Jazz live
Publié le 21 Sep 2024 • Par Sophie Chambon

Seizième édition du festival de St Rémy du 18 au 22 septembre

Seizième édition de JAZZ A ST REMY du 18 au 22 septembre

En ce week end de septembre s’ouvre la seizième édition du festival de jazz en même temps que les journées du patrimoine et la fête foraine qui s’installe à St Rémy de Provence, au coeur du triangle d’or des Alpilles, dans le Parc Naturel Régional, à courte distance d’Arles et d’Avignon. C’est le pays des Félibres, des traditions où le patrimoine est durable. Où le jazz a sa place dans un festival bon enfant, emmené par Bernard Chambre, directeur artistique et pris en charge par une équipe formidable de bénévoles, tous à leur poste avec efficacité et générosité pour que ces soirées soient réussies.

Le festival existe sous sa forme actuelle depuis que les bénévoles de l’association Jazz à St Rémy sous l’impulsion de Bernard Chambre et d’Alain Brunet ont oeuvré à sa mise en place en 2007.

Des animations apéro swings avec des groupes locaux de talent sont prévues dès 19 heures sur le parvis de l’Alpilium sans oublier une exposition très réussie, hommage à Cabu pour la présente édition.

Jeudi 19 septembre

A peine arrivée dans la ville natale de Nostradamus, je me précipite à la Cour des Arts pour voir l’exposition Cabu Swing consacrée à ce passionné de jazz ( une collection de CD porte même son nom*), né en 1938 et mort tragiquement en janvier 2015.

Ce dessinateur et caricaturiste (Le Canard Enchaîné, Charlie Hebdo, le Grand Duduche, le Beauf) avait un regard lucide mais rempli d’humanité : il était devenu fou de jazz en voyant Cab Calloway en 1956. Dans ses Carnets de Jazz ( Editions du Layeur, 2004) il disait du showman : Chanteur le plus délirant, chef d’orchestre le plus swing, il sait chanter tout en dansant et me persuader que la vie est belle.

BD Jazz Nocturne sur CAB CALLOWAY

Il dessinait tout le temps, partout et pendant les festivals de jazz qu’il suivit pendant cinquante ans. De ses milliers de croquis, l’expo a choisi avec l’autorisation de sa femme Véronique d’en reprendre 22 sous forme de tableaux. Certains sont issus du livre très complet Les Echappés-Charlie Hebdo (2013) dans lequel on peut lire ses réparties : Hitler aimait Wagner. Al Capone aimait Fats Waller. Du coup, j’ai choisi facilement! Ou encore Le jazz, ça me rend dingue. J’esquisse quelques pas de swing et je danse dans ma tête. Pour tous les amateurs, mon conseil recherchez cette pièce rare…

L’expo toute simple ne s’embarrasse pas de chronologie, mais ces instantanés “sur le vif” font ressortir la malice de son trait et la pertinence de ses improvisations dessinées.

*A joutons pour les amateurs que la série Cabu Jazz, à prix économique mais à haute densité musicale, partait à la (re)découverte de petits chefs-d’œuvre compilés à partir de divers catalogues. Comme il affectionnait le jazz classique, le dessinateur de Charlie Hebdo et du Canard Enchaîné avait choisi de croquer sur les pochettes de digipacks à l’ancienne (gatefold sleeves) des portraits des grands du jazz, instrumentistes et chanteuses mais aussi petits maîtres un peu oubliés. Wozniak en assurait la mise en couleur sur un fond jaune éclatant. Une anthologie maison réalisée par les spécialistes Claude Carrière et Christian Bonnet qui, outre la sélection de titres rares ou moins connus, rédigaient des textes que l’on aurait aimé plus longs tant ils étaient pertinents.

Max Atger Trio, Alpilium, 20h30.

Refuge ( Free Monkey Records)

Max Atger ( sax alto) Sébastien Lalisse ( piano) Contrebasse ( Pierre François Maurin)

http://www.max-atger.fr

Ce sont des retrouvailles avec ce jeune saxophoniste découvert l’an dernier lors de la Scène ouverte aux jeunes talents locaux en ouverture du festival 2023. Trois groupes pré-sélectionnés sur les neuf avaient répondu à l’appel à participation. Il avait concouru avec le Fa.S.eR TRIo ( Max Atger (sax ténor), Nathan Bruel (basse électrique), Ugo Deschamps ( batterie) et remporté le tremplin avec un vrai son de groupe, un esprit collectif. Ils avaient d’ailleurs assuré la première partie du concert des frères Belmondo sur le Grateful Dead, le soir suivant! Leur drôle de titre au graphisme recherché correspondait aux recherches expérimentales de son leader qui aime jouer avec le phénomène de “phase”, recherchant une extension du trio par des effets électroniques dans une longue suite de compositions sans véritable titre qui s’arrimaient sans difficulté et se vivaient sur fond de musiques répétitives, de motifs en boucles hypnotisant, un flux continu, tournerie inspirée de rythmes africains.

