San Sebastián : Jazzeñe ouvre les portes du jazz ibérique
L’une s’affiche dans une tenue très seyante, plutôt sexy carrément pour chanter dans une tonalité flamenco des textes qui évoquent le quotidien des quartiers populaires des villes d’Andalousie, terre d’ancrage de cet art inventé par des gitans. Et faire rythmer elle même son chant sur un cajón, assise ou debout. L’autre joue de la batterie de façon tout aussi singulière, lançant des objets métalliques en pluie sur ses caisses et cymbales. Ou théâtralisant son jeu á l’aide de moults gadgets, de la passoire en guise de couvre chef aux ballons de foire gonflés puis explosés en passant par l’affichage de farces et attrapes. María Isabel Ávila “La Mónica” l’andalouse et Lar Legido le galicien on fait le show pour cette 7e édition de Jazzeñe.
Jazzaldia / Jazzeñe, Donostia/San Sebastián, Teatro Victoria Eugenia 22-26 juillet
Ariel Bringuez (ts, ss), Pablo Gutierrez (p), Javier Sanchez (g), Reiner Elizarde « El Negron » (b), Georvis Pico (dm)
Pablo Martin Caminero (b), Moises Sanchez (p), Ariel Bringuez (ts), Carlos Martin (tb), Michael Olivera (dm)
22 juillet
Le saxophoniste cubain installé désormais en Espagne flatte le “ son”, musique populaire (chanson et/ou danse) de son ïle en lui restituant ses contours des années 50. Soit une certaine rondeur transmise de son sax ténor à la sonorité globale de l’orchestre. Lágrimas negras chanson d’Angel Matamoros typique de l’ambiance de Santiago de Cuba lui donne l’occasion d’exposer en duo sax soprano/piano une ballade en douceurs d’evidences. Ariel Bringuez par ailleurs musicien membre régulier du groupe de Chucho Valdes pour ses tournées européennes se plaît aussi á évoquer au passage sa terre natale, son village en mode parlé-chanté, occasion d’une longue introduction en stop chorus. Moment de travail sur le souffle, profond,, en ressenti intense sur le verbe autant que sur les notes. En ce sens, dans une veine nostalgique et presque trop soft au total, la musique de Bringuez figure comme un appel, une invitation au chant.
Dans la présentation de ses compositions le bassiste basque fait une sortie teintée d’humour au second degré à propos de la qualification de jazz flamenco que l’on donne souvent en raccourci générique plutôt simpliste au travail de nombre de musiciens ibériques (le flamenco n’existe quasiment pas au nord de la péninsule) Pablo Martin Caminero s’inscrit délibérément dans le premier genre. Un jazz auquel les échanges sax/trombone donne du volume en appui sur une rythmique qui tourne bien. Au ténor on retrouve d’ailleurs et toujours le même Ariel Bringuez -une patte, une sonorité- malheureusement placé cette fois trop loin du micro pour une sonorisation correcte.
Daniel García (p), Reiner Elizarde “El Negron” (b), Michael Olivera (dm)
Chano Domingo (p), Horacio Fumero (b), David Xirgu (dl)
23 juillet
On parlait du jazz flamenco. Ces deux pianistes de générations différentes sont généralement catalogués dans cette catégorie. Á tort et à raison. Chano Dominguez est un peu á l’origine d’une pareille qualification tant il a mixé dans son travail de composition et d’execution sur son clavier les couleurs du cante, le chant, et des guitares, éléments fondamentaux du blues gitano-andalou. Paradoxalement aujourd’hui avec son trio il en revient aux stricts canon du jazz. Est-ce son long séjour aux États Unis ? Une volonté de se se replacer au niveau de ces compositions comme dans l’improvisation dans une pratique de l’art du trio jazzistique stricto sensu? Toujours est-il que le concert dans le beau théâtre donostiarra nous l’a rendu pianiste de jazz talentueux certes, mais en retenue. En manque d’originalité. Un peu trop sage ?
