’il s’agisse des programmations des Scènes nationales, des goûts musicaux figurant dans les interviews d’artistes et d’intellectuels, dans la frilosité des choix musicaux des réalisateurs de film, dans la place que fait à la musique la chaîne culturelle de Radio France, si brillante lorsque sont traités les Beaux Arts, le théâtre, le cinéma et la littérature, si médiocre sur le terrain musical.
Directeur de l’ETM, que l’on a entendu la veille se prêter à l’exercice de l’abstraction musicale avec d’autant plus d’engagement qu’il s’agissait d’un intégral impromptu, le saxophoniste Stefano Saccon voit les choses autrement et défend le statut de musiques actuelles avec la conviction que le jazz a tout intérêt à y trouver sa place pour les passerelles ainsi permises vers et en provenance des dites musiques actuelles dont il est partie prenante. Dans l’idéal, je le rejoins, et j’imagine un enseignement primaire musical généraliste qui offrirait toutes ces passerelles, entre traditions orales et écrites, commençant par des jeux d’intonation, d’harmonisation chantée, de claves rythmiques, d’apprentissage ludique des intervalles et des modes, précédant ou tuilant avec l’étude du solfège et les spécialisations, classique compris, ce qui éviterait le genre de situation dont Daniel Humair donne pour exemple une séance d’enregistrement où Yo-Yo Ma, incapable de reprendre sa partition en mesure après un break de batterie, lui demanda à disposer d’un relevé de son break. Quant à Stefano Saccon, il défend son point de vue en tendant aux élèves de l’ETM une passerelle vers l’HEM de Lausanne dont nous entendrons tout à l’heure les (ex)étudiants à un niveau de compétence qui n’est pas sans évoquer ce que nous entendons à la sortie du CSNM de Paris et d’autres grandes structures d’enseignement européennes.
Masterclass de Guillaume Perret
Passerelle… Guillaume Perret en jette une de taille avec son saxophone amplifié et le complexe de machines qui s’y trouve associé, lui permettant de fuguer avec lui-même sur le terrain de la musique baroque, avec des sonorités qui nous emmènent plutôt du côté de Led Zeppelin ou Meshuggah. La veille, il avait fait faux bond à la rencontre impromptue prévue à Nyon avec Daniel Humair et Heiri Kaenzig, empêché de prendre son avion par les services sécurité, non pas à cause de son matos, comme je l’ai dit dans mon blog précédent, mais du fait de la détection d’une substance suspecte dont les services conclurent à l’absence après avoir longuement ausculté sa valise. Peut-être une trace de dentifrice ou quelque chose de ce genre, commente le saxophoniste. À présent, il est là, devant les élèves de l’ETM pour une masterclass dont je manque le début, un bref concert. Lorsque je me glisse dans la salle, il vient de terminer une présentation de son micro Victor, imaginé par un inventeur de génie, micro minuscule glissé dans le bec du saxophone et relié à un léger équipement électronique monté sur le corps de l’instrument par un fil plat sortant du bec le long du liège du bocal. Alors que se termine cette présentation du micro Victor, un spectateur nous apprend que le dit Victor est un passionné de bicyclette et que l’une de ses premières inventions fut une pédale de vélo.
Des pédales justement, il va en être question. Le rack posé au pied de Guillaume Perret en est plein : réverb (lui permettant notamment d’agir sur le son après son émission, changeur de tonalité qui associé à une pédale d’expression lui permet d’hallucinants glissandi, mais aussi d’harmoniser), wha wha, distorsion, fuzz, delay (grâce auquel, par exemple, à l’aide d’un contrôleur rythmique, il joue au ping pong avec la stéréo, et réalise ces canons et fugues évoqués plus haut), looper multipiste permettant de jouer avec les boucles. Un matériel dont il a arrêté l’extension, excluant le recours à l’ordinateur, pour ne pas se perdre et se contenter de contraintes s’ouvrant, avec la pratique, sur l’infini des possibles. Conseils pratiques, pragmatisme de l’artisan, du voyageur et du performer : éviter les ronflettes électroniques imprévues avec un alimentation bien conçue, rack bien organisé contre les galères de l’installation chaque soir de concert, poids de la valise (30 kg quand même), répartition du temps de travail entre l’électronique et l’instrument (la technique instrumentale étant plutôt pratiquée sur scène ou en répétition, appuyée sur une solide formation en amont). Démonstration finale ébouriffante avec un morceau inspiré par une découverte récente qu’il a faite sur le delay et lui permettant de générer une ligne de basse d’apparence autonome à partir d’une ligne mélodique.
Masterclass de Daniel Humair
Après qu’il ait débarrassé la place, Daniel Humair lui succède, non sans l’inviter avec son ténor “à sec” pour un bref duo. Climat de cymbales et de toms, où Perret trouve sa place sur quelques belles incantations coltraniennes, le tempo démarre sur le terrain du triolet, on pense évidemment au tandem Trane-Elvin, le saxophone oscillant entre les formules et nappes de l’auteur de Love Supreme et les ratissages motiviques à la Rollins. Nuances interactives, rubato, nouveau tempo, cascades de tempos dont le foisonnement est sobrement réparti entre cymbale ride, caisse claire et grosse caisse, et où chacun embarque à la suite de l’autre comme on lève son verre pour se désaltérer, citation détournée de So What pour conclure.
