Robben Ford : l’interview exclusive !
C’est quelques instants après une répétition en vue de deux concerts au célèbre Sunset, où il se produira pour la toute première fois, que nous avons eu la chance de rencontrer le guitariste. Nous sommes au Studio des Gobelins, le lieu souterrain, chaleureux et atypique qu’a équipé Stefan Patry voici quelques mois, et l’évidence avec laquelle sonne ce groupe rend soudain l’attente de ces concerts parisien plus difficile. Mais pas le temps de rêvasser : sitôt l’ampli éteint et après avoir félicité le reste de son quartette (le violiniste Daniel John Martin, l’organiste Anthony Honnet son frère Davy à la batterie), Robben Ford, tout de noir vêtu, se dirige vers nous avec un grand sourire (vous aurez peut-être du mal à le croire en le voyant, mais en ce 16 décembre, il fêtait son 70ème anniversaire…), et c’est le début d’une conversation passionnante, où forcément, les plus grandes étapes de sa vie musicale ont occupé une très grande place.
A quand remonte votre tout premier souvenir sur scène ?
J’ai commencé avec des talent shows à l’école primaire, et pour ma première sur scène, j’ai dansé ! Quelque chose que j’avais inventé, c’était absurde ! Ensuite je me suis mis au saxophone, et ensuite seulement à la guitare. Dans mon premier groupe, à 13 ans, je chantais et je jouais des deux instruments. On ne jouait pas du jazz, c’était de la pop : les Rolling Stones, Gloria de Them Louie Louie… je ne connaissais que trois accords !
Beaucoup de guitaristes de votre génération racontent que c’est en voyant les Beatles à la télévision, au Ed Sullivan Show, que leur vie a changé. Est-ce que vous les avez vu à cette occasion aussi ?
Oui, mais je ne jouais même pas encore de la guitare à l’époque, donc ce n’est pas eux qui m’ont montré la voie mais plutôt le Paul Butterfield Blues Band avec Mike Bloomfield à la guitare. Avant ça, je ne faisais rien de sérieux ! Leur premier album est sorti en 1965, l’année suivante il y a eu le festival East West qui était incroyable, mais ensuite Bloomfield a quitté le groupe et Elvin Bishop l’a remplacé. J’ai vu David Sanborn sur scène avec Butterfield quand j’étais au lycée, et c’est un peu devenu mon héros, car il jouait de l’alto comme moi. C’était un membre du groupe comme les autres, mais il se démarquait.
“Joni Mitchell était une déesse, elle était incroyable, stupéfiante, magnifique, drôle, elle était géniale !”
Vous jouez toujours du saxophone, ne serait-ce que pour le plaisir ?
Non jamais, c’est trop dur ! J’ai enregistré un petit peu mais j’en ai un peu honte, je n’ai jamais été très bon ! C’est pour ça que la guitare s’est imposée.
Vous avez quand même enregistré un superbe album en tant que saxophoniste et guitariste, “Schizophonic” (LA International Records, 1976). Est-ce que vous avez tourné avec ce disque et continué à jouer du saxophone par la suite ?
[Quand il entend le titre du disque] Ooh, incroyable ! Et bien non je n’ai jamais tourné avec cette musique, parce que je jouais de la guitare pour Jimmy Witherspoon à cette époque. Mais le disque dont vous parlez était en fait la bande-sonore d’un film à petit budget. Les producteurs avaient un lien avec la société de production dont je dépendais, et c’est eux qui m’ont proposé ce projet. On avait tout improvisé en regardant les images.
Un peu comme Miles Davis avec Ascenseur pour échafaud !
Voilà, mais le film n’était pas aussi bon !
Dans les années 1970 vous avez collaboré avec Joni Mitchell. Est-ce par l’intermédiaire de Tom Scott et de L.A. Express [le groupe qui l’accompagnait à ce moment-là, NDLR] que vous l’avez rencontrée ?
Oui à l’époque où je jouais dans le groupe de Jimmy Witherspoon, certains membres de L.A. Express m’ont repéré. Larry Carlton ne pouvait pas partir en tournée avec eux alors ils se sont mis à la recherche d’un guitariste, et ils m’ont appelé. J’ai travaillé avec Joni pendant deux ans et c’était super, c’est là que j’ai le plus appris, plus qu’à n’importe quel autre moment. Grace à sa musique bien sûr, mais aussi parce que c’était la première fois que je jouais avec de tels musiciens : Roger Kellaway, Max Bennett, Tom Scott… c’était des grands, et moi je n’étais qu’un gamin ! Je n’en revenais pas qu’ils veuillent de moi dans le groupe. Ils étaient très avancés, et moi encore un peu vert. Joni était une déesse, elle était incroyable, stupéfiante, magnifique, drôle, elle était géniale !
Souvent les musiciens racontent que jouer avec elle est difficile en raison de son langage harmonique par exemple, l’avez-vous ressenti aussi ?
Oui tout à fait, j’étais tout simplement…wow ! J’apprenais. Les autres musiciens me montraient ce que je devais jouer, souvent. Tom Scott notamment, qui était un peu son directeur artistique.
“Le groupe de Miles ? Ce n’était pas très marrant !”
Est-ce qu’ils vous ont aussi appris des choses sur la vie en tournée, tout ce qu’il y avait autour de la musique ?
Non, je devais me débrouiller pour ça. Mais c’était des gens super, très agréables.
À la fin des années 1970, vous avez enregistré “The Inside Story” sur le label Elektra, produit par Steve Cropper, à peu près à l’époque de la création des Yellow Jackets et de leur premier disque. Et ces deux albums sont très populaires en France…
Oui et c’était le même groupe, mon groupe ! J’ai créé les Yellowjackets. On a fait mon album d’abord, puis une démo séparée pour le groupe, sur les conseils de mon manager, car je faisais plutôt de la musique vocale et les Yellowjackets de l’instrumentale. Le groupe a signé chez Warner Brothers, sauf moi qui était déjà en contrat avec Elektra. Mais c’est comme ça qu’est né notre premier album. Warner Bros a beaucoup soutenu les Yellowjackets, bien plus que Elektra ne l’a fait pour ma musique. Je ne sais pas pourquoi…
C’était pourtant produit par Steve Cropper, qui avait travaillé chez Stax Records ! Comment c’était de travailler avec lui, et avec Miles Davis par la suite ?
Steve est une légende ! Mais c’était une situation difficile. Quant au groupe de Miles, et bien ce n’était très marrant d’y être… Lui je l’adorais, mais le groupe était plus une somme d’individualités, il n’était pas vraiment soudé. Et puis Miles, on ne le voyait que sur scène ! J’avais signé chez Warner Brothers pour enregistrer “Talk To Your Daughter” (1988), et je m’en suis un peu servi comme excuse pour partir ! Je lui ai recommandé Garth Webber, un ami à moi, mais il n’est resté avec lui que deux mois. A l’époque Miles changeait souvent de musiciens. Il m’avait dit que je pouvais revenir si je voulais. Mais tout ça est arrivé il y a si longtemps ! C’est difficile d’en parler, et fatiguant. J’ai 70 ans ! D’ailleurs, on va aller fêter ça au restaurant ce soir.
Au micro : Fred Goaty et Yazid Kouloughli
Un grand merci à Stefan Patry et à Daniel John Martin !