Séméac: Sylvin Marc, la basse et le jeu ouvert
Il a beaucoup navigué. On l’a souvent entendu en « sideman » c’est vrai, soit en background de voix ou de soliste. Cette fois à la tête, à la proue de son propre combo, son équipage « de musiciens du coin » trouvé par bonne fortune au pied de ces Pyrénées hautes auprès desquelles il a préféré se réfugier depuis une dizaine d’année maintenant, la tonalité, les couleurs de sa musique ont de quoi surprendre. Écriture marquée, couleurs harmoniques tracées à l’encre forte, densité rythmique affirmée, le relief de son décor de vie quotidienne se retrouve calqué au long des partitions explorées. Comme aussi bien dans les parcours croisés de l’improvisation affichée abondante en illustration façon photos grand format sur un texte déjà bien fourni.
Sylvin Marc (b), Pablo Valat (tp), Christophe Paris (ts, as), Chacha Angela (dm)
Centre Albert Camus, Séméac (65600), 17 février 2023
« Starter » thème introductif sensé justement mettre en appétit le long de petites séquences de croisement cuivré trompette/ténor sax. De quoi déjà goûter à un impact rythmique très prononcé. On les retrouvera ces deux souffles en motifs souvent imprimés à dessein : « Dixty » vit sa vie en unissons de notes tenues en figures de bas reliefs sur un discours de basse volontairement fort dense, en notes et/où accords très fournis – il faut y reconnaître là le poinçon d’orfèvre du chef. Des sonorités éclatées viennent rappeler ainsi que Sylvin Marc porte une « reconnaissance » avouée « â Ornette Coleman » Sans doute n’est ce pas un hasard non plus si Christophe Paris alors tient un alto. Même schéma pour un dit « Tourbillon d’été » qui n’a certes rien de commun avec l’étal et la plénitudes des « Quatre Saisons » Le chorus de trompette lâché par « Monsieur le professeur du Conservatoire » comme se plaît à le présenter le leader, se répercute très tendu, fixé sur le fil d.une lame, à l’inverse d’un sax alto plus délié, lequel cette fois vient conter une histoire en phrases courtes. C’est son choix du moment: Sylvin Marc joue sur un va et vient de complémentarité ou d’opposition de phases de la part de son duo de cuivres. Effets de nuances ou de choc en matière de timbres comme de résonances.
Autre part de la matière sonore, et autre particularité à présent. Sur ces morceaux de forte intensité, la batterie tourne autour du temps, impulse, pousse mais ne fixe pas le chemin rythmique de façon mécanique. On sent au contraire de la respiration dans la façon métrique de marquer le récit musical. Ainsi faut-il noter ce moment précis où sur ses caisses Chacha Angela -natif de Kinshasa- laisse la part belle aux balais, caresse sur les peaux offerte toutes en nuance. On en revient ainsi à la nature du récit, la façon de le poser, de le faire vivre suite à une longue introduction, le temps d’installer une belle mélodie posée très ample, en mode d’hymne. Ce morceau particulier -cette fois, terme de bavardage, le bassiste n’en a pas révélé le titre- résonne tel un chant de musique sacrée.
De titre celui là en possède un, et qui colle à plein aux basques du bassiste malgache « Funky des chaussures » Chevauchée de caisses et cymbales en séquence pur funk sur laquelle viennent se greffer des rifts de cuivres comme autant de coupes franches dans un jeu (rythmique) ouvert. On baigne dans le climat du binaire appuyé, autre marque déposée du bassiste compositeur. Sur son instrument tenu presque manche à la verticale les « harmoniques » claquent sur les cordes hautes de sa basse à six cordes. Sylvin Marc -les leaders d’orchestre à Paris venaient le chercher â cet effet- se sert de sa technique et clairement …la technique le sert.
En tant que musicien voyageur il n’oublie pas non plus de revenir aux eaux, au vents, aux îles de son point de départ vital, l’Océan Indien. Ne serait-ce que pour situer l’intitulé d’un thème : « J’ai pensé à ce « Alors tonton ? » comme on dit à tout propos à la Réunion à celui que l’on rencontre…» On retrouve là, inscrites comme des totems, toujours ces séquences à deux cuivres mêlés dans le bain salé d’harmonies légèrement dissonantes. Marque de fabrique d’une ouverture, de la volonté de vivre une aventure harmonique libre, non repérée, non étiquetée à l’avance.
Sur la scène de la petite salle douillette totalement intégrée parmi les maisons du gros village bigourdan le bis se fera en cette fraîche soirée d’hiver avec le concours de certains élèves du Conservatoire. Sylvin Marc, longuement, en dissertera le titre « Pablo blues » en hommage à « Monsieur le professeur… » Sacrée nature de trompettiste d’ailleurs.
Robert Latxague