S’il est important de revenir sur ce concert inaugural, c’est que ce soir Max Atger montre toute l’étendue de son jeune talent dans un groupe très différent, emmené au piano par Sébastien Lalisse et soutenu par le contrebassiste, pilier du groove Pierre François Maurin. Un trio sudiste vauclusien bien connu de l’Ajmi avignonnais voisin qui proposera d’ailleurs carte blanche au saxophoniste le 10 octobre prochain. Le trio jouera d’ailleurs le programme de ce soir, inspiré du premier CD du saxophoniste.

Cette musique « refuge » se déploie comme un poème des grandes étendues (une référence au label E.C.M affirmée avec une admiration pour la jeune saxophoniste norvégienne Mette Henriette). Un éloge de la douceur, de la lenteur même comme un hommage à la philosophe Anne Dufourmantelle qui écrivait «La douceur appartient à l’enfance, elle est un retour sur soi, le nom secret de la beauté et de l’élan mystique»(Puissance de la douceur, Payot, 2013).

Le son prend très vite son envol à l’écoute de ces compositions, dès le premier titre Clochette qui s’envole dans un ordre différent de celui du CD pour essayer un autre climat. Belle alternance avec 5.03 porté par les improvisations d’une paire rythmique en osmose, le saxophoniste pirouettant ludiquement. Max Atger sait élargir l’espace sonore, donner du souffle et de l’amplitude aux sons. Avec un timbre élégant, d’une grande fraîcheur, il montre une réelle sûreté de phrasé, exprimant tout un nuancier d’émotions, d’une exquise ballade bien balancée Eoz à ce Noir sur blanc sur Medium up tempo, le titre le plus monkien sans doute dû au pianiste Sébastien Lalisse que visiblement le saxophoniste admire, à raison. On peut aussi évoquer le chant puissant de la contrebasse de Pierre François Maurin rencontré lors d’une masterclass de Joelle Léandre, il y a dix ans et qui a depuis, été un fidèle compagnon de route. Suit un Dérive plus fièvreux aux volutes sinueuses ponctuées de quelques rares échappées free bruitistes sans frisson trop strident cependant.

On se sent rasséréné à fin de ce concert sensible qui marie intimisme et tempérament. Une entente délicate à trois non dénuée d’élans et même d’aspérités dans un chant commun qui élargit l’espace de la perception.

Cathy Heiting quintet

www.cathyheiting.com

Changement radical avec l’arrivée de la tornade Heiting et de son groupe tout aussi explosif pour un programme ludique autour du chant. De l’expression vocale puisque cette anti-diva a toutes les capacités d’une grande vocaliste. D’une fantaisiste aussi comme on disait jadis, puisqu’elle a choisi de ne jamais être sérieuse sur scène. On ne peut que la suivre dans ces délires et élucubrations dans un mix anglais-français qui décontenance l’auditoire dans un premier temps jusqu’ à ce qu’elle ne s’interrompe pour préciser qu’elle est bien française et même bucco-rhodanienne! Une pirouette de plus pour cette vocaliste qui a gardé un pied dans le lyrique (faut l’entendre s’entraîner en coulisse, ambitus et puissance vocale garantis). Le quintet démarre sur les chapeaux de roue avec Body and Soul à rebours de l’émotion d’une Billie Holiday. Mais il est évident que cette ancienne prof d’anglais à Salon est dans un autre registre, supportée par un quartet de musiciens déchaînés et drôles. S’ils sont TOUS en phase, elle sait aussi les mettre en valeur en organisant des duos avec chacun ( “The Rose”) avec Renaud Matchoulian, guitariste expert en styles guitaristes, ayant agrégé toutes ses influences de l’acoustique, au country, à la pop électrique qui pourrait rappeler Hendrix dans son intro crépitante sur…The Man I love.

Un moment rare a lieu dans le duo sur mon rigolo Valentin soit My funny Valentine avec le contrebassiste Sylvain Terminiello impertubable et goguenard qui double sa basse en chantant, rappelant quelque peu Slam Stewart qui accompagnait ses lignes mélodiques à l’octave supérieure. Avec le saxophoniste pianiste Ugo Lemarchand elle imite les intonations de l’instrument. Quant au solo du batteur Samuel Bobin, épanoui du début à la fin du concert, il est attendu comme il se doit mais aussi parce que le contrebassiste félin, le guitariste et le pianiste le soutiennent de ponctuations malignes. Le programme déroule les compositions originales de chacun, des reprises très réussies question arrangements, modifiant l’attaque et la chute, changeant la tonalité comme celle de Fever dans l’énergie plus que la sensualité ou le Faith de George Michael.

Un spectacle généreux, survitaminé qui finit par emporter l’adhésion du public, dans une surenchère parfois exagérée (effet démultiplié du One more time du Count) dans le medley de Stéphane Merveille ( soit…Stevie Wonder! ). Et le tout dernier rappel d’après Nina Simone Ain’t go no/ I got life, une chanson trop personnelle peut être, un peu difficile à encaisser quand on a la rage de Nina dans l’oreille.

Mais ne boudons pas notre plaisir car ce soir, j’ai vu des musiciens heureux.

Sophie Chambon