Daniel García lui poursuit son parcours á la croisée des chemins. Habillé du rouge du flamenco et du noir du jazz pour habiter sa musique. Fougueux et toujours en quête d’appels d’air pour alimenter sa flamme sur le clavier. De quoi justifier le titre de l’album (Travesuras) dans lequel il puise pour nourrir ses concerts. Celui de San Sebastián pour Jazzeñe fut une parfaite illustration de cette volonté artistique pérenne.
Smack Dab : Joan Casares (d’), Oriol Valles(tp), Lluc Casares (ts), Joël Gonzales (p), Pau Sala (b)
Sumrra: Manuel Gutiérrez (p), Xacibe Martínez Antelo (b), Lar Legido (dm)
24 juillet
Venu de Barcelone Smack Dab figure un quintet assez classique dans l’exposition de son contenu musical tendance hard bop. Un travail bien fait, bien présenté avec un cóte pourtant un peu trop académique. Témoin la version donnée du Round about midnight de Monk. Le sax ténor démontre une sonorité intéressante, avec de la nuance selon le climat des thèmes abordés. Les compositions propres au groupe justement paraissent davantage pouvoir mettre en valeur le duo de cuivres,dans le travail en section comme dans les développements lors des solos.
Il en faudrait davantage.
Avec Sumrrà on touche á un trio qui manifeste du caractère. Au niveau de ses individualités comme dans sa part de création. Une musique effervescente type « power trio » á forte contingence rythmique. Un son global en recherche de relief sinon de tension. Un jazz en tous cas original dans son inspiration (le bassiste, leader insiste non sans humour dans la,présentation des thèmes sur les batailles á mener en matière d’environnement et de préservation des planètes) Le batteur en particulier assure le spectacle: action limite bruitiste métal, show gestuel á l’appui avec jets d’objets divers et utilisation de gadgets sonores autant que visuels. Au piano d’assurer les lignes de forces
Alba Careta (tp, voc), Lucas Martínez (ts), Roger Santacana i Hervadq (p), Giuseppe Campisi (b), Josep Cordobés (dm)
María Isabel Ávila “La Mónica” (voc. cajón, perc, danse), Javier Galiana (p, voc)
25 juillet
Elle s’est formée au Cinsevatoire Supérieur de Musique de Barcelone avant de tenter sa chance en Hollande. Alba Careta joue de la,trompette et chante. Sonorité droite et claire sur le cuivre. Voix timbrée mezzo pour interpréter notamment des chansons de l’icóne barde catalan Luis Llach. Un peu le problème d’ailleurs, cette double pratique. Un orchestre au service du chant ou une trompettiste leader instrumentale pour tirer le groupe ? Au niveau international sans doute lui faudra-t-il choisir une dominante. Car ces jeunes instrumentistes ne manquent pas de qualité intrinsèque. Et démontrent en live un savoir faire certain dans l’interaction, l’echange, dans leur approche d’un jazz bien actuel.
En duo ils font le spectacle. Entre tour de chant et théâtre musical expressionniste. Elle surtout, “La Monica” volontiers provocante de corps et d’allure, á mi chemin entre une danseuse flamenca et une chanteuse de revue. Une voix de gorge, rauque, forte, sensuellle. En bonus cette étonnante capacité à armer son chant en simultané sur un jeu de cajón ou d’un ersatz de cette caisse à percussion qu’elle cale entre ses genoux, assise comme debout. La Monica au besoin esquisse des pas de danses et les mouvements de gráce mains et bras déliés qui vont avec. Surtout “en digne fille de Chiclana née á la campagne mais qui a appris la vie dans les quartiers et les rues des villes andalouses” via son chant flamenco elle porte des histoires de la vraie vie. Elle traite à crû du “quotidien des fils et fille du peuple” Á ses cõtés Javier Galiana, total complice, connaît les codes flamencos -les fameux palos– qui vont bien avec ces récits, avec la profondeur un peu sauvage d’une telle voix. Et comme il se plaît á improviser, on subodore qu’il a quelque chose à voir aussi. -à entendre, à jouer- avec le jazz.
Robert Latxague