Retour sur Dan Tepfer et Leon Parker au Sunside
Au Sunside, Dan Tepfer et Leon Parker ont réenchanté le mot Liberté.
Dan Tepfer (piano, mélodica), Leon parker (batteur en tous genres), Sunside 30 octobre 2019
Il est rare, même dans le jazz, de voir des musiciens prendre la liberté réellement et absolument au sérieux. Il existe en effet de multiples façons d’en estomper les aspérités, comme ces morceaux de cartons que l’on place aux angles des meubles pour éviter que les petits enfants ne se blessent. Mais Dan Tepfer et Leon Parker, ce soir là, ne voulaient pas d’un ersatz de liberté. (« On parle de tout ensemble, mais jamais de la musique qu’on va faire » relevait d’ailleurs Dan Tepfer). Ils étaient donc venus avec pour seul bagage leur entière disponibilité. Tout dans leur attitude disait leur volonté de s’abandonner aux inventions de l’autre, pour les continuer , les prolonger, ou les discuter.
Assez vite, on constate chez les eux musiciens des manières différentes de rentrer en eux-mêmes pour devenir pure réceptivité. Chez Tepfer se manifeste quelque chose de yogique, dans sa manière d’écouter intensément, presque avidement, les propositions de Leon Parker et de s’en saisir comme des offrandes.
Chez Leon Parker, l’ascèse est plus décontractée. Il possède tous les registres de son instrument. D’ailleurs il a étendu son instrument à l’univers entier. Il vit dans un monde-batterie, qu’il se serve de son corps (sur lequel il réussit parfaitement à faire entendre les temps forts et les temps faibles tout en chantant les cymbales) du piano, ou de sa batterie (dont il possède toutes les nuances, capable de se transformer en batteur pointilliste ou en batteur puissant dont les accents ont une force saisissante).
Quant à Tepfer, ce qui frappe une fois de plus en l’écoutant c’est son sens mélodique inépuisable : il pose les doigts sur le piano, il en sort une chanson. Mais aussi et en plus cette manière d’associer l’invention mélodique à la profondeur. Il semble parfois se servir du piano comme instrument de méditation. On a l’impression parfois que se construisent autour de lui des églises invisibles, qu’on situerait tantôt dans la Virginie du XIXe siècle, tantôt dans la Saxe du XVIIe, une de ces églises, bien sûr, où officiait le cantor de Leipzig.
La réunion de ces deux tempéraments, de ce fin mélodiste et de ce batteur fauve, fait tout le prix de cette rencontre. Il y a des fulgurances, des embrasements, mais aussi des moments d’attente, de silence, de fatigue, car la liberté ne va pas sans scories.
A la fin du concert on se demande si on a vraiment vu un duo. On a vu en effet se détacher sur scène un troisième partenaire, qui prend bien plus de place que Leon Parker et dan Tepfer réunis, qui les écrase presque mais qui n’existe que par eux : c’est la pulsation.
Elle est toujours là, toujours au centre, même dans les moments de recherche et d’hésitation. On a l’impression qu’on pourrait la toucher. Elle est là, comme un feu tantôt vif, tantôt doux, sur lequel veillent Dan Tepfer et Leon Parker et dont ils n’ont ce soir-là jamais laissé refroidir les braises.
Texte JF Mondot
Dessins: AC Alvoët (autres dessins, peintures, gravures à découvrir sur son site www.annie-claire. com ou pour les Parisiens sur les deux niveaux du Sunset-Sunside rue des Lombards, 75004 Paris)