Sacred Concert d'Ellington par l'orchestre de Laurent Mignard
Comme annoncé il y a quelques jours sur ce même blog, voici le compte-rendu d’une représentation de la musique sacrée de Duke Ellington reprise par Laurent Mignard, entreprise titanesque qu’il a su mener à bien.
9 juin 2015, Cathédrale Saint-Étienne, Toulouse (31)
Duke Ellington Sacred Concert
Vocalistes solistes : Estelle Andrea, Sandrine Garcia, Sylvia Howard, Magali Lange, Erwan Piriou
Tap dancer : Fabien Ruiz.
Chœurs : Les Voix en mouvement, Soulshine Voices
Orchestre : Benjamin Belloir, Richard Blanchet, Jérôme Etcheberry, Mattieu Tarot (tp), Michaël Ballue, Michael Joussein, Jerry Edwards (tb), Didier Desbois, Aurélie Tropez (as, cl), Olivier Defaÿs, Carl Schlosser (ts), Philippe Chagne (bs, bcl), Philippe Milanta (p), Bruno Rousselet (cb), François Laudet (dm), Laurent Mignard (relevés, dir)
D’abord un premier constat, réjouissant : toutes les places prévues dans la cathédrale sont occupées ou presque ! Les raisons en sont multiples, mais parmi celles-ci, outre la diffusion d’un bref reportage au journal télévisé de France 2 (suffisamment rare pour le souligner) et la renommée de Duke Ellington, Laurent Mignard et son équipe ont eu l’excellente idée d’inclure un chœur gospel implanté dans chacune des villes de leur tournée, ce qui a une double vertu : non seulement le chœur en question a ainsi l’occasion de progresser (par les répétitions en amont, avec un objectif clair et défini, et par l’échange musical avec une équipe de grands professionnels) mais l’événement est à même d’attirer des amis des choristes, des connaissances qui, autrement, ne seraient peut-être pas venus au concert, et qui, de ce fait, se sont trouvés happés par la puissance de la musique du Duke. Le chœur toulousain, les Soulshine Voices, préparé par Sandrine Garcia, a été excellent, amenant un peps et une joie de communier en musique qui ont ravi non seulement l’auditoire, mais ont réussi à conquérir Laurent Mignard, plaçant publiquement la prestation du chœur au premier rang des meilleures de la tournée !
Il faut par ailleurs souligner l’excellente performance soliste de Sandrine Garcia. N’ayant répété avec l’orchestre que l’après-midi de la représentation, elle s’est montrée impeccable au point que Laurent Mignard lui a adressé ses mots sans équivoque : « c’est le début d’une longue aventure » !!
Parmi les autres moments forts de l’interprétation toulousaine, signalons la magnifique Meditation en piano solo de Philippe Milanta (remarquable toucher), le solo de Jérôme Etcheberry au début de la deuxième partie de la suite, ou encore l’impeccable intervention de Fabien Ruiz pour un morceau de musique aux claquettes qui fit sensation. Après la dernière pièce, la presque soixantaine de musiciens eut droit à une standing ovation de plusieurs minutes.
Quelques réflexions me sont venues à l’écoute de cette suite que, comme la presque totalité du public, j’entendais pour la première fois en concert.
1°) Il y a d’abord ce que l’on voit : l’ubiquité réincarnée en Laurent Mignard et Philippe Milanta du Père (le chef) et du Fils (le pianiste) célébrant la messe du Saint Esprit (le compositeur) sur l’autel d’une cathédrale…
2°) Comme chacun le sait, Duke aimait à déclarer : « mon instrument, c’est mon orchestre ». En effet, Ellington composait en fonction des personnalités présentes au sein de sa formation et non in abstracto pour tel ou tel instrument. Or, en l’absence des hommes du Duke, sommes-nous en présence de la musique d’Ellington ? Oui et non, et heureusement pour le jazz ! Oui, parce que la force de l’écriture d’Ellington demeure par-delà ses interprètes originaux ; non, parce qu’en jazz il ne s’agit pas de copier, d’imiter servilement, mais d’imprimer au répertoire repris la singularité de sa propre personnalité, ce que les musiciens de l’ensemble, tant comme solistes qu’au sein de leur pupitre, ont su réaliser avec force sincérité. Ainsi, ce je-ne-sais-quoi d’ellingtonien n’était-il pas présent dans cette interprétation toulousaine, précisément au profit d’un ton à proprement parler « mignardien » portant haut ses qualités propres.