La démonstration terminée, Humair tient l’argument de son propos : pourquoi un tel duo fonctionne, sans préalable. C’est le miracle du jazz, de ce qu’il appelle son “folklore”, permettant de parler à travers le monde une même langue aux ressources pourtant infiniment diversifiées, un langage et des conventions communes qui permettent pourtant de ne jamais se répéter. Viendront les conseils : l’écoute des grands artistes, le sens de l’écoute et de la conversation, l’humilité nécessaire pour y parvenir mais aussi la volonté de participer, le batteur n’étant pas un accompagnateur, d’où la nécessité de rendre l’instrument musical. Question qu’il se pose toujours lorsqu’il assiste à un concert : « Est-ce que ça serait mieux sans le batteur ? Est-ce que le batteur fait du bruit ou de la musique ? »
Il fait le tour du set de batterie à sa disposition : la charleston ne lui plaît pas, elle ne sonne pas. Critique des batteurs dans les show rooms qui multiplient les roulements tous azimuts mais oublient de faire sonner les cymbales. Il prend un exemple : Connie Kay, si peu technicien, qu’il lui est arrivé de le remplacer pour des affaires au-dessus de ses moyens, batteur pourtant d’une musicalité n’appartenant qu’à lui et qu’aucun batteur n’aurait pu remplacer au sein du Modern Jazz Quartet. Il se souvient de Sonny Rollins au Village Vanguard se retournant vers son batteur pour lui crier : « Not so military ! » Qu’est-ce qu’un bon bassiste ? Un bassiste que l’on n’entend pas, signifiant par là que la walking ne doit faire qu’un avec la ride. Il ré-insiste sur la qualité du son de cymbale, cette fois-ci non plus du point de vue de la facture instrumentale, mais du point de vue du geste de l’instrumentiste : « la prononciation du coup de cymbale. » Puis il suggère aux batteurs comme aux non batteurs quelques exercices d’indépendance à pratiquer sans instrument, combinant des coups des deux mains sur les genoux et battements des deux pieds. Il revient sur la question du son, du matériel, relativisant son importance : en concert, c’est chaque fois un set, un réglage, une qualité différente. C’est souvent calamiteux, mais il y a une solution à tout impondérable, chaque situation est un défi à faire de la musique. Il s’amuse des certains batteurs, hésite, puis lâche, un nom, Dave Weckl, qu’il a vu multiplier les fûts et les micros pendant la balance et n’entendre qu’un seul son pendant le concert : « Mieux vaut disposer de 25 sons sur un seul tom que d’un seul son sur 25 toms. »
Questions diverses ? Réponses par la parole ou par le geste, comparaison gustative, exemples de grands cuisiniers ou du simple goût d’une bonne pomme. Question sur les balais. Il place la caisse claire devant lui. La peau est usée, il n’obtient pas le frottement qui fait un beau chabada de balais. « Trouvez moi un bout de carton. J’ai fait toutes les séances des Swingle Singers sur du carton. » On lui trouve un carton qu’il coince entre ses cuisses : à la Kenny, à la Max Roach, à la Humair, le frotté pour la continuité du son (comme le sustain de la cymbale) et l’autre main qui donne l’impulsion, trouver le bon geste, le bon angle du balai sur la peau, pour la juste impulsion…
Le tremplin
Mais l’heure tourne et le tremplin attend son jury. Nous retraversons Genève pour rejoindre le Centre des Arts, sur la route de Chêne qui monte vers la frontière française et Annemasse. Super équipement. Le jury : Daniel Humair (président du jury), Guillaume Perret, le journaliste suisse Boris Senff, quatre membres de Jazz Contre Band soit Stefano Saccon (son président), le directeur artistique d’Annecy-Le-Vieux Alain Morhange, le patron du jazz club Chorus à Lausanne Jean-Claude Rochat, le responsable de Château Rouge à Annemasse Guillaume Anger et moi-même pour Jazz Magazine. Les groupes sont en majorité issus de l’HEM (ou Hemu, Haute école de musique) de Lausanne, signalant comme je l’ai dit plus haut un haut niveau de formation.
Pour ma part, et avec scrupules qui grandissent au fil des années (car ils sont si nombreux aujourd’hui que je remarque dans l’année, qu’il est peu probable qu’ils trouvent prochainement leur place dans le journal où je fais office de rédacteur en chef), je retiens le nom du trompettiste Shems Bendali du groupe The Cliff, élève de Matthieu Michel et grand admirateur d’Ambrose Ankimusire (ça s’entend dans sa trompette, comme dans sa musique, ses phrases, tout au service d’un sens de l’espace, du suspens et du drame, filiation qui semble inspirer le jouage basse-batterie de Rafaël Jerjen et François Christie). Son saxophoniste Arthur Donnot, auquel certains reprocheront un manque de projection, fait toutefois preuve d’une sonorité profonde et d’un vocabulaire qui lui permet de choruser sur la durée. Leader du AA Trio, Andrew Audiger est un pianiste à suivre qui s’est présenté cependant sur une musique un peu étriquée. Du quartette du guitariste Louis Matute qui aurait eu les préférences du président, le plus directement affilié à l’orthodoxie ternaire du jazz, j’ai retenu une première composition, la seule qui m’a semblé originale par sa façon de faire sonner le groupe, lorsque la suite m’a donné l’impression d’une juxtaposition de personnalités, en dépit d’une belle rythmique qu’il faut nommer : Virgile Rosselet (contrebasse) et Nathan Vandenbulcke (batterie).
Le prix du jury
Je réserve le nom du gagnant pour la bonne bouche. Il aura fallu auparavant débattre vigoureusement, la question de l’authenticité jazz des musiques jouées étant soulevée par Daniel Humair. Arguments mille fois échangés, notamment lors des multiples jurys auxquels j’ai participé depuis près de quarante ans, mais qui traverse l’histoire du jazz depuis les années 1930, de décennie et décennie, de révolution en révolution, sans solution définitive. Débat où, bien qu’étant moi-même attaché aux fondamentaux historiques du jazz et solidaires de leurs défenseurs, il me semble que le jazz n’a pas intérêt à se refermer sur une identité trop stricte alors que c’est toute la pratique des musiques à capacité d’improvisation (du gestes, des phrases, des rythmes, des harmonies, des formes) qui me semble en danger, pour revenir à mes inquiétudes exprimées plus haut.
Finalement, c’est l’originalité de l’orchestre Oggy and the Phonics qui est récompensée du prix du jury. On y retrouve le batteur Nathan Vandenbulcke remarqué avec Louis Matute, le clarinettiste Clément Meunier d’une belle musicalité sur toute la tessiture de l’instrument associé pour de beaux ensembles avec le saxophoniste Louis Billette, plus la guitare de Théo Duboule et la basse électrique de Gaspard Colin. Arrangements aux influences variées du rock aux musiques du monde, effets de timbres multicolores, un bel humour et une belle assise rythmique aux accents r’n’b dont on pourra profiter en divers lieux de la saison Jazz Contre Band et en ouverture de la prochaine édition du festival. • Franck Bergerot|Le prétexte de ces quatre jours passés dans le sillage de Daniel Humair était l’invitation de Jazz Contre Band à siéger au jury, présidé par le batteur, du premier tremplin du festival transfrontalier franco-suisse. C’était hier, 22 octobre, précédé de deux masterclass, l’une par Humair, l’autre par Guillaume Perret.
Vous avez dit “Musiques actuelles” ?
L’ETM, école de musiques actuelles et des technologies musicale de Genève : des locaux tout neufs sur 800m2, 450 élèves. “Musiques actuelles”… En France, le monde du jazz mesure le danger de cette appellation qui a permis aux autres musiques non classiques de partager le minuscule gâteau d’aide publique consenti au jazz depuis les années Maurice Fleuret sur le budget de la musique et de la culture, au risque, souvent constaté, de voir le jazz poussé vers la sortie par les musiques actuelles pour motif de “non actualité”. Souvenons de cette question d’Arnaud Laporte, l’animateur de la Dispute sur France Culture, demandant à l’un de ses invités qui témoignait de son goût pour la musique classique : « Mais ne vous arrive-t-il pas d’écouter de la musique contemporaine… », précisant aussitôt ce qu’il entend par “musique contemporaine” : « de la chanson, du rock, du rap, de la variété, du reggae… » Où je suis infiniment reconnaissant à l’écrivaine Desarthe, bien avant que ne soit connu son travail sur René Urtreger, d’avoir répondu à une question un peu semblable à un Arnaud Laporte interloqué : « mais j’écoute beaucoup de jazz ! »
Tant et si bien que je devine un avenir pas si lointain où, ce que, faute de mieux, j’appelle l’abstraction musicale, se trouvera marginalisé. Par “abstraction musicale”, je désigne les musiques instrumentales non asservies à l’illustration sonore d’une texte ou d’un sens articulé (chanson, rap, générique d’émission, annonce en gare, jingle publicitaire et communication en tous genres…) ou à des impératifs de formats autorisant une mémorisation et des émois immédiats (couplet-refrain, harmonies sans tensions excessives, boucles et schémas rythmiques ou mélodiques ne dépassant pas un nombre de mesures réduit, de préférence pair et symétrique). Soit pour l’essentiel le jazz et la musique classique non lyrique (avec quelques exceptions pour les grands tubes du symphonique et de la musique pour piano) à quoi il faudrait ajouter les traditions populaires et/ou extra-européennes échappant à la moulinette industrielle de la “world music”. Une marginalisation que l’on perçoit dans la culture musicale (lorsqu’il y en a une) ou la perception du fait musical des élites culturelles, qu’il s’agisse des programmations des Scènes nationales, des goûts musicaux figurant dans les interviews d’artistes et d’intellectuels, dans la frilosité des choix musicaux des réalisateurs de film, dans la place que fait à la musique la chaîne culturelle de Radio France, si brillante lorsque sont traités les Beaux Arts, le théâtre, le cinéma et la littérature, si médiocre sur le terrain musical.
