René Urtreger et son trio invitent Agnès Desarthe au Sunside
Hier, 25 février, le trio de René Urterger accueillait au Sunside l’écrivaine Agnès Desarthe, auteure de Le Roi René, biographie, vie de musicien, étude de caractère, livre sur le livre aussi, puisqu’elle ne nous y dissimule rien de son travail et de ses raisons.
Evoquant dans ce blog la parution de cet ouvrage, j’observais que contrairement à certains de mes collègues, j’avais peu fréquenté la musique de René Urtreger. Ayant depuis raté deux occasions de l’entendre dans la capitale et bien que m’interdisant de fréquenter cette dernière le week end, je me suis donc rendu au Sunside hier soir, en outre intrigué par cette prestation inhabituelle : un musicien, son trio, sa biographe…
Va-t-elle lire ? Va-t-elle chanter (comme elle nous raconte, dans son livre, l’avoir fait un soir au Duc des Lombards à l’invitation due “Roi René”, alors que sa biographie se terminait) ? Elle s’assied en tout cas devant l’orchestre, rappelle l’aversion du pianiste pour les chanteuses qui tirent la couverture à elles et déclare d’emblée qu’elle va le faire, tirer la couverture à elle. Ou ne le déclare pas mais laisse planer le mystère : qu’est-elle venue faire là ? Elle constate que le club est plein comme un œuf (dont quelque lecteur tatillon de ce blog ne manquera pas de me rappeler qu’une œuf n’est jamais plein, ce à quoi je répondrai qu’un club n’est jamais plein, il reste toujours de la place sur le bar, sur le piano, au plafond…) et qu’elle ne voit pas où elle pourrait s’asseoir autre part que sur ce tabouret resté vacant derrière le micro (derrière, du point de vue du public), micro dans lequel elle se fera l’interprète des intentions du pianistes.
Ce qu’elle ne fait pas, puisque le trio attaque le mystérieux Con Alma de Dizzy Gillespie qu’elle se contentera de désannoncer. Et n’ayant pas compris ou entendu le titre de l’original qui suit, j’en arrive à Confirmation, peut-être la composition maîtresse de Charlie Parker. Où il me semble qu’après quelques tours de chauffe, on commence à entrer dans le vif du sujet.
Mais la soirée connaît un violent coup de frein. Voilà Agnès Desarthe qui récite son poème La Douche en plein air accompagné d’une bruine de piano. D’abord désappointé, je retrouve Agnès Desarthe telle qu’en ses livres (j’ai fréquenté deux de ses romans avant de la connaître biographe du Roi René) : sensualité narquoise, fantaisie de cette douche en plein soleil sous un bienveillant petit nuage qui vient crever au juste instant, sens du détail sous le trait net et précis d’un naturaliste qui ne saurait réprimer son humour ni sa tendresse. Elle laisse son public ravi, puis attaque The Man I Love. Non sans avoir précisé qu’elle est une chanteuse comme il y en a peu, parce qu’elle chante un peu faux. Ça n’est pas inexact, mais elle pense juste et j’en connais qui s’affichent en chanteuses de jazz qui pourraient en prendre de la graine. Chanter semble être pour Agnès Desarthe un acte naturel, le jazz un ami intime, le swing une façon d’être et les standards des chansons qu’elle sait faire sienne.