3°) Dans son ouvrage Jazz supreme. Initiés, mystiques & prophètes (Éditions de l’éclat, 2014), Raphaël Imbert a démontré qu’au moment où il composa le Sacred Concert, Duke Ellington était « un franc-maçon actif, 32e degré du rite écossais ancien et accepté » (p.19). Quelques pages plus loin, il explique que l’équivalent de La Flûte enchantée de Mozart, avec tous ses symboles renvoyant à l’ordre maçonnique inscrits dans la musique, n’existe pas en jazz, précisant : « […] il n’y a pas de jazz maçonnique. Ou plutôt il n’y a pas de musiques maçonniques rituels qui s’identifieraient au jazz » (p. 102). Certains éléments signalés par Laurent Mignard pendant le concert ne seraient-ils alors que des coïncidences ? L’un des thèmes musicaux qui traverse le Sacred Concert se trouve constitué de six notes par exemple – c’est-à-dire 2×3 ! –, en référence aux six syllabes qui composent la première phrase de la Bible : « In the beginning God ». Sans doute Raphaël Imbert a-t-il déjà mené l’analyse (ce que porte à croire le dernier chapitre de la première partie de son livre, entièrement dédié à Ellington), sans que cela ne donne de résultat tangible en ce sens. Toutefois, une étude placée sous l’angle double du symbolisme franc-maçon et du figuralisme éclairerait peut-être d’un jour nouveau ces quatre suites ? Un seul exemple : demander à son trompettiste de réaliser un solo dans le suraigu de son instrument (ou penser à lui pour un solo) ne renvoie-t-il évidemment pas à l’idée d’ascension ?
Bref, on n’a pas tout dit, loin s’en faut, sur cette partition majeure de Duke Ellington, et il est tout à l’honneur de Laurent Mignard d’avoir ainsi diffusé la Bonne Parole aux quatre coins de France et de Navarre.
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Comme annoncé il y a quelques jours sur ce même blog, voici le compte-rendu d’une représentation de la musique sacrée de Duke Ellington reprise par Laurent Mignard, entreprise titanesque qu’il a su mener à bien.
9 juin 2015, Cathédrale Saint-Étienne, Toulouse (31)
Duke Ellington Sacred Concert
Vocalistes solistes : Estelle Andrea, Sandrine Garcia, Sylvia Howard, Magali Lange, Erwan Piriou
Tap dancer : Fabien Ruiz.
Chœurs : Les Voix en mouvement, Soulshine Voices
Orchestre : Benjamin Belloir, Richard Blanchet, Jérôme Etcheberry, Mattieu Tarot (tp), Michaël Ballue, Michael Joussein, Jerry Edwards (tb), Didier Desbois, Aurélie Tropez (as, cl), Olivier Defaÿs, Carl Schlosser (ts), Philippe Chagne (bs, bcl), Philippe Milanta (p), Bruno Rousselet (cb), François Laudet (dm), Laurent Mignard (relevés, dir)
D’abord un premier constat, réjouissant : toutes les places prévues dans la cathédrale sont occupées ou presque ! Les raisons en sont multiples, mais parmi celles-ci, outre la diffusion d’un bref reportage au journal télévisé de France 2 (suffisamment rare pour le souligner) et la renommée de Duke Ellington, Laurent Mignard et son équipe ont eu l’excellente idée d’inclure un chœur gospel implanté dans chacune des villes de leur tournée, ce qui a une double vertu : non seulement le chœur en question a ainsi l’occasion de progresser (par les répétitions en amont, avec un objectif clair et défini, et par l’échange musical avec une équipe de grands professionnels) mais l’événement est à même d’attirer des amis des choristes, des connaissances qui, autrement, ne seraient peut-être pas venus au concert, et qui, de ce fait, se sont trouvés happés par la puissance de la musique du Duke. Le chœur toulousain, les Soulshine Voices, préparé par Sandrine Garcia, a été excellent, amenant un peps et une joie de communier en musique qui ont ravi non seulement l’auditoire, mais ont réussi à conquérir Laurent Mignard, plaçant publiquement la prestation du chœur au premier rang des meilleures de la tournée !