Directeur de l’ETM, que l’on a entendu la veille se prêter à l’exercice de l’abstraction musicale avec d’autant plus d’engagement qu’il s’agissait d’un intégral impromptu, le saxophoniste Stefano Saccon voit les choses autrement et défend le statut de musiques actuelles avec la conviction que le jazz a tout intérêt à y trouver sa place pour les passerelles ainsi permises vers et en provenance des dites musiques actuelles dont il est partie prenante. Dans l’idéal, je le rejoins, et j’imagine un enseignement primaire musical généraliste qui offrirait toutes ces passerelles, entre traditions orales et écrites, commençant par des jeux d’intonation, d’harmonisation chantée, de claves rythmiques, d’apprentissage ludique des intervalles et des modes, précédant ou tuilant avec l’étude du solfège et les spécialisations, classique compris, ce qui éviterait le genre de situation dont Daniel Humair donne pour exemple une séance d’enregistrement où Yo-Yo Ma, incapable de reprendre sa partition en mesure après un break de batterie, lui demanda à disposer d’un relevé de son break. Quant à Stefano Saccon, il défend son point de vue en tendant aux élèves de l’ETM une passerelle vers l’HEM de Lausanne dont nous entendrons tout à l’heure les (ex)étudiants à un niveau de compétence qui n’est pas sans évoquer ce que nous entendons à la sortie du CSNM de Paris et d’autres grandes structures d’enseignement européennes.
Masterclass de Guillaume Perret
Passerelle… Guillaume Perret en jette une de taille avec son saxophone amplifié et le complexe de machines qui s’y trouve associé, lui permettant de fuguer avec lui-même sur le terrain de la musique baroque, avec des sonorités qui nous emmènent plutôt du côté de Led Zeppelin ou Meshuggah. La veille, il avait fait faux bond à la rencontre impromptue prévue à Nyon avec Daniel Humair et Heiri Kaenzig, empêché de prendre son avion par les services sécurité, non pas à cause de son matos, comme je l’ai dit dans mon blog précédent, mais du fait de la détection d’une substance suspecte dont les services conclurent à l’absence après avoir longuement ausculté sa valise. Peut-être une trace de dentifrice ou quelque chose de ce genre, commente le saxophoniste. À présent, il est là, devant les élèves de l’ETM pour une masterclass dont je manque le début, un bref concert. Lorsque je me glisse dans la salle, il vient de terminer une présentation de son micro Victor, imaginé par un inventeur de génie, micro minuscule glissé dans le bec du saxophone et relié à un léger équipement électronique monté sur le corps de l’instrument par un fil plat sortant du bec le long du liège du bocal. Alors que se termine cette présentation du micro Victor, un spectateur nous apprend que le dit Victor est un passionné de bicyclette et que l’une de ses premières inventions fut une pédale de vélo.
Des pédales justement, il va en être question. Le rack posé au pied de Guillaume Perret en est plein : réverb (lui permettant notamment d’agir sur le son après son émission, changeur de tonalité qui associé à une pédale d’expression lui permet d’hallucinants glissandi, mais aussi d’harmoniser), wha wha, distorsion, fuzz, delay (grâce auquel, par exemple, à l’aide d’un contrôleur rythmique, il joue au ping pong avec la stéréo, et réalise ces canons et fugues évoqués plus haut), looper multipiste permettant de jouer avec les boucles. Un matériel dont il a arrêté l’extension, excluant le recours à l’ordinateur, pour ne pas se perdre et se contenter de contraintes s’ouvrant, avec la pratique, sur l’infini des possibles. Conseils pratiques, pragmatisme de l’artisan, du voyageur et du performer : éviter les ronflettes électroniques imprévues avec un alimentation bien conçue, rack bien organisé contre les galères de l’installation chaque soir de concert, poids de la valise (30 kg quand même), répartition du temps de travail entre l’électronique et l’instrument (la technique instrumentale étant plutôt pratiquée sur scène ou en répétition, appuyée sur une solide formation en amont). Démonstration finale ébouriffante avec un morceau inspiré par une découverte récente qu’il a faite sur le delay et lui permettant de générer une ligne de basse d’apparence autonome à partir d’une ligne mélodique.
Masterclass de Daniel Humair
Après qu’il ait débarrassé la place, Daniel Humair lui succède, non sans l’inviter avec son ténor “à sec” pour un bref duo. Climat de cymbales et de toms, où Perret trouve sa place sur quelques belles incantations coltraniennes, le tempo démarre sur le terrain du triolet, on pense évidemment au tandem Trane-Elvin, le saxophone oscillant entre les formules et nappes de l’auteur de Love Supreme et les ratissages motiviques à la Rollins. Nuances interactives, rubato, nouveau tempo, cascades de tempos dont le foisonnement est sobrement réparti entre cymbale ride, caisse claire et grosse caisse, et où chacun embarque à la suite de l’autre comme on lève son verre pour se désaltérer, citation détournée de So What pour conclure.
