Riccardo Del Fra : ‘Broadway Letters’ au Triton

Le grand retour au Triton de Riccardo Del Fra, qui n’avait pas joué dans ce club depuis plusieurs lustres, accaparé qu’il était par ses fonctions au Conservatoire de Paris. Libéré par l’avènement d’une retraite bien méritée, il fait éclore de nouveaux projets. Celui-ci (qui a émergé sur scène voici quelques mois) l’associe à un partenaire historique, Alain Jean-Marie, côtoyé notamment au côté de Chet Baker, et à un jeune saxophoniste qui fut son étudiant au Conservatoire National Supérieur, le saxophoniste Pierre Carbonneaux. Il faut se rappeler que Riccardo a beaucoup accueilli dans ses groupes ses étudiants (et anciens étudiants) : Bruno Ruder, Rémi Fox, Carl-Henri Morisset….
Sous l’intitulé sibyllin de ‘Broadway Letters’, Riccardo nous raconte, en musique, ces standards liés à l’histoire de Broadway et d’Hollywood, et aussi l’histoire de ces compositeurs (dont certains méconnus) qui ont façonné ce qui deviendra l’un des répertoires les plus importants du jazz. Ici cette musique est livrée dans son état originel, très vite parée des apports de la ‘jazzité’. Rien à voir cependant avec ce que j’écoutais deux jours plus tôt au New Morning, avec ‘The Hookup’, quartette effervescent qui passait à la moulinette virtuose et inspirée des standards de la période 1918-1929 (compte rendu dans ces colonnes ici ). C’est plutôt une évocation, tout aussi créative, d’un patrimoine ; évocation qui se rapprocherait de ce que j’imagine d’un autre projet (que je n’ai pas encore écouté) : le concert-conférence de Raphaël Imbert et Pierre-François Blanchard, rebaptisé concérence, et qui commente en paroles et musiques un aspect du jazz.

RICCARDO DEL FRA ‘Broadway Letters’
Pierre Carbonneaux (saxophones ténor & soprano), Alain Jean-Marie (piano), Riccardo Del Fra (contrebasse & commentaire)
Les Lilas, Le Triton, salle n° 2, 11 avril 2025, 20h30

Les thèmes joués ce soir appartiennent aux répertoires nés entre les années 20 et les années 40. Le concert s’ouvre avec When You Wish Upon A Star, l’occasion pour Riccardo d’évoquer en cinéphile le dessin animé Pinocchio, et aussi des reprises de ce thème. Sera abordé ensuite The Man I Love, qui permet au contrebassiste de parler des Frères Gershwin, et des tribulations de ce standard d’une comédie musicale à l’autre dans les années 20. Suivra Stella By A Starlight, objet d’une nouvelle digression cinéphile, à propos notamment de la façon dont ce thème instrumental reçut ultérieurement des paroles. Anything Goes se terminera par un stop chorus de Pierre Carbonneaux, qui en cours de route passera du ténor au soprano, pour aborder ensuite les rives de Darn That Dream. Puis Riccardo nous offrira une intro-mystère en solo, qui révélera Someday My Prine Will Come : il y prendra un solo doublé à la voix, selon une tradition chez les bassistes d’antan : Slam Stewart, Major Holley…. Le saxophoniste reviendra au ténor, puis reprendra le soprano pour Nice Work If You Can Get It . Un solo inspiré d’Alain Jean-Marie sur I Can’t Get Started (rejoint par le ténor puis par la basse) permettra à Riccardo de nous parler de Vernon Duke, né Vladimir Alexandrovitch Dukelsky dans l’Empire Russe, et aussi d’autres compositeurs de Broadway et d’Hollywood venus d’Europe Centrale. Sur How Deep Is The Ocean le saxophoniste et le pianiste se joueront de l’art du contrepoint improvisé. Et dans Just One Of Those Things, le soprano s’envolera, et le piano cursif nous embarquera. Ce concert très singulier fut à la fois un beau moment de musique et une plongée dans l’histoire de la musique états-unienne, et de sa contribution majeure au répertoire de ce jazz que nous chérissons.
Xavier Prévost
On retrouvera ce programme le 22 mai 2025 à Paris, au 38 Riv