Il faut par ailleurs souligner l’excellente performance soliste de Sandrine Garcia. N’ayant répété avec l’orchestre que l’après-midi de la représentation, elle s’est montrée impeccable au point que Laurent Mignard lui a adressé ses mots sans équivoque : « c’est le début d’une longue aventure » !!
Parmi les autres moments forts de l’interprétation toulousaine, signalons la magnifique Meditation en piano solo de Philippe Milanta (remarquable toucher), le solo de Jérôme Etcheberry au début de la deuxième partie de la suite, ou encore l’impeccable intervention de Fabien Ruiz pour un morceau de musique aux claquettes qui fit sensation. Après la dernière pièce, la presque soixantaine de musiciens eut droit à une standing ovation de plusieurs minutes.
Quelques réflexions me sont venues à l’écoute de cette suite que, comme la presque totalité du public, j’entendais pour la première fois en concert.
1°) Il y a d’abord ce que l’on voit : l’ubiquité réincarnée en Laurent Mignard et Philippe Milanta du Père (le chef) et du Fils (le pianiste) célébrant la messe du Saint Esprit (le compositeur) sur l’autel d’une cathédrale…
2°) Comme chacun le sait, Duke aimait à déclarer : « mon instrument, c’est mon orchestre ». En effet, Ellington composait en fonction des personnalités présentes au sein de sa formation et non in abstracto pour tel ou tel instrument. Or, en l’absence des hommes du Duke, sommes-nous en présence de la musique d’Ellington ? Oui et non, et heureusement pour le jazz ! Oui, parce que la force de l’écriture d’Ellington demeure par-delà ses interprètes originaux ; non, parce qu’en jazz il ne s’agit pas de copier, d’imiter servilement, mais d’imprimer au répertoire repris la singularité de sa propre personnalité, ce que les musiciens de l’ensemble, tant comme solistes qu’au sein de leur pupitre, ont su réaliser avec force sincérité. Ainsi, ce je-ne-sais-quoi d’ellingtonien n’était-il pas présent dans cette interprétation toulousaine, précisément au profit d’un ton à proprement parler « mignardien » portant haut ses qualités propres.
3°) Dans son ouvrage Jazz supreme. Initiés, mystiques & prophètes (Éditions de l’éclat, 2014), Raphaël Imbert a démontré qu’au moment où il composa le Sacred Concert, Duke Ellington était « un franc-maçon actif, 32e degré du rite écossais ancien et accepté » (p.19). Quelques pages plus loin, il explique que l’équivalent de La Flûte enchantée de Mozart, avec tous ses symboles renvoyant à l’ordre maçonnique inscrits dans la musique, n’existe pas en jazz, précisant : « […] il n’y a pas de jazz maçonnique. Ou plutôt il n’y a pas de musiques maçonniques rituels qui s’identifieraient au jazz » (p. 102). Certains éléments signalés par Laurent Mignard pendant le concert ne seraient-ils alors que des coïncidences ? L’un des thèmes musicaux qui traverse le Sacred Concert se trouve constitué de six notes par exemple – c’est-à-dire 2×3 ! –, en référence aux six syllabes qui composent la première phrase de la Bible : « In the beginning God ». Sans doute Raphaël Imbert a-t-il déjà mené l’analyse (ce que porte à croire le dernier chapitre de la première partie de son livre, entièrement dédié à Ellington), sans que cela ne donne de résultat tangible en ce sens. Toutefois, une étude placée sous l’angle double du symbolisme franc-maçon et du figuralisme éclairerait peut-être d’un jour nouveau ces quatre suites ? Un seul exemple : demander à son trompettiste de réaliser un solo dans le suraigu de son instrument (ou penser à lui pour un solo) ne renvoie-t-il évidemment pas à l’idée d’ascension ?
Bref, on n’a pas tout dit, loin s’en faut, sur cette partition majeure de Duke Ellington, et il est tout à l’honneur de Laurent Mignard d’avoir ainsi diffusé la Bonne Parole aux quatre coins de France et de Navarre.
