Respire jazz ! Un, deux, trois… respirons !
Quel beau nom pour un déconfinement ! Ceci étant voici douze éditions que le jazz respire à pleins poumons chaque années à même période sous ce nom au pied de l’Abbaye de Puypéroux. Hier, ouverture au parc de la Mairie de Montmoreau, commune qui a depuis la dernière édition absorbé notamment Aignes-et-Puypéroux.
« Le jazz grandeur nature ! » annonce l’affiche, un slogan digne de la famille Perchaud, famille élargie à une large compagnie de bénévoles et amis réunis autour du guitariste Pierre Perchaud, et où ont table ouverte chaque années, parmi une affiche de premier plan, les plus prometteuses “pousses” du CDML (Centre de musique Didier Lockwood) dont il est l’un des principaux animateurs. Cette année il a fallu jongler avec les consignes et contreconsignes de la période et chambouler le planning pour respecter un couvre-feu désormais levé. Et c’est ainsi qu’hier le festival s’ouvrait à 19h pour deux concerts au parc de la Mairie de Montmoreau, dispositif scénique et éclairage réduit au minimum, traditionnelles balles de paille en guise de siège, présentation du programme par le Monsieur Loval de la manifestation, Philippe Vincent – celui-là même qui écrit dans Jazz Magazine après avoir été bénévole il y a une quarantaine d’années au festival de jazz d’Angoulême, puis fondateur d’OMD, longtemps numéro 1 de la distribution des catalogues phonographiques indépendants de jazz, et du label Ida Records (Barney Wilen, Louis Sclavis, Enrico Pieranunzi…) – qui donna le virus du jazz dans cette région des Charentes et même parmi ses amis bayonnais, nombreux à monter chaque année à Respire Jazz.
Ouverture ce vendredi 25 juin, donc, avec deux groupes « locaux ». V.E.G.A. est un quintette formé au Conservatoire de Bordeaux, au fonctionnement collectif quoi fortement marqué par ses deux principaux compositeurs, Mathis Polack (sopranino, sax ténor) et Félix Robin (vibraphone). La rythmique – Louis Laville (contrebasse), Nicolas Giardi (batterie) – joue le jeu d’une intéressante déconstruction rythmique sans convaincre totalement, probablement desservie par une sonorisation problématique qui surligne une contrebasse au son un peu court et disperse une batteire devenue diaphane. Paolo Chatet fait preuve d’une élégante introspection qui, répertoire aidant, nous fait songer à Booker Little et, plus près de nous, Kenny Wheeler. Mathis Polack séduit tant par la conviction de son jeu et la multiplicité de ses propositions. Quant à Félix Robin, il a toujours quelque idée en tête en cours de développement qui rend son jeu constamment captivant et exerce un fort effet d’entrainement sur le reste du groupe.
Le crépuscule approchant, on a retrouvé un habitué du festival et de la région, le pianiste Didier Frébeuf, avec le trio Ifriqyiya devenu quartette avec l’arrivée du saxophoniste et flûtiste Jérémie Arnal (il joue également du xaphoon, sorte de petit sopranino de poche diatonique, donc sans clé, à l’allure d’antique chalumeau). Une nouvelle formule suffisamment rodée pour que le groupe s’épargne l’usage des partitions, dont les autres membres sont Fayçal El Mezouar (chant, oud, violon) et Émile Biayenda (batterie, djembés). Mélange de musique africaine, moyen-orientale et jazz sur lequel bien d’autres se sont cassé les dents. Ce qui n’est pas le cas d’Ifriquiya. Les traditions voisinent ici sans hiatus avec modernité, et lisibilité mélodique avec abstraction. Le pari du piano dans ce contexte est notamment particulièrement réussi, jouant tout à la fois du déploiement modal monodique, de l’inclusion, voire de la dérive chromatique, de l’épaisseur harmonique, invoquant ici le Stravinsky du Sacre, déduisant là un détour vers le marabi sud-africain d’une cadence châabi. La voix, le oud et parfois violon, s’en font complice. Les vents du nouveau venu s’en mêlent à tue-tête et Biayenda propose un festin de polyrythmie. Tous quatre nous ont fait oublier le froid soudain de fin de soirée et les tristes heures du couvre-feu. Nous nous sommes séparés sous une lune énorme montant à l’horizon, promesse d’un lendemain radieux au pied de l’abbaye de Puypéroux : à 10h promenade musicale, 11h30 l’Orphéon Méléhouatts, 14h30 le Romain Pilon Trio avec Yoni Zelnik et Fred Pasqua (en accès libre), à 17h le Slow Quartet (Yoann Loustalot, Julien Touéry, Éric Surménian et Laurent Paris), puis le trio Baa Box de Leïla Martial (Pierre Tereygeol, Éric Perez). D’ailleurs, il est temps que je termine cette chronique pour filer là-bas. Franck Bergerot (Photos X. Deher)