Mais René dans tout ça. Et bien, le voici justement qui s’éveille et s’épanouit sur ce tempo, dans ce rôle de “faire valoir” dont il s’évade le temps d’un élégant solo. Retour à l’instrumental en tempo médium, et le concert commence vraiment, admirablement ciselé par la batterie d’Eric Dervieu, enchanté par la walking bass lyrique d’Yves Torchinsky. Puis le pianiste enfourche un cheval de bataille, Moment’s Notice de John Coltrane, dont il fait sonner les voicings comme les sections d’un big band sous la plume d’un héritier de Tadd Dameron. Fin de set sur un It’s All Right With Me chanté d’une façon plus périlleuse, où Agnès Desarthe fait preuve d’un point de vue que quelques concerts supplémentaires avec le trio lui permettront de réaliser… mais ça n’est pas là son métier
René Urtreger affiche un air soucieux au bar, mécontent, s’accusant de ne pas être dedans… J’en profite pour filer. D’après l’un de mes 300 mails quotidiens, j’ai griffonné dans mon carnet de rendez-vous « 45° de Stéphane Payen, Christophe Lavergne et Claude Tchamitchian, 38 boulevard Bonne Nouvelle, 22 heures ». Il n’en faut pas moins pour me mettre en appétit. Le boulevard Bonne Nouvelle est à trois stations de métro, mais je trouve porte au close au 38, entrée privée sans autre indication qu’un digicode. Je me rappelle d’invitations antérieures à un 45° Jazz Club du Colonel Fabien. Confusion ? Me recherches sur internet ce matin révèle un lieu de concert qui n’est pas pressé de se faire connaître. Heureusement que je ne suis pas grand reporter. Envoyé en Galicie, je serais capable de me rendre en Galice. Acte manqué peut-être. Quitter un premier set pour un jazz critic, n’est jamais très élégant. Le jazz est un sport d’endurance, il y faut de l’échauffement. Je me souviens de François Chassagnite me foudroyant à la porte des clubs : « Monsieur le fonctionnaire ne reste pas pour le troisième set ? C’est là que ça se passe, couillon… » Retour donc au Sunside…
Il s’y passe une chose étrange. Agnès Desarthe récite un poème – elle en donne l’impression en tout cas, tant la diction reste chantante – où elle raconte qu’elle a perdu le fil, le la mémoire des mots, et même la vue, où je comprends qu’elle vient d’avoir un trou de mémoire et qu’elle a même perdu de vue le texte que par précaution elle avait placé sur son pupitre… Cet incident, sans rupture dans le cours du récit ému d’un amour d’antan, que raccommode la tendre contrebasse de Torch’. Le temps que le public s’ébroue de son émoi, et l’auteure-récitante se fait soudain chanteuse, enchaîne sur I Didn’t Know What Time It Was, medium tranquille (où Urtreger affiche un style incisif et concis contrastant avec l’introspection de sa version sur “Tentatives”), la voix suspendant les dernières secondes de la finale « What Time It Is Now » au tic-tac d’Eric Dervieu.
L’instrumental reprend sur une medium plus vif où Urtreger montre qu’il n’a rien perdu de sa confiance dans une expression vive, précise et généreuse. Fin de set sur Lover Man. Puis troisième set, commençant par un Blues for Alice que j’ai tort de négliger, engagé dans l’une de ces conversations coupables qu’on souvent les habitués du Sunside à proximité du bar et je quitte à regret le déploiement harmonique de l’introduction de Round Midnight après voir jeté un coup d’œil à ma montre.
Dévalant en biais des marches que j’avais pris pour un plan incliné, je me foule la cheville mais parvient, clopinant, jusqu’à un RER qui échoue à la Défense, à quatre longues stations de ma destination, pour cause de « cadavre sur les voies à Nanterre ». Je file à la station de taxi où il me faut cinq bonnes minutes pour trouver, parmi la dizaine de chauffeurs en attente de client, une bonne âme disposée à me ramener en banlieue, dix bonnes minutes en voiture où la médiation sur ce « cadavre sur les voies » me fait quelque peu oublier mon édifiante soirée. « Po po po po po peau de banane, tout le monde m’appelle peau de banane… » chantait Ricet-Barrier. • Franck Bergerot|Hier, 25 février, le trio de René Urterger accueillait au Sunside l’écrivaine Agnès Desarthe, auteure de Le Roi René, biographie, vie de musicien, étude de caractère, livre sur le livre aussi, puisqu’elle ne nous y dissimule rien de son travail et de ses raisons.
Evoquant dans ce blog la parution de cet ouvrage, j’observais que contrairement à certains de mes collègues, j’avais peu fréquenté la musique de René Urtreger. Ayant depuis raté deux occasions de l’entendre dans la capitale et bien que m’interdisant de fréquenter cette dernière le week end, je me suis donc rendu au Sunside hier soir, en outre intrigué par cette prestation inhabituelle : un musicien, son trio, sa biographe…
Va-t-elle lire ? Va-t-elle chanter (comme elle nous raconte, dans son livre, l’avoir fait un soir au Duc des Lombards à l’invitation due “Roi René”, alors que sa biographie se terminait) ? Elle s’assied en tout cas devant l’orchestre, rappelle l’aversion du pianiste pour les chanteuses qui tirent la couverture à elles et déclare d’emblée qu’elle va le faire, tirer la couverture à elle. Ou ne le déclare pas mais laisse planer le mystère : qu’est-elle venue faire là ? Elle constate que le club est plein comme un œuf (dont quelque lecteur tatillon de ce blog ne manquera pas de me rappeler qu’une œuf n’est jamais plein, ce à quoi je répondrai qu’un club n’est jamais plein, il reste toujours de la place sur le bar, sur le piano, au plafond…) et qu’elle ne voit pas où elle pourrait s’asseoir autre part que sur ce tabouret resté vacant derrière le micro (derrière, du point de vue du public), micro dans lequel elle se fera l’interprète des intentions du pianistes.
Ce qu’elle ne fait pas, puisque le trio attaque le mystérieux Con Alma de Dizzy Gillespie qu’elle se contentera de désannoncer. Et n’ayant pas compris ou entendu le titre de l’original qui suit, j’en arrive à Confirmation, peut-être la composition maîtresse de Charlie Parker. Où il me semble qu’après quelques tours de chauffe, on commence à entrer dans le vif du sujet.
Mais la soirée connaît un violent coup de frein. Voilà Agnès Desarthe qui récite son poème La Douche en plein air accompagné d’une bruine de piano. D’abord désappointé, je retrouve Agnès Desarthe telle qu’en ses livres (j’ai fréquenté deux de ses romans avant de la connaître biographe du Roi René) : sensualité narquoise, fantaisie de cette douche en plein soleil sous un bienveillant petit nuage qui vient crever au juste instant, sens du détail sous le trait net et précis d’un naturaliste qui ne saurait réprimer son humour ni sa tendresse. Elle laisse son public ravi, puis attaque The Man I Love. Non sans avoir précisé qu’elle est une chanteuse comme il y en a peu, parce qu’elle chante un peu faux. Ça n’est pas inexact, mais elle pense juste et j’en connais qui s’affichent en chanteuses de jazz qui pourraient en prendre de la graine. Chanter semble être pour Agnès Desarthe un acte naturel, le jazz un ami intime, le swing une façon d’être et les standards des chansons qu’elle sait faire sienne.
Mais René dans tout ça. Et bien, le voici justement qui s’éveille et s’épanouit sur ce tempo, dans ce rôle de “faire valoir” dont il s’évade le temps d’un élégant solo. Retour à l’instrumental en tempo médium, et le concert commence vraiment, admirablement ciselé par la batterie d’Eric Dervieu, enchanté par la walking bass lyrique d’Yves Torchinsky. Puis le pianiste enfourche un cheval de bataille, Moment’s Notice de John Coltrane, dont il fait sonner les voicings comme les sections d’un big band sous la plume d’un héritier de Tadd Dameron. Fin de set sur un It’s All Right With Me chanté d’une façon plus périlleuse, où Agnès Desarthe fait preuve d’un point de vue que quelques concerts supplémentaires avec le trio lui permettront de réaliser… mais ça n’est pas là son métier
René Urtreger affiche un air soucieux au bar, mécontent, s’accusant de ne pas être dedans… J’en profite pour filer. D’après l’un de mes 300 mails quotidiens, j’ai griffonné dans mon carnet de rendez-vous « 45° de Stéphane Payen, Christophe Lavergne et Claude Tchamitchian, 38 boulevard Bonne Nouvelle, 22 heures ». Il n’en faut pas moins pour me mettre en appétit. Le boulevard Bonne Nouvelle est à trois stations de métro, mais je trouve porte au close au 38, entrée privée sans autre indication qu’un digicode. Je me rappelle d’invitations antérieures à un 45° Jazz Club du Colonel Fabien. Confusion ? Me recherches sur internet ce matin révèle un lieu de concert qui n’est pas pressé de se faire connaître. Heureusement que je ne suis pas grand reporter. Envoyé en Galicie, je serais capable de me rendre en Galice. Acte manqué peut-être. Quitter un premier set pour un jazz critic, n’est jamais très élégant. Le jazz est un sport d’endurance, il y faut de l’échauffement. Je me souviens de François Chassagnite me foudroyant à la porte des clubs : « Monsieur le fonctionnaire ne reste pas pour le troisième set ? C’est là que ça se passe, couillon… » Retour donc au Sunside…
Il s’y passe une chose étrange. Agnès Desarthe récite un poème – elle en donne l’impression en tout cas, tant la diction reste chantante – où elle raconte qu’elle a perdu le fil, le la mémoire des mots, et même la vue, où je comprends qu’elle vient d’avoir un trou de mémoire et qu’elle a même perdu de vue le texte que par précaution elle avait placé sur son pupitre… Cet incident, sans rupture dans le cours du récit ému d’un amour d’antan, que raccommode la tendre contrebasse de Torch’. Le temps que le public s’ébroue de son émoi, et l’auteure-récitante se fait soudain chanteuse, enchaîne sur I Didn’t Know What Time It Was, medium tranquille (où Urtreger affiche un style incisif et concis contrastant avec l’introspection de sa version sur “Tentatives”), la voix suspendant les dernières secondes de la finale « What Time It Is Now » au tic-tac d’Eric Dervieu.
L’instrumental reprend sur une medium plus vif où Urtreger montre qu’il n’a rien perdu de sa confiance dans une expression vive, précise et généreuse. Fin de set sur Lover Man. Puis troisième set, commençant par un Blues for Alice que j’ai tort de négliger, engagé dans l’une de ces conversations coupables qu’on souvent les habitués du Sunside à proximité du bar et je quitte à regret le déploiement harmonique de l’introduction de Round Midnight après voir jeté un coup d’œil à ma montre.
Dévalant en biais des marches que j’avais pris pour un plan incliné, je me foule la cheville mais parvient, clopinant, jusqu’à un RER qui échoue à la Défense, à quatre longues stations de ma destination, pour cause de « cadavre sur les voies à Nanterre ». Je file à la station de taxi où il me faut cinq bonnes minutes pour trouver, parmi la dizaine de chauffeurs en attente de client, une bonne âme disposée à me ramener en banlieue, dix bonnes minutes en voiture où la médiation sur ce « cadavre sur les voies » me fait quelque peu oublier mon édifiante soirée. « Po po po po po peau de banane, tout le monde m’appelle peau de banane… » chantait Ricet-Barrier. • Franck Bergerot|Hier, 25 février, le trio de René Urterger accueillait au Sunside l’écrivaine Agnès Desarthe, auteure de Le Roi René, biographie, vie de musicien, étude de caractère, livre sur le livre aussi, puisqu’elle ne nous y dissimule rien de son travail et de ses raisons.
Evoquant dans ce blog la parution de cet ouvrage, j’observais que contrairement à certains de mes collègues, j’avais peu fréquenté la musique de René Urtreger. Ayant depuis raté deux occasions de l’entendre dans la capitale et bien que m’interdisant de fréquenter cette dernière le week end, je me suis donc rendu au Sunside hier soir, en outre intrigué par cette prestation inhabituelle : un musicien, son trio, sa biographe…
Va-t-elle lire ? Va-t-elle chanter (comme elle nous raconte, dans son livre, l’avoir fait un soir au Duc des Lombards à l’invitation due “Roi René”, alors que sa biographie se terminait) ? Elle s’assied en tout cas devant l’orchestre, rappelle l’aversion du pianiste pour les chanteuses qui tirent la couverture à elles et déclare d’emblée qu’elle va le faire, tirer la couverture à elle. Ou ne le déclare pas mais laisse planer le mystère : qu’est-elle venue faire là ? Elle constate que le club est plein comme un œuf (dont quelque lecteur tatillon de ce blog ne manquera pas de me rappeler qu’une œuf n’est jamais plein, ce à quoi je répondrai qu’un club n’est jamais plein, il reste toujours de la place sur le bar, sur le piano, au plafond…) et qu’elle ne voit pas où elle pourrait s’asseoir autre part que sur ce tabouret resté vacant derrière le micro (derrière, du point de vue du public), micro dans lequel elle se fera l’interprète des intentions du pianistes.
Ce qu’elle ne fait pas, puisque le trio attaque le mystérieux Con Alma de Dizzy Gillespie qu’elle se contentera de désannoncer. Et n’ayant pas compris ou entendu le titre de l’original qui suit, j’en arrive à Confirmation, peut-être la composition maîtresse de Charlie Parker. Où il me semble qu’après quelques tours de chauffe, on commence à entrer dans le vif du sujet.
Mais la soirée connaît un violent coup de frein. Voilà Agnès Desarthe qui récite son poème La Douche en plein air accompagné d’une bruine de piano. D’abord désappointé, je retrouve Agnès Desarthe telle qu’en ses livres (j’ai fréquenté deux de ses romans avant de la connaître biographe du Roi René) : sensualité narquoise, fantaisie de cette douche en plein soleil sous un bienveillant petit nuage qui vient crever au juste instant, sens du détail sous le trait net et précis d’un naturaliste qui ne saurait réprimer son humour ni sa tendresse. Elle laisse son public ravi, puis attaque The Man I Love. Non sans avoir précisé qu’elle est une chanteuse comme il y en a peu, parce qu’elle chante un peu faux. Ça n’est pas inexact, mais elle pense juste et j’en connais qui s’affichent en chanteuses de jazz qui pourraient en prendre de la graine. Chanter semble être pour Agnès Desarthe un acte naturel, le jazz un ami intime, le swing une façon d’être et les standards des chansons qu’elle sait faire sienne.
Mais René dans tout ça. Et bien, le voici justement qui s’éveille et s’épanouit sur ce tempo, dans ce rôle de “faire valoir” dont il s’évade le temps d’un élégant solo. Retour à l’instrumental en tempo médium, et le concert commence vraiment, admirablement ciselé par la batterie d’Eric Dervieu, enchanté par la walking bass lyrique d’Yves Torchinsky. Puis le pianiste enfourche un cheval de bataille, Moment’s Notice de John Coltrane, dont il fait sonner les voicings comme les sections d’un big band sous la plume d’un héritier de Tadd Dameron. Fin de set sur un It’s All Right With Me chanté d’une façon plus périlleuse, où Agnès Desarthe fait preuve d’un point de vue que quelques concerts supplémentaires avec le trio lui permettront de réaliser… mais ça n’est pas là son métier
René Urtreger affiche un air soucieux au bar, mécontent, s’accusant de ne pas être dedans… J’en profite pour filer. D’après l’un de mes 300 mails quotidiens, j’ai griffonné dans mon carnet de rendez-vous « 45° de Stéphane Payen, Christophe Lavergne et Claude Tchamitchian, 38 boulevard Bonne Nouvelle, 22 heures ». Il n’en faut pas moins pour me mettre en appétit. Le boulevard Bonne Nouvelle est à trois stations de métro, mais je trouve porte au close au 38, entrée privée sans autre indication qu’un digicode. Je me rappelle d’invitations antérieures à un 45° Jazz Club du Colonel Fabien. Confusion ? Me recherches sur internet ce matin révèle un lieu de concert qui n’est pas pressé de se faire connaître. Heureusement que je ne suis pas grand reporter. Envoyé en Galicie, je serais capable de me rendre en Galice. Acte manqué peut-être. Quitter un premier set pour un jazz critic, n’est jamais très élégant. Le jazz est un sport d’endurance, il y faut de l’échauffement. Je me souviens de François Chassagnite me foudroyant à la porte des clubs : « Monsieur le fonctionnaire ne reste pas pour le troisième set ? C’est là que ça se passe, couillon… » Retour donc au Sunside…
Il s’y passe une chose étrange. Agnès Desarthe récite un poème – elle en donne l’impression en tout cas, tant la diction reste chantante – où elle raconte qu’elle a perdu le fil, le la mémoire des mots, et même la vue, où je comprends qu’elle vient d’avoir un trou de mémoire et qu’elle a même perdu de vue le texte que par précaution elle avait placé sur son pupitre… Cet incident, sans rupture dans le cours du récit ému d’un amour d’antan, que raccommode la tendre contrebasse de Torch’. Le temps que le public s’ébroue de son émoi, et l’auteure-récitante se fait soudain chanteuse, enchaîne sur I Didn’t Know What Time It Was, medium tranquille (où Urtreger affiche un style incisif et concis contrastant avec l’introspection de sa version sur “Tentatives”), la voix suspendant les dernières secondes de la finale « What Time It Is Now » au tic-tac d’Eric Dervieu.