La démonstration terminée, Humair tient l’argument de son propos : pourquoi un tel duo fonctionne, sans préalable. C’est le miracle du jazz, de ce qu’il appelle son “folklore”, permettant de parler à travers le monde une même langue aux ressources pourtant infiniment diversifiées, un langage et des conventions communes qui permettent pourtant de ne jamais se répéter. Viendront les conseils : l’écoute des grands artistes, le sens de l’écoute et de la conversation, l’humilité nécessaire pour y parvenir mais aussi la volonté de participer, le batteur n’étant pas un accompagnateur, d’où la nécessité de rendre l’instrument musical. Question qu’il se pose toujours lorsqu’il assiste à un concert : « Est-ce que ça serait mieux sans le batteur ? Est-ce que le batteur fait du bruit ou de la musique ? »
Il fait le tour du set de batterie à sa disposition : la charleston ne lui plaît pas, elle ne sonne pas. Critique des batteurs dans les show rooms qui multiplient les roulements tous azimuts mais oublient de faire sonner les cymbales. Il prend un exemple : Connie Kay, si peu technicien, qu’il lui est arrivé de le remplacer pour des affaires au-dessus de ses moyens, batteur pourtant d’une musicalité n’appartenant qu’à lui et qu’aucun batteur n’aurait pu remplacer au sein du Modern Jazz Quartet. Il se souvient de Sonny Rollins au Village Vanguard se retournant vers son batteur pour lui crier : « Not so military ! » Qu’est-ce qu’un bon bassiste ? Un bassiste que l’on n’entend pas, signifiant par là que la walking ne doit faire qu’un avec la ride. Il ré-insiste sur la qualité du son de cymbale, cette fois-ci non plus du point de vue de la facture instrumentale, mais du point de vue du geste de l’instrumentiste : « la prononciation du coup de cymbale. » Puis il suggère aux batteurs comme aux non batteurs quelques exercices d’indépendance à pratiquer sans instrument, combinant des coups des deux mains sur les genoux et battements des deux pieds. Il revient sur la question du son, du matériel, relativisant son importance : en concert, c’est chaque fois un set, un réglage, une qualité différente. C’est souvent calamiteux, mais il y a une solution à tout impondérable, chaque situation est un défi à faire de la musique. Il s’amuse des certains batteurs, hésite, puis lâche, un nom, Dave Weckl, qu’il a vu multiplier les fûts et les micros pendant la balance et n’entendre qu’un seul son pendant le concert : « Mieux vaut disposer de 25 sons sur un seul tom que d’un seul son sur 25 toms. »
Questions diverses ? Réponses par la parole ou par le geste, comparaison gustative, exemples de grands cuisiniers ou du simple goût d’une bonne pomme. Question sur les balais. Il place la caisse claire devant lui. La peau est usée, il n’obtient pas le frottement qui fait un beau chabada de balais. « Trouvez moi un bout de carton. J’ai fait toutes les séances des Swingle Singers sur du carton. » On lui trouve un carton qu’il coince entre ses cuisses : à la Kenny, à la Max Roach, à la Humair, le frotté pour la continuité du son (comme le sustain de la cymbale) et l’autre main qui donne l’impulsion, trouver le bon geste, le bon angle du balai sur la peau, pour la juste impulsion…
Le tremplin
Mais l’heure tourne et le tremplin attend son jury. Nous retraversons Genève pour rejoindre le Centre des Arts, sur la route de Chêne qui monte vers la frontière française et Annemasse. Super équipement. Le jury : Daniel Humair (président du jury), Guillaume Perret, le journaliste suisse Boris Senff, quatre membres de Jazz Contre Band soit Stefano Saccon (son président), le directeur artistique d’Annecy-Le-Vieux Alain Morhange, le patron du jazz club Chorus à Lausanne Jean-Claude Rochat, le responsable de Château Rouge à Annemasse Guillaume Anger et moi-même pour Jazz Magazine. Les groupes sont en majorité issus de l’HEM (ou Hemu, Haute école de musique) de Lausanne, signalant comme je l’ai dit plus haut un haut niveau de formation.
Pour ma part, et avec scrupules qui grandissent au fil des années (car ils sont si nombreux aujourd’hui que je remarque dans l’année, qu’il est peu probable qu’ils trouvent prochainement leur place dans le journal où je fais office de rédacteur en chef), je retiens le nom du trompettiste Shems Bendali du groupe The Cliff, élève de Matthieu Michel et grand admirateur d’Ambrose Ankimusire (ça s’entend dans sa trompette, comme dans sa musique, ses phrases, tout au service d’un sens de l’espace, du suspens et du drame, filiation qui semble inspirer le jouage basse-batterie de Rafaël Jerjen et François Christie). Son saxophoniste Arthur Donnot, auquel certains reprocheront un manque de projection, fait toutefois preuve d’une sonorité profonde et d’un vocabulaire qui lui permet de choruser sur la durée. Leader du AA Trio, Andrew Audiger est un pianiste à suivre qui s’est présenté cependant sur une musique un peu étriquée. Du quartette du guitariste Louis Matute qui aurait eu les préférences du président, le plus directement affilié à l’orthodoxie ternaire du jazz, j’ai retenu une première composition, la seule qui m’a semblé originale par sa façon de faire sonner le groupe, lorsque la suite m’a donné l’impression d’une juxtaposition de personnalités, en dépit d’une belle rythmique qu’il faut nommer : Virgile Rosselet (contrebasse) et Nathan Vandenbulcke (batterie).
Le prix du jury
Je réserve le nom du gagnant pour la bonne bouche. Il aura fallu auparavant débattre vigoureusement, la question de l’authenticité jazz des musiques jouées étant soulevée par Daniel Humair. Arguments mille fois échangés, notamment lors des multiples jurys auxquels j’ai participé depuis près de quarante ans, mais qui traverse l’histoire du jazz depuis les années 1930, de décennie et décennie, de révolution en révolution, sans solution définitive. Débat où, bien qu’étant moi-même attaché aux fondamentaux historiques du jazz et solidaires de leurs défenseurs, il me semble que le jazz n’a pas intérêt à se refermer sur une identité trop stricte alors que c’est toute la pratique des musiques à capacité d’improvisation (du gestes, des phrases, des rythmes, des harmonies, des formes) qui me semble en danger, pour revenir à mes inquiétudes exprimées plus haut.
Finalement, c’est l’originalité de l’orchestre Oggy and the Phonics qui est récompensée du prix du jury. On y retrouve le batteur Nathan Vandenbulcke remarqué avec Louis Matute, le clarinettiste Clément Meunier d’une belle musicalité sur toute la tessiture de l’instrument associé pour de beaux ensembles avec le saxophoniste Louis Billette, plus la guitare de Théo Duboule et la basse électrique de Gaspard Colin. Arrangements aux influences variées du rock aux musiques du monde, effets de timbres multicolores, un bel humour et une belle assise rythmique aux accents r’n’b dont on pourra profiter en divers lieux de la saison Jazz Contre Band et en ouverture de la prochaine édition du festival. • Franck Bergerot|Le prétexte de ces quatre jours passés dans le sillage de Daniel Humair était l’invitation de Jazz Contre Band à siéger au jury, présidé par le batteur, du premier tremplin du festival transfrontalier franco-suisse. C’était hier, 22 octobre, précédé de deux masterclass, l’une par Humair, l’autre par Guillaume Perret.
Vous avez dit “Musiques actuelles” ?