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Comme annoncé il y a quelques jours sur ce même blog, voici le compte-rendu d’une représentation de la musique sacrée de Duke Ellington reprise par Laurent Mignard, entreprise titanesque qu’il a su mener à bien.
9 juin 2015, Cathédrale Saint-Étienne, Toulouse (31)
Duke Ellington Sacred Concert
Vocalistes solistes : Estelle Andrea, Sandrine Garcia, Sylvia Howard, Magali Lange, Erwan Piriou
Tap dancer : Fabien Ruiz.
Chœurs : Les Voix en mouvement, Soulshine Voices
Orchestre : Benjamin Belloir, Richard Blanchet, Jérôme Etcheberry, Mattieu Tarot (tp), Michaël Ballue, Michael Joussein, Jerry Edwards (tb), Didier Desbois, Aurélie Tropez (as, cl), Olivier Defaÿs, Carl Schlosser (ts), Philippe Chagne (bs, bcl), Philippe Milanta (p), Bruno Rousselet (cb), François Laudet (dm), Laurent Mignard (relevés, dir)
D’abord un premier constat, réjouissant : toutes les places prévues dans la cathédrale sont occupées ou presque ! Les raisons en sont multiples, mais parmi celles-ci, outre la diffusion d’un bref reportage au journal télévisé de France 2 (suffisamment rare pour le souligner) et la renommée de Duke Ellington, Laurent Mignard et son équipe ont eu l’excellente idée d’inclure un chœur gospel implanté dans chacune des villes de leur tournée, ce qui a une double vertu : non seulement le chœur en question a ainsi l’occasion de progresser (par les répétitions en amont, avec un objectif clair et défini, et par l’échange musical avec une équipe de grands professionnels) mais l’événement est à même d’attirer des amis des choristes, des connaissances qui, autrement, ne seraient peut-être pas venus au concert, et qui, de ce fait, se sont trouvés happés par la puissance de la musique du Duke. Le chœur toulousain, les Soulshine Voices, préparé par Sandrine Garcia, a été excellent, amenant un peps et une joie de communier en musique qui ont ravi non seulement l’auditoire, mais ont réussi à conquérir Laurent Mignard, plaçant publiquement la prestation du chœur au premier rang des meilleures de la tournée !
Il faut par ailleurs souligner l’excellente performance soliste de Sandrine Garcia. N’ayant répété avec l’orchestre que l’après-midi de la représentation, elle s’est montrée impeccable au point que Laurent Mignard lui a adressé ses mots sans équivoque : « c’est le début d’une longue aventure » !!
Parmi les autres moments forts de l’interprétation toulousaine, signalons la magnifique Meditation en piano solo de Philippe Milanta (remarquable toucher), le solo de Jérôme Etcheberry au début de la deuxième partie de la suite, ou encore l’impeccable intervention de Fabien Ruiz pour un morceau de musique aux claquettes qui fit sensation. Après la dernière pièce, la presque soixantaine de musiciens eut droit à une standing ovation de plusieurs minutes.
Quelques réflexions me sont venues à l’écoute de cette suite que, comme la presque totalité du public, j’entendais pour la première fois en concert.
1°) Il y a d’abord ce que l’on voit : l’ubiquité réincarnée en Laurent Mignard et Philippe Milanta du Père (le chef) et du Fils (le pianiste) célébrant la messe du Saint Esprit (le compositeur) sur l’autel d’une cathédrale…
2°) Comme chacun le sait, Duke aimait à déclarer : « mon instrument, c’est mon orchestre ». En effet, Ellington composait en fonction des personnalités présentes au sein de sa formation et non in abstracto pour tel ou tel instrument. Or, en l’absence des hommes du Duke, sommes-nous en présence de la musique d’Ellington ? Oui et non, et heureusement pour le jazz ! Oui, parce que la force de l’écriture d’Ellington demeure par-delà ses interprètes originaux ; non, parce qu’en jazz il ne s’agit pas de copier, d’imiter servilement, mais d’imprimer au répertoire repris la singularité de sa propre personnalité, ce que les musiciens de l’ensemble, tant comme solistes qu’au sein de leur pupitre, ont su réaliser avec force sincérité. Ainsi, ce je-ne-sais-quoi d’ellingtonien n’était-il pas présent dans cette interprétation toulousaine, précisément au profit d’un ton à proprement parler « mignardien » portant haut ses qualités propres.
