Rocher de Palmer: Ryan Porter, ou les amours du jazz et du hip hop
Béret noir vissé sur le crâne, raybans à reflets,manchon en métal cuivré à l’epaule droite et cheich en bandoulière: à l’image de l’excentrique bassiste Miles Mosley, cet orchestre de jeunes musiciens de Los Angeles arbore un look façon gangsta rap. Pourtant au bout d’une minute d’ecoute s’impose à l’oreille un jazz quasi conventionnel, entre hard bop et west coast restitué…
Ryan Porter (tb), Kamasi Washington (ts), Jumaane Smith (tp), Brandon Coleman (elp, cla), Miles Mosley (b), Tony Austin dm)
Le Rocher de Palmer, Cenon (33152), 15 octobre
Une des matrices de ce collectif baptisé intentionnellement West Coast Get Down par Ryan Porter figure le travail en section. Base thématique, introduction des thèmes, unissons longuement exposés en marque de fabrique (Maggie) Dès le premier morceau Madyba -hommage à la figure de Nelson Mandela– le chorus de sax ténor (long comme de coutume dans son propre groupe, un poil moins tumultueux peut être question corpus et volume) de son complice Kamasi Washington s’affiche plus coltranien que Coltrane (il en sourira d’ailleurs plus tard lorsqu’on lui en fera la remarque…)
Là se trouve sans doute le paradoxe apparent de ce collectif constitué de « copains qu que connaissent depuis des années » Ils figurent au personnel de disques signés Kendrick Lamar, Snoop Dog ou même Jay Z, soit le gotah des hip hopers branchés. Pourtant dans le même temps ils revendiquent une filiation directe avec les « jazz giants » Entre deux morceaux le leader donne une justification personnelle de sa démarche « J’aime le jazz et j’adore le Hip Hop » Une référence que l’on retrouve dans la construction, le déroulement des compositions présentées. Marque sans doute de la coloration soul voire funk insufflée au jazz livré ainsi live, dès lors que mélodie et solos tournent fort sur une rythmique très syncopée (Cariacou) Tradition, référence appuyée aux noms historiques. Ryan Porter, encore lui cité nommément Coltrane et Monk pour leur science musicale. Avant de se lancer au beau milieu du concert dans un long speech quelque peu baroque à propos de la spiritualité du premier sur le bon esprit, la bonne éducation nécessaire, la « bonté » (sic) à faire valoir au quotidien. D’où le titre de son dernier album Force for good, leitmotiv qui revient souvent dans la présentation des thèmes à venir. Tradition, mémorandum du l’histoire du jazz toujours. Les chorus de trombone en portent une trace directe, son clair, accents moelleux aptes à flatter la melodie (Memory Band). À fermer les yeux on croirait presque entendre dans ces sonorités J.J. Johnson, Kai Winding ou même Jimy Kneper chez Mingus..
.Deux heures d’un musique riche en évocation comme en savoir faire instrumental (étonnante prestation du pianiste Brandon Coleman, tellement expressionniste, limite extravagant auprès de Kamasi Washington, ici classique en diable, sage dans un jeu de piano…bien fait, avec les accents idoines au genre abordé) S’ils en avaient été les témoins les deux autres grands noms du jazz contemporains cités par Ryan Porter, Herbie Hancok comme Wynton Marsalis (surtout) auraient sans doute goûté à cette version jazz ainsi « historiquement » restituée.
Robert Latxague
Concert : Ryan Porter jeudi 17 octobre 21 h au New Morning, Paris