L’ETM, école de musiques actuelles et des technologies musicale de Genève : des locaux tout neufs sur 800m2, 450 élèves. “Musiques actuelles”… En France, le monde du jazz mesure le danger de cette appellation qui a permis aux autres musiques non classiques de partager le minuscule gâteau d’aide publique consenti au jazz depuis les années Maurice Fleuret sur le budget de la musique et de la culture, au risque, souvent constaté, de voir le jazz poussé vers la sortie par les musiques actuelles pour motif de “non actualité”. Souvenons de cette question d’Arnaud Laporte, l’animateur de la Dispute sur France Culture, demandant à l’un de ses invités qui témoignait de son goût pour la musique classique : « Mais ne vous arrive-t-il pas d’écouter de la musique contemporaine… », précisant aussitôt ce qu’il entend par “musique contemporaine” : « de la chanson, du rock, du rap, de la variété, du reggae… » Où je suis infiniment reconnaissant à l’écrivaine Desarthe, bien avant que ne soit connu son travail sur René Urtreger, d’avoir répondu à une question un peu semblable à un Arnaud Laporte interloqué : « mais j’écoute beaucoup de jazz ! »
Tant et si bien que je devine un avenir pas si lointain où, ce que, faute de mieux, j’appelle l’abstraction musicale, se trouvera marginalisé. Par “abstraction musicale”, je désigne les musiques instrumentales non asservies à l’illustration sonore d’une texte ou d’un sens articulé (chanson, rap, générique d’émission, annonce en gare, jingle publicitaire et communication en tous genres…) ou à des impératifs de formats autorisant une mémorisation et des émois immédiats (couplet-refrain, harmonies sans tensions excessives, boucles et schémas rythmiques ou mélodiques ne dépassant pas un nombre de mesures réduit, de préférence pair et symétrique). Soit pour l’essentiel le jazz et la musique classique non lyrique (avec quelques exceptions pour les grands tubes du symphonique et de la musique pour piano) à quoi il faudrait ajouter les traditions populaires et/ou extra-européennes échappant à la moulinette industrielle de la “world music”. Une marginalisation que l’on perçoit dans la culture musicale (lorsqu’il y en a une) ou la perception du fait musical des élites culturelles, qu’il s’agisse des programmations des Scènes nationales, des goûts musicaux figurant dans les interviews d’artistes et d’intellectuels, dans la frilosité des choix musicaux des réalisateurs de film, dans la place que fait à la musique la chaîne culturelle de Radio France, si brillante lorsque sont traités les Beaux Arts, le théâtre, le cinéma et la littérature, si médiocre sur le terrain musical.
Directeur de l’ETM, que l’on a entendu la veille se prêter à l’exercice de l’abstraction musicale avec d’autant plus d’engagement qu’il s’agissait d’un intégral impromptu, le saxophoniste Stefano Saccon voit les choses autrement et défend le statut de musiques actuelles avec la conviction que le jazz a tout intérêt à y trouver sa place pour les passerelles ainsi permises vers et en provenance des dites musiques actuelles dont il est partie prenante. Dans l’idéal, je le rejoins, et j’imagine un enseignement primaire musical généraliste qui offrirait toutes ces passerelles, entre traditions orales et écrites, commençant par des jeux d’intonation, d’harmonisation chantée, de claves rythmiques, d’apprentissage ludique des intervalles et des modes, précédant ou tuilant avec l’étude du solfège et les spécialisations, classique compris, ce qui éviterait le genre de situation dont Daniel Humair donne pour exemple une séance d’enregistrement où Yo-Yo Ma, incapable de reprendre sa partition en mesure après un break de batterie, lui demanda à disposer d’un relevé de son break. Quant à Stefano Saccon, il défend son point de vue en tendant aux élèves de l’ETM une passerelle vers l’HEM de Lausanne dont nous entendrons tout à l’heure les (ex)étudiants à un niveau de compétence qui n’est pas sans évoquer ce que nous entendons à la sortie du CSNM de Paris et d’autres grandes structures d’enseignement européennes.
Masterclass de Guillaume Perret
Passerelle… Guillaume Perret en jette une de taille avec son saxophone amplifié et le complexe de machines qui s’y trouve associé, lui permettant de fuguer avec lui-même sur le terrain de la musique baroque, avec des sonorités qui nous emmènent plutôt du côté de Led Zeppelin ou Meshuggah. La veille, il avait fait faux bond à la rencontre impromptue prévue à Nyon avec Daniel Humair et Heiri Kaenzig, empêché de prendre son avion par les services sécurité, non pas à cause de son matos, comme je l’ai dit dans mon blog précédent, mais du fait de la détection d’une substance suspecte dont les services conclurent à l’absence après avoir longuement ausculté sa valise. Peut-être une trace de dentifrice ou quelque chose de ce genre, commente le saxophoniste. À présent, il est là, devant les élèves de l’ETM pour une masterclass dont je manque le début, un bref concert. Lorsque je me glisse dans la salle, il vient de terminer une présentation de son micro Victor, imaginé par un inventeur de génie, micro minuscule glissé dans le bec du saxophone et relié à un léger équipement électronique monté sur le corps de l’instrument par un fil plat sortant du bec le long du liège du bocal. Alors que se termine cette présentation du micro Victor, un spectateur nous apprend que le dit Victor est un passionné de bicyclette et que l’une de ses premières inventions fut une pédale de vélo.
Des pédales justement, il va en être question. Le rack posé au pied de Guillaume Perret en est plein : réverb (lui permettant notamment d’agir sur le son après son émission, changeur de tonalité qui associé à une pédale d’expression lui permet d’hallucinants glissandi, mais aussi d’harmoniser), wha wha, distorsion, fuzz, delay (grâce auquel, par exemple, à l’aide d’un contrôleur rythmique, il joue au ping pong avec la stéréo, et réalise ces canons et fugues évoqués plus haut), looper multipiste permettant de jouer avec les boucles. Un matériel dont il a arrêté l’extension, excluant le recours à l’ordinateur, pour ne pas se perdre et se contenter de contraintes s’ouvrant, avec la pratique, sur l’infini des possibles. Conseils pratiques, pragmatisme de l’artisan, du voyageur et du performer : éviter les ronflettes électroniques imprévues avec un alimentation bien conçue, rack bien organisé contre les galères de l’installation chaque soir de concert, poids de la valise (30 kg quand même), répartition du temps de travail entre l’électronique et l’instrument (la technique instrumentale étant plutôt pratiquée sur scène ou en répétition, appuyée sur une solide formation en amont). Démonstration finale ébouriffante avec un morceau inspiré par une découverte récente qu’il a faite sur le delay et lui permettant de générer une ligne de basse d’apparence autonome à partir d’une ligne mélodique.
Masterclass de Daniel Humair
Après qu’il ait débarrassé la place, Daniel Humair lui succède, non sans l’inviter avec son ténor “à sec” pour un bref duo. Climat de cymbales et de toms, où Perret trouve sa place sur quelques belles incantations coltraniennes, le tempo démarre sur le terrain du triolet, on pense évidemment au tandem Trane-Elvin, le saxophone oscillant entre les formules et nappes de l’auteur de Love Supreme et les ratissages motiviques à la Rollins. Nuances interactives, rubato, nouveau tempo, cascades de tempos dont le foisonnement est sobrement réparti entre cymbale ride, caisse claire et grosse caisse, et où chacun embarque à la suite de l’autre comme on lève son verre pour se désaltérer, citation détournée de So What pour conclure.
La démonstration terminée, Humair tient l’argument de son propos : pourquoi un tel duo fonctionne, sans préalable. C’est le miracle du jazz, de ce qu’il appelle son “folklore”, permettant de parler à travers le monde une même langue aux ressources pourtant infiniment diversifiées, un langage et des conventions communes qui permettent pourtant de ne jamais se répéter. Viendront les conseils : l’écoute des grands artistes, le sens de l’écoute et de la conversation, l’humilité nécessaire pour y parvenir mais aussi la volonté de participer, le batteur n’étant pas un accompagnateur, d’où la nécessité de rendre l’instrument musical. Question qu’il se pose toujours lorsqu’il assiste à un concert : « Est-ce que ça serait mieux sans le batteur ? Est-ce que le batteur fait du bruit ou de la musique ? »
Il fait le tour du set de batterie à sa disposition : la charleston ne lui plaît pas, elle ne sonne pas. Critique des batteurs dans les show rooms qui multiplient les roulements tous azimuts mais oublient de faire sonner les cymbales. Il prend un exemple : Connie Kay, si peu technicien, qu’il lui est arrivé de le remplacer pour des affaires au-dessus de ses moyens, batteur pourtant d’une musicalité n’appartenant qu’à lui et qu’aucun batteur n’aurait pu remplacer au sein du Modern Jazz Quartet. Il se souvient de Sonny Rollins au Village Vanguard se retournant vers son batteur pour lui crier : « Not so military ! » Qu’est-ce qu’un bon bassiste ? Un bassiste que l’on n’entend pas, signifiant par là que la walking ne doit faire qu’un avec la ride. Il ré-insiste sur la qualité du son de cymbale, cette fois-ci non plus du point de vue de la facture instrumentale, mais du point de vue du geste de l’instrumentiste : « la prononciation du coup de cymbale. » Puis il suggère aux batteurs comme aux non batteurs quelques exercices d’indépendance à pratiquer sans instrument, combinant des coups des deux mains sur les genoux et battements des deux pieds. Il revient sur la question du son, du matériel, relativisant son importance : en concert, c’est chaque fois un set, un réglage, une qualité différente. C’est souvent calamiteux, mais il y a une solution à tout impondérable, chaque situation est un défi à faire de la musique. Il s’amuse des certains batteurs, hésite, puis lâche, un nom, Dave Weckl, qu’il a vu multiplier les fûts et les micros pendant la balance et n’entendre qu’un seul son pendant le concert : « Mieux vaut disposer de 25 sons sur un seul tom que d’un seul son sur 25 toms. »
Questions diverses ? Réponses par la parole ou par le geste, comparaison gustative, exemples de grands cuisiniers ou du simple goût d’une bonne pomme. Question sur les balais. Il place la caisse claire devant lui. La peau est usée, il n’obtient pas le frottement qui fait un beau chabada de balais. « Trouvez moi un bout de carton. J’ai fait toutes les séances des Swingle Singers sur du carton. » On lui trouve un carton qu’il coince entre ses cuisses : à la Kenny, à la Max Roach, à la Humair, le frotté pour la continuité du son (comme le sustain de la cymbale) et l’autre main qui donne l’impulsion, trouver le bon geste, le bon angle du balai sur la peau, pour la juste impulsion…
Le tremplin
Mais l’heure tourne et le tremplin attend son jury. Nous retraversons Genève pour rejoindre le Centre des Arts, sur la route de Chêne qui monte vers la frontière française et Annemasse. Super équipement. Le jury : Daniel Humair (président du jury), Guillaume Perret, le journaliste suisse Boris Senff, quatre membres de Jazz Contre Band soit Stefano Saccon (son président), le directeur artistique d’Annecy-Le-Vieux Alain Morhange, le patron du jazz club Chorus à Lausanne Jean-Claude Rochat, le responsable de Château Rouge à Annemasse Guillaume Anger et moi-même pour Jazz Magazine. Les groupes sont en majorité issus de l’HEM (ou Hemu, Haute école de musique) de Lausanne, signalant comme je l’ai dit plus haut un haut niveau de formation.
Pour ma part, et avec scrupules qui grandissent au fil des années (car ils sont si nombreux aujourd’hui que je remarque dans l’année, qu’il est peu probable qu’ils trouvent prochainement leur place dans le journal où je fais office de rédacteur en chef), je retiens le nom du trompettiste Shems Bendali du groupe The Cliff, élève de Matthieu Michel et grand admirateur d’Ambrose Ankimusire (ça s’entend dans sa trompette, comme dans sa musique, ses phrases, tout au service d’un sens de l’espace, du suspens et du drame, filiation qui semble inspirer le jouage basse-batterie de Rafaël Jerjen et François Christie). Son saxophoniste Arthur Donnot, auquel certains reprocheront un manque de projection, fait toutefois preuve d’une sonorité profonde et d’un vocabulaire qui lui permet de choruser sur la durée. Leader du AA Trio, Andrew Audiger est un pianiste à suivre qui s’est présenté cependant sur une musique un peu étriquée. Du quartette du guitariste Louis Matute qui aurait eu les préférences du président, le plus directement affilié à l’orthodoxie ternaire du jazz, j’ai retenu une première composition, la seule qui m’a semblé originale par sa façon de faire sonner le groupe, lorsque la suite m’a donné l’impression d’une juxtaposition de personnalités, en dépit d’une belle rythmique qu’il faut nommer : Virgile Rosselet (contrebasse) et Nathan Vandenbulcke (batterie).
Le prix du jury
Je réserve le nom du gagnant pour la bonne bouche. Il aura fallu auparavant débattre vigoureusement, la question de l’authenticité jazz des musiques jouées étant soulevée par Daniel Humair. Arguments mille fois échangés, notamment lors des multiples jurys auxquels j’ai participé depuis près de quarante ans, mais qui traverse l’histoire du jazz depuis les années 1930, de décennie et décennie, de révolution en révolution, sans solution définitive. Débat où, bien qu’étant moi-même attaché aux fondamentaux historiques du jazz et solidaires de leurs défenseurs, il me semble que le jazz n’a pas intérêt à se refermer sur une identité trop stricte alors que c’est toute la pratique des musiques à capacité d’improvisation (du gestes, des phrases, des rythmes, des harmonies, des formes) qui me semble en danger, pour revenir à mes inquiétudes exprimées plus haut.
Finalement, c’est l’originalité de l’orchestre Oggy and the Phonics qui est récompensée du prix du jury. On y retrouve le batteur Nathan Vandenbulcke remarqué avec Louis Matute, le clarinettiste Clément Meunier d’une belle musicalité sur toute la tessiture de l’instrument associé pour de beaux ensembles avec le saxophoniste Louis Billette, plus la guitare de Théo Duboule et la basse électrique de Gaspard Colin. Arrangements aux influences variées du rock aux musiques du monde, effets de timbres multicolores, un bel humour et une belle assise rythmique aux accents r’n’b dont on pourra profiter en divers lieux de la saison Jazz Contre Band et en ouverture de la prochaine édition du festival. • Franck Bergerot|Le prétexte de ces quatre jours passés dans le sillage de Daniel Humair était l’invitation de Jazz Contre Band à siéger au jury, présidé par le batteur, du premier tremplin du festival transfrontalier franco-suisse. C’était hier, 22 octobre, précédé de deux masterclass, l’une par Humair, l’autre par Guillaume Perret.
Vous avez dit “Musiques actuelles” ?
