Shepp triomphe à La Villette
Pour refermer le festival de jazz de la Villette cru 2012, les programmateurs avaient décidé d’inviter Archie Shepp pour une « reconstitution » de son célèbre disque “Attica Blues” dans la version big band (celle-ci, datant de 1979, ayant donné lieu à un double album live produit par Gérard Terronès). Pari osé parce que la formation retenue par Shepp était conséquente : un big band au complet, un quatuor à cordes, trois choristes ; pari risqué aussi puisque le saxophoniste a le double de l’âge qu’il avait en enregistrant son album pour Impulse! en 1972. Mais il faut croire que les responsables de Jazz à la Villette ont du nez, car ce fut une pleine réussite.
Archie Shepp Big Band
Dimanche 9 septembre 2012, Jazz à la Villette, Grande Halle de la Villette, Paris (75), 20h30.
Archie Shepp (ss, ts, vx), Jean-Claude André (arr, dir), Olivier Chaussade, Raphaël Imbert (as), François Théberge, Virgile Lefebvre (ts), