Jazz live
Publié le 17 Nov 2024

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Pour Hermia / Darrifourcq / Ceccaldi et le Boi Akih Group feat.Fanny Meteier et Hélène Duret… plus quelques autres.

Qui s’intéresse à la scène bruxelloise depuis les années 1990 n’a pu manquer d’entendre Manuel Hermia, saxophoniste héritier du free jazz historique et avide d’escapades vers les Orients, de manière générale aux frontières des musiques improvisées afro-européennes et des pratiques orales extra-européennes. On connaît le violoncelliste Valentin Ceccaldi, peut-être moins que son frère Théo, parce qu’habitué aux rôles plus discrets souvent associés à la fréquentation des registres graves. Quant à Sylvain Darrifourcq, il s’est fait connaître au sein de l’Émile Parisien Quartet, formation dont le caractère foncièrement collectif a été occulté au profit du seul leader, par commodité ou par paresse éditoriale de la presse ou cette espèce de surdité qui remplace l’entendre par le voir, Émile Parisien, par son engagement très visuel, par son charisme très scénique, captivant tous les regards. Les raisons qui ont poussé Darrifourcq a quitter l’Émile Parisien Quartet, le batteur s’en explique dans son opuscule 20 000 mots disponible sur bandcamp , texte parfois déroutant, voire agaçant, mais passionnant, et qui a stimulé mon envie de le réentendre. L’une des deux raisons de ma seconde visite à Jazzdor 2024 en provenance du D’Jazz Nevers Festival.

D’emblée, dans une introduction en forme de petit “exposé” sur la polymétrie, entre le batteur et son violoncelliste (ici en lieu et place d’une contrebasse), Sylvain Darrifourcq place le curseur de l’échelle des paramètres sur le grade « temps et mètre » : la mesure du temps sa décomposition, ses fantômes, ses suspensions, ses ralentissements et accélérations réelles ou illusoires. Et si le timbre et la dynamique viennent tout de suite après, c’est au nom d’une savante (quand bien même frénétique) distribution des couleurs, jusqu’à de prodigieux grondements qui m’inviteront à aller jeter un coup d’œil à sa batterie à la fin du set pour m’assurer qu’il ne recourrait à aucun dispositif électronique (à moins qu’il n’ait tenu dans sa poche et qu’il soit sorti de scène avec). Porteur de la dimension mélodique de ce trio qui joue aussi sur la carte du lyrisme, Manuel Hermia participe cependant à cette réflexion sur le temps, tout en la débordant, mais avec un discours dont la dimension rythmique renvoie au screamin’ & preachin’ saxophone du rhythm and blues tel qu’il transparaît encore chez John Coltrane et évidemment chez ses héritiers, ici plutôt du côté d’Archie Shepp voire de Dewey Redman.

En seconde partie, le tandem constitué de la chanteuse Monica Akihary originaire des Îles Moluques et du guitariste et compositeur néerlandais Niels Brouwer, présentait un nouveau septette sous le nom Boi Akih Group. À la guitare électrique ou acoustique, Niels Brouwer est le moteur du groupe, comme compositeur, arrangeur (des arrangements qui s’articulent autour de sa guitare). Monica Akihary psalmodise entre le parler et le chanter, souvent hors texte (dans la langue de son pays d’origine), entre vocalises et onomatopées peu percussives, privilégiant les voyelles et les diphtongues pour se joindre ici et là aux lignes composées souvent de nature abstraite par comparaison aux habitudes lyriques de la chanson.

Pas de bassiste mais un batteur dont l’efficace élégance semble familière du répertoire. Pas de bassiste, mais une tubiste, Fanny Meteier qui en fait ici et là office, rôle d’assise où elle vient ici et là soutenir la guitare, et qu’elle peut aussi partager avec la clarinette basse d’Hélène Duret. Cette section de vents qui fonctionne aussi en tant que telle est complétée par Peter Somuah, formidable trompettiste dont on jurerait qu’il a entendu Ambrose Akinmusire, et Yedo Gibson, saxophoniste ténor qui, en soliste, relève d’une sorte “freela freela pharaonesque tendance Sanders”. Les arrangements et leur interprétation, parfois en homophonie avec les “vocalises” de Monica Akihary, sentent encore le frais et n’ont probablement pas d’autre ambition que cet à-peu-près, cette semi-liberté collective qui évoque parfois la joyeuse foire d’empoigne de la regrettée Brotherhood of Breath de Chris McGregor.

Mais il me faut vous quitter, l’heure avance, et à 17, au Planétarium du Jardin des Sciences, j’ai hâte de réentendre les Shadowlands de Robin Fincker, Kit Downes et Lauren Kinsella.

Franck Bergerot