L’ETM, école de musiques actuelles et des technologies musicale de Genève : des locaux tout neufs sur 800m2, 450 élèves. “Musiques actuelles”… En France, le monde du jazz mesure le danger de cette appellation qui a permis aux autres musiques non classiques de partager le minuscule gâteau d’aide publique consenti au jazz depuis les années Maurice Fleuret sur le budget de la musique et de la culture, au risque, souvent constaté, de voir le jazz poussé vers la sortie par les musiques actuelles pour motif de “non actualité”. Souvenons de cette question d’Arnaud Laporte, l’animateur de la Dispute sur France Culture, demandant à l’un de ses invités qui témoignait de son goût pour la musique classique : « Mais ne vous arrive-t-il pas d’écouter de la musique contemporaine… », précisant aussitôt ce qu’il entend par “musique contemporaine” : « de la chanson, du rock, du rap, de la variété, du reggae… » Où je suis infiniment reconnaissant à l’écrivaine Desarthe, bien avant que ne soit connu son travail sur René Urtreger, d’avoir répondu à une question un peu semblable à un Arnaud Laporte interloqué : « mais j’écoute beaucoup de jazz ! »
Tant et si bien que je devine un avenir pas si lointain où, ce que, faute de mieux, j’appelle l’abstraction musicale, se trouvera marginalisé. Par “abstraction musicale”, je désigne les musiques instrumentales non asservies à l’illustration sonore d’une texte ou d’un sens articulé (chanson, rap, générique d’émission, annonce en gare, jingle publicitaire et communication en tous genres…) ou à des impératifs de formats autorisant une mémorisation et des émois immédiats (couplet-refrain, harmonies sans tensions excessives, boucles et schémas rythmiques ou mélodiques ne dépassant pas un nombre de mesures réduit, de préférence pair et symétrique). Soit pour l’essentiel le jazz et la musique classique non lyrique (avec quelques exceptions pour les grands tubes du symphonique et de la musique pour piano) à quoi il faudrait ajouter les traditions populaires et/ou extra-européennes échappant à la moulinette industrielle de la “world music”. Une marginalisation que l’on perçoit dans la culture musicale (lorsqu’il y en a une) ou la perception du fait musical des élites culturelles, qu’il s’agisse des programmations des Scènes nationales, des goûts musicaux figurant dans les interviews d’artistes et d’intellectuels, dans la frilosité des choix musicaux des réalisateurs de film, dans la place que fait à la musique la chaîne culturelle de Radio France, si brillante lorsque sont traités les Beaux Arts, le théâtre, le cinéma et la littérature, si médiocre sur le terrain musical.
Directeur de l’ETM, que l’on a entendu la veille se prêter à l’exercice de l’abstraction musicale avec d’autant plus d’engagement qu’il s’agissait d’un intégral impromptu, le saxophoniste Stefano Saccon voit les choses autrement et défend le statut de musiques actuelles avec la conviction que le jazz a tout intérêt à y trouver sa place pour les passerelles ainsi permises vers et en provenance des dites musiques actuelles dont il est partie prenante. Dans l’idéal, je le rejoins, et j’imagine un enseignement primaire musical généraliste qui offrirait toutes ces passerelles, entre traditions orales et écrites, commençant par des jeux d’intonation, d’harmonisation chantée, de claves rythmiques, d’apprentissage ludique des intervalles et des modes, précédant ou tuilant avec l’étude du solfège et les spécialisations, classique compris, ce qui éviterait le genre de situation dont Daniel Humair donne pour exemple une séance d’enregistrement où Yo-Yo Ma, incapable de reprendre sa partition en mesure après un break de batterie, lui demanda à disposer d’un relevé de son break. Quant à Stefano Saccon, il défend son point de vue en tendant aux élèves de l’ETM une passerelle vers l’HEM de Lausanne dont nous entendrons tout à l’heure les (ex)étudiants à un niveau de compétence qui n’est pas sans évoquer ce que nous entendons à la sortie du CSNM de Paris et d’autres grandes structures d’enseignement européennes.
Masterclass de Guillaume Perret
Passerelle… Guillaume Perret en jette une de taille avec son saxophone amplifié et le complexe de machines qui s’y trouve associé, lui permettant de fuguer avec lui-même sur le terrain de la musique baroque, avec des sonorités qui nous emmènent plutôt du côté de Led Zeppelin ou Meshuggah. La veille, il avait fait faux bond à la rencontre impromptue prévue à Nyon avec Daniel Humair et Heiri Kaenzig, empêché de prendre son avion par les services sécurité, non pas à cause de son matos, comme je l’ai dit dans mon blog précédent, mais du fait de la détection d’une substance suspecte dont les services conclurent à l’absence après avoir longuement ausculté sa valise. Peut-être une trace de dentifrice ou quelque chose de ce genre, commente le saxophoniste. À présent, il est là, devant les élèves de l’ETM pour une masterclass dont je manque le début, un bref concert. Lorsque je me glisse dans la salle, il vient de terminer une présentation de son micro Victor, imaginé par un inventeur de génie, micro minuscule glissé dans le bec du saxophone et relié à un léger équipement électronique monté sur le corps de l’instrument par un fil plat sortant du bec le long du liège du bocal. Alors que se termine cette présentation du micro Victor, un spectateur nous apprend que le dit Victor est un passionné de bicyclette et que l’une de ses premières inventions fut une pédale de vélo.
Des pédales justement, il va en être question. Le rack posé au pied de Guillaume Perret en est plein : réverb (lui permettant notamment d’agir sur le son après son émission, changeur de tonalité qui associé à une pédale d’expression lui permet d’hallucinants glissandi, mais aussi d’harmoniser), wha wha, distorsion, fuzz, delay (grâce auquel, par exemple, à l’aide d’un contrôleur rythmique, il joue au ping pong avec la stéréo, et réalise ces canons et fugues évoqués plus haut), looper multipiste permettant de jouer avec les boucles. Un matériel dont il a arrêté l’extension, excluant le recours à l’ordinateur, pour ne pas se perdre et se contenter de contraintes s’ouvrant, avec la pratique, sur l’infini des possibles. Conseils pratiques, pragmatisme de l’artisan, du voyageur et du performer : éviter les ronflettes électroniques imprévues avec un alimentation bien conçue, rack bien organisé contre les galères de l’installation chaque soir de concert, poids de la valise (30 kg quand même), répartition du temps de travail entre l’électronique et l’instrument (la technique instrumentale étant plutôt pratiquée sur scène ou en répétition, appuyée sur une solide formation en amont). Démonstration finale ébouriffante avec un morceau inspiré par une découverte récente qu’il a faite sur le delay et lui permettant de générer une ligne de basse d’apparence autonome à partir d’une ligne mélodique.
Masterclass de Daniel Humair
Après qu’il ait débarrassé la place, Daniel Humair lui succède, non sans l’inviter avec son ténor “à sec” pour un bref duo. Climat de cymbales et de toms, où Perret trouve sa place sur quelques belles incantations coltraniennes, le tempo démarre sur le terrain du triolet, on pense évidemment au tandem Trane-Elvin, le saxophone oscillant entre les formules et nappes de l’auteur de Love Supreme et les ratissages motiviques à la Rollins. Nuances interactives, rubato, nouveau tempo, cascades de tempos dont le foisonnement est sobrement réparti entre cymbale ride, caisse claire et grosse caisse, et où chacun embarque à la suite de l’autre comme on lève son verre pour se désaltérer, citation détournée de So What pour conclure.