3°) Dans son ouvrage Jazz supreme. Initiés, mystiques & prophètes (Éditions de l’éclat, 2014), Raphaël Imbert a démontré qu’au moment où il composa le Sacred Concert, Duke Ellington était « un franc-maçon actif, 32e degré du rite écossais ancien et accepté » (p.19). Quelques pages plus loin, il explique que l’équivalent de La Flûte enchantée de Mozart, avec tous ses symboles renvoyant à l’ordre maçonnique inscrits dans la musique, n’existe pas en jazz, précisant : « […] il n’y a pas de jazz maçonnique. Ou plutôt il n’y a pas de musiques maçonniques rituels qui s’identifieraient au jazz » (p. 102). Certains éléments signalés par Laurent Mignard pendant le concert ne seraient-ils alors que des coïncidences ? L’un des thèmes musicaux qui traverse le Sacred Concert se trouve constitué de six notes par exemple – c’est-à-dire 2×3 ! –, en référence aux six syllabes qui composent la première phrase de la Bible : « In the beginning God ». Sans doute Raphaël Imbert a-t-il déjà mené l’analyse (ce que porte à croire le dernier chapitre de la première partie de son livre, entièrement dédié à Ellington), sans que cela ne donne de résultat tangible en ce sens. Toutefois, une étude placée sous l’angle double du symbolisme franc-maçon et du figuralisme éclairerait peut-être d’un jour nouveau ces quatre suites ? Un seul exemple : demander à son trompettiste de réaliser un solo dans le suraigu de son instrument (ou penser à lui pour un solo) ne renvoie-t-il évidemment pas à l’idée d’ascension ?
Bref, on n’a pas tout dit, loin s’en faut, sur cette partition majeure de Duke Ellington, et il est tout à l’honneur de Laurent Mignard d’avoir ainsi diffusé la Bonne Parole aux quatre coins de France et de Navarre.
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Comme annoncé il y a quelques jours sur ce même blog, voici le compte-rendu d’une représentation de la musique sacrée de Duke Ellington reprise par Laurent Mignard, entreprise titanesque qu’il a su mener à bien.
9 juin 2015, Cathédrale Saint-Étienne, Toulouse (31)
Duke Ellington Sacred Concert
Vocalistes solistes : Estelle Andrea, Sandrine Garcia, Sylvia Howard, Magali Lange, Erwan Piriou
Tap dancer : Fabien Ruiz.
Chœurs : Les Voix en mouvement, Soulshine Voices
Orchestre : Benjamin Belloir, Richard Blanchet, Jérôme Etcheberry, Mattieu Tarot (tp), Michaël Ballue, Michael Joussein, Jerry Edwards (tb), Didier Desbois, Aurélie Tropez (as, cl), Olivier Defaÿs, Carl Schlosser (ts), Philippe Chagne (bs, bcl), Philippe Milanta (p), Bruno Rousselet (cb), François Laudet (dm), Laurent Mignard (relevés, dir)
D’abord un premier constat, réjouissant : toutes les places prévues dans la cathédrale sont occupées ou presque ! Les raisons en sont multiples, mais parmi celles-ci, outre la diffusion d’un bref reportage au journal télévisé de France 2 (suffisamment rare pour le souligner) et la renommée de Duke Ellington, Laurent Mignard et son équipe ont eu l’excellente idée d’inclure un chœur gospel implanté dans chacune des villes de leur tournée, ce qui a une double vertu : non seulement le chœur en question a ainsi l’occasion de progresser (par les répétitions en amont, avec un objectif clair et défini, et par l’échange musical avec une équipe de grands professionnels) mais l’événement est à même d’attirer des amis des choristes, des connaissances qui, autrement, ne seraient peut-être pas venus au concert, et qui, de ce fait, se sont trouvés happés par la puissance de la musique du Duke. Le chœur toulousain, les Soulshine Voices, préparé par Sandrine Garcia, a été excellent, amenant un peps et une joie de communier en musique qui ont ravi non seulement l’auditoire, mais ont réussi à conquérir Laurent Mignard, plaçant publiquement la prestation du chœur au premier rang des meilleures de la tournée !