L’instrumental reprend sur une medium plus vif où Urtreger montre qu’il n’a rien perdu de sa confiance dans une expression vive, précise et généreuse. Fin de set sur Lover Man. Puis troisième set, commençant par un Blues for Alice que j’ai tort de négliger, engagé dans l’une de ces conversations coupables qu’on souvent les habitués du Sunside à proximité du bar et je quitte à regret le déploiement harmonique de l’introduction de Round Midnight après voir jeté un coup d’œil à ma montre.
Dévalant en biais des marches que j’avais pris pour un plan incliné, je me foule la cheville mais parvient, clopinant, jusqu’à un RER qui échoue à la Défense, à quatre longues stations de ma destination, pour cause de « cadavre sur les voies à Nanterre ». Je file à la station de taxi où il me faut cinq bonnes minutes pour trouver, parmi la dizaine de chauffeurs en attente de client, une bonne âme disposée à me ramener en banlieue, dix bonnes minutes en voiture où la médiation sur ce « cadavre sur les voies » me fait quelque peu oublier mon édifiante soirée. « Po po po po po peau de banane, tout le monde m’appelle peau de banane… » chantait Ricet-Barrier. • Franck Bergerot|Hier, 25 février, le trio de René Urterger accueillait au Sunside l’écrivaine Agnès Desarthe, auteure de Le Roi René, biographie, vie de musicien, étude de caractère, livre sur le livre aussi, puisqu’elle ne nous y dissimule rien de son travail et de ses raisons.
Evoquant dans ce blog la parution de cet ouvrage, j’observais que contrairement à certains de mes collègues, j’avais peu fréquenté la musique de René Urtreger. Ayant depuis raté deux occasions de l’entendre dans la capitale et bien que m’interdisant de fréquenter cette dernière le week end, je me suis donc rendu au Sunside hier soir, en outre intrigué par cette prestation inhabituelle : un musicien, son trio, sa biographe…
Va-t-elle lire ? Va-t-elle chanter (comme elle nous raconte, dans son livre, l’avoir fait un soir au Duc des Lombards à l’invitation due “Roi René”, alors que sa biographie se terminait) ? Elle s’assied en tout cas devant l’orchestre, rappelle l’aversion du pianiste pour les chanteuses qui tirent la couverture à elles et déclare d’emblée qu’elle va le faire, tirer la couverture à elle. Ou ne le déclare pas mais laisse planer le mystère : qu’est-elle venue faire là ? Elle constate que le club est plein comme un œuf (dont quelque lecteur tatillon de ce blog ne manquera pas de me rappeler qu’une œuf n’est jamais plein, ce à quoi je répondrai qu’un club n’est jamais plein, il reste toujours de la place sur le bar, sur le piano, au plafond…) et qu’elle ne voit pas où elle pourrait s’asseoir autre part que sur ce tabouret resté vacant derrière le micro (derrière, du point de vue du public), micro dans lequel elle se fera l’interprète des intentions du pianistes.
Ce qu’elle ne fait pas, puisque le trio attaque le mystérieux Con Alma de Dizzy Gillespie qu’elle se contentera de désannoncer. Et n’ayant pas compris ou entendu le titre de l’original qui suit, j’en arrive à Confirmation, peut-être la composition maîtresse de Charlie Parker. Où il me semble qu’après quelques tours de chauffe, on commence à entrer dans le vif du sujet.
Mais la soirée connaît un violent coup de frein. Voilà Agnès Desarthe qui récite son poème La Douche en plein air accompagné d’une bruine de piano. D’abord désappointé, je retrouve Agnès Desarthe telle qu’en ses livres (j’ai fréquenté deux de ses romans avant de la connaître biographe du Roi René) : sensualité narquoise, fantaisie de cette douche en plein soleil sous un bienveillant petit nuage qui vient crever au juste instant, sens du détail sous le trait net et précis d’un naturaliste qui ne saurait réprimer son humour ni sa tendresse. Elle laisse son public ravi, puis attaque The Man I Love. Non sans avoir précisé qu’elle est une chanteuse comme il y en a peu, parce qu’elle chante un peu faux. Ça n’est pas inexact, mais elle pense juste et j’en connais qui s’affichent en chanteuses de jazz qui pourraient en prendre de la graine. Chanter semble être pour Agnès Desarthe un acte naturel, le jazz un ami intime, le swing une façon d’être et les standards des chansons qu’elle sait faire sienne.
Mais René dans tout ça. Et bien, le voici justement qui s’éveille et s’épanouit sur ce tempo, dans ce rôle de “faire valoir” dont il s’évade le temps d’un élégant solo. Retour à l’instrumental en tempo médium, et le concert commence vraiment, admirablement ciselé par la batterie d’Eric Dervieu, enchanté par la walking bass lyrique d’Yves Torchinsky. Puis le pianiste enfourche un cheval de bataille, Moment’s Notice de John Coltrane, dont il fait sonner les voicings comme les sections d’un big band sous la plume d’un héritier de Tadd Dameron. Fin de set sur un It’s All Right With Me chanté d’une façon plus périlleuse, où Agnès Desarthe fait preuve d’un point de vue que quelques concerts supplémentaires avec le trio lui permettront de réaliser… mais ça n’est pas là son métier
René Urtreger affiche un air soucieux au bar, mécontent, s’accusant de ne pas être dedans… J’en profite pour filer. D’après l’un de mes 300 mails quotidiens, j’ai griffonné dans mon carnet de rendez-vous « 45° de Stéphane Payen, Christophe Lavergne et Claude Tchamitchian, 38 boulevard Bonne Nouvelle, 22 heures ». Il n’en faut pas moins pour me mettre en appétit. Le boulevard Bonne Nouvelle est à trois stations de métro, mais je trouve porte au close au 38, entrée privée sans autre indication qu’un digicode. Je me rappelle d’invitations antérieures à un 45° Jazz Club du Colonel Fabien. Confusion ? Me recherches sur internet ce matin révèle un lieu de concert qui n’est pas pressé de se faire connaître. Heureusement que je ne suis pas grand reporter. Envoyé en Galicie, je serais capable de me rendre en Galice. Acte manqué peut-être. Quitter un premier set pour un jazz critic, n’est jamais très élégant. Le jazz est un sport d’endurance, il y faut de l’échauffement. Je me souviens de François Chassagnite me foudroyant à la porte des clubs : « Monsieur le fonctionnaire ne reste pas pour le troisième set ? C’est là que ça se passe, couillon… » Retour donc au Sunside…
Il s’y passe une chose étrange. Agnès Desarthe récite un poème – elle en donne l’impression en tout cas, tant la diction reste chantante – où elle raconte qu’elle a perdu le fil, le la mémoire des mots, et même la vue, où je comprends qu’elle vient d’avoir un trou de mémoire et qu’elle a même perdu de vue le texte que par précaution elle avait placé sur son pupitre… Cet incident, sans rupture dans le cours du récit ému d’un amour d’antan, que raccommode la tendre contrebasse de Torch’. Le temps que le public s’ébroue de son émoi, et l’auteure-récitante se fait soudain chanteuse, enchaîne sur I Didn’t Know What Time It Was, medium tranquille (où Urtreger affiche un style incisif et concis contrastant avec l’introspection de sa version sur “Tentatives”), la voix suspendant les dernières secondes de la finale « What Time It Is Now » au tic-tac d’Eric Dervieu.
L’instrumental reprend sur une medium plus vif où Urtreger montre qu’il n’a rien perdu de sa confiance dans une expression vive, précise et généreuse. Fin de set sur Lover Man. Puis troisième set, commençant par un Blues for Alice que j’ai tort de négliger, engagé dans l’une de ces conversations coupables qu’on souvent les habitués du Sunside à proximité du bar et je quitte à regret le déploiement harmonique de l’introduction de Round Midnight après voir jeté un coup d’œil à ma montre.
Dévalant en biais des marches que j’avais pris pour un plan incliné, je me foule la cheville mais parvient, clopinant, jusqu’à un RER qui échoue à la Défense, à quatre longues stations de ma destination, pour cause de « cadavre sur les voies à Nanterre ». Je file à la station de taxi où il me faut cinq bonnes minutes pour trouver, parmi la dizaine de chauffeurs en attente de client, une bonne âme disposée à me ramener en banlieue, dix bonnes minutes en voiture où la médiation sur ce « cadavre sur les voies » me fait quelque peu oublier mon édifiante soirée. « Po po po po po peau de banane, tout le monde m’appelle peau de banane… » chantait Ricet-Barrier. • Franck Bergerot