La démonstration terminée, Humair tient l’argument de son propos : pourquoi un tel duo fonctionne, sans préalable. C’est le miracle du jazz, de ce qu’il appelle son “folklore”, permettant de parler à travers le monde une même langue aux ressources pourtant infiniment diversifiées, un langage et des conventions communes qui permettent pourtant de ne jamais se répéter. Viendront les conseils : l’écoute des grands artistes, le sens de l’écoute et de la conversation, l’humilité nécessaire pour y parvenir mais aussi la volonté de participer, le batteur n’étant pas un accompagnateur, d’où la nécessité de rendre l’instrument musical. Question qu’il se pose toujours lorsqu’il assiste à un concert : « Est-ce que ça serait mieux sans le batteur ? Est-ce que le batteur fait du bruit ou de la musique ? »
Il fait le tour du set de batterie à sa disposition : la charleston ne lui plaît pas, elle ne sonne pas. Critique des batteurs dans les show rooms qui multiplient les roulements tous azimuts mais oublient de faire sonner les cymbales. Il prend un exemple : Connie Kay, si peu technicien, qu’il lui est arrivé de le remplacer pour des affaires au-dessus de ses moyens, batteur pourtant d’une musicalité n’appartenant qu’à lui et qu’aucun batteur n’aurait pu remplacer au sein du Modern Jazz Quartet. Il se souvient de Sonny Rollins au Village Vanguard se retournant vers son batteur pour lui crier : « Not so military ! » Qu’est-ce qu’un bon bassiste ? Un bassiste que l’on n’entend pas, signifiant par là que la walking ne doit faire qu’un avec la ride. Il ré-insiste sur la qualité du son de cymbale, cette fois-ci non plus du point de vue de la facture instrumentale, mais du point de vue du geste de l’instrumentiste : « la prononciation du coup de cymbale. » Puis il suggère aux batteurs comme aux non batteurs quelques exercices d’indépendance à pratiquer sans instrument, combinant des coups des deux mains sur les genoux et battements des deux pieds. Il revient sur la question du son, du matériel, relativisant son importance : en concert, c’est chaque fois un set, un réglage, une qualité différente. C’est souvent calamiteux, mais il y a une solution à tout impondérable, chaque situation est un défi à faire de la musique. Il s’amuse des certains batteurs, hésite, puis lâche, un nom, Dave Weckl, qu’il a vu multiplier les fûts et les micros pendant la balance et n’entendre qu’un seul son pendant le concert : « Mieux vaut disposer de 25 sons sur un seul tom que d’un seul son sur 25 toms. »
Questions diverses ? Réponses par la parole ou par le geste, comparaison gustative, exemples de grands cuisiniers ou du simple goût d’une bonne pomme. Question sur les balais. Il place la caisse claire devant lui. La peau est usée, il n’obtient pas le frottement qui fait un beau chabada de balais. « Trouvez moi un bout de carton. J’ai fait toutes les séances des Swingle Singers sur du carton. » On lui trouve un carton qu’il coince entre ses cuisses : à la Kenny, à la Max Roach, à la Humair, le frotté pour la continuité du son (comme le sustain de la cymbale) et l’autre main qui donne l’impulsion, trouver le bon geste, le bon angle du balai sur la peau, pour la juste impulsion…
Le tremplin
Mais l’heure tourne et le tremplin attend son jury. Nous retraversons Genève pour rejoindre le Centre des Arts, sur la route de Chêne qui monte vers la frontière française et Annemasse. Super équipement. Le jury : Daniel Humair (président du jury), Guillaume Perret, le journaliste suisse Boris Senff, quatre membres de Jazz Contre Band soit Stefano Saccon (son président), le directeur artistique d’Annecy-Le-Vieux Alain Morhange, le patron du jazz club Chorus à Lausanne Jean-Claude Rochat, le responsable de Château Rouge à Annemasse Guillaume Anger et moi-même pour Jazz Magazine. Les groupes sont en majorité issus de l’HEM (ou Hemu, Haute école de musique) de Lausanne, signalant comme je l’ai dit plus haut un haut niveau de formation.
Pour ma part, et avec scrupules qui grandissent au fil des années (car ils sont si nombreux aujourd’hui que je remarque dans l’année, qu’il est peu probable qu’ils trouvent prochainement leur place dans le journal où je fais office de rédacteur en chef), je retiens le nom du trompettiste Shems Bendali du groupe The Cliff, élève de Matthieu Michel et grand admirateur d’Ambrose Ankimusire (ça s’entend dans sa trompette, comme dans sa musique, ses phrases, tout au service d’un sens de l’espace, du suspens et du drame, filiation qui semble inspirer le jouage basse-batterie de Rafaël Jerjen et François Christie). Son saxophoniste Arthur Donnot, auquel certains reprocheront un manque de projection, fait toutefois preuve d’une sonorité profonde et d’un vocabulaire qui lui permet de choruser sur la durée. Leader du AA Trio, Andrew Audiger est un pianiste à suivre qui s’est présenté cependant sur une musique un peu étriquée. Du quartette du guitariste Louis Matute qui aurait eu les préférences du président, le plus directement affilié à l’orthodoxie ternaire du jazz, j’ai retenu une première composition, la seule qui m’a semblé originale par sa façon de faire sonner le groupe, lorsque la suite m’a donné l’impression d’une juxtaposition de personnalités, en dépit d’une belle rythmique qu’il faut nommer : Virgile Rosselet (contrebasse) et Nathan Vandenbulcke (batterie).
Le prix du jury
Je réserve le nom du gagnant pour la bonne bouche. Il aura fallu auparavant débattre vigoureusement, la question de l’authenticité jazz des musiques jouées étant soulevée par Daniel Humair. Arguments mille fois échangés, notamment lors des multiples jurys auxquels j’ai participé depuis près de quarante ans, mais qui traverse l’histoire du jazz depuis les années 1930, de décennie et décennie, de révolution en révolution, sans solution définitive. Débat où, bien qu’étant moi-même attaché aux fondamentaux historiques du jazz et solidaires de leurs défenseurs, il me semble que le jazz n’a pas intérêt à se refermer sur une identité trop stricte alors que c’est toute la pratique des musiques à capacité d’improvisation (du gestes, des phrases, des rythmes, des harmonies, des formes) qui me semble en danger, pour revenir à mes inquiétudes exprimées plus haut.
Finalement, c’est l’originalité de l’orchestre Oggy and the Phonics qui est récompensée du prix du jury. On y retrouve le batteur Nathan Vandenbulcke remarqué avec Louis Matute, le clarinettiste Clément Meunier d’une belle musicalité sur toute la tessiture de l’instrument associé pour de beaux ensembles avec le saxophoniste Louis Billette, plus la guitare de Théo Duboule et la basse électrique de Gaspard Colin. Arrangements aux influences variées du rock aux musiques du monde, effets de timbres multicolores, un bel humour et une belle assise rythmique aux accents r’n’b dont on pourra profiter en divers lieux de la saison Jazz Contre Band et en ouverture de la prochaine édition du festival. • Franck Bergerot