Il faut par ailleurs souligner l’excellente performance soliste de Sandrine Garcia. N’ayant répété avec l’orchestre que l’après-midi de la représentation, elle s’est montrée impeccable au point que Laurent Mignard lui a adressé ses mots sans équivoque : « c’est le début d’une longue aventure » !!
Parmi les autres moments forts de l’interprétation toulousaine, signalons la magnifique Meditation en piano solo de Philippe Milanta (remarquable toucher), le solo de Jérôme Etcheberry au début de la deuxième partie de la suite, ou encore l’impeccable intervention de Fabien Ruiz pour un morceau de musique aux claquettes qui fit sensation. Après la dernière pièce, la presque soixantaine de musiciens eut droit à une standing ovation de plusieurs minutes.
Quelques réflexions me sont venues à l’écoute de cette suite que, comme la presque totalité du public, j’entendais pour la première fois en concert.
1°) Il y a d’abord ce que l’on voit : l’ubiquité réincarnée en Laurent Mignard et Philippe Milanta du Père (le chef) et du Fils (le pianiste) célébrant la messe du Saint Esprit (le compositeur) sur l’autel d’une cathédrale…
2°) Comme chacun le sait, Duke aimait à déclarer : « mon instrument, c’est mon orchestre ». En effet, Ellington composait en fonction des personnalités présentes au sein de sa formation et non in abstracto pour tel ou tel instrument. Or, en l’absence des hommes du Duke, sommes-nous en présence de la musique d’Ellington ? Oui et non, et heureusement pour le jazz ! Oui, parce que la force de l’écriture d’Ellington demeure par-delà ses interprètes originaux ; non, parce qu’en jazz il ne s’agit pas de copier, d’imiter servilement, mais d’imprimer au répertoire repris la singularité de sa propre personnalité, ce que les musiciens de l’ensemble, tant comme solistes qu’au sein de leur pupitre, ont su réaliser avec force sincérité. Ainsi, ce je-ne-sais-quoi d’ellingtonien n’était-il pas présent dans cette interprétation toulousaine, précisément au profit d’un ton à proprement parler « mignardien » portant haut ses qualités propres.
3°) Dans son ouvrage Jazz supreme. Initiés, mystiques & prophètes (Éditions de l’éclat, 2014), Raphaël Imbert a démontré qu’au moment où il composa le Sacred Concert, Duke Ellington était « un franc-maçon actif, 32e degré du rite écossais ancien et accepté » (p.19). Quelques pages plus loin, il explique que l’équivalent de La Flûte enchantée de Mozart, avec tous ses symboles renvoyant à l’ordre maçonnique inscrits dans la musique, n’existe pas en jazz, précisant : « […] il n’y a pas de jazz maçonnique. Ou plutôt il n’y a pas de musiques maçonniques rituels qui s’identifieraient au jazz » (p. 102). Certains éléments signalés par Laurent Mignard pendant le concert ne seraient-ils alors que des coïncidences ? L’un des thèmes musicaux qui traverse le Sacred Concert se trouve constitué de six notes par exemple – c’est-à-dire 2×3 ! –, en référence aux six syllabes qui composent la première phrase de la Bible : « In the beginning God ». Sans doute Raphaël Imbert a-t-il déjà mené l’analyse (ce que porte à croire le dernier chapitre de la première partie de son livre, entièrement dédié à Ellington), sans que cela ne donne de résultat tangible en ce sens. Toutefois, une étude placée sous l’angle double du symbolisme franc-maçon et du figuralisme éclairerait peut-être d’un jour nouveau ces quatre suites ? Un seul exemple : demander à son trompettiste de réaliser un solo dans le suraigu de son instrument (ou penser à lui pour un solo) ne renvoie-t-il évidemment pas à l’idée d’ascension ?
Bref, on n’a pas tout dit, loin s’en faut, sur cette partition majeure de Duke Ellington, et il est tout à l’honneur de Laurent Mignard d’avoir ainsi diffusé la Bonne Parole aux quatre coins de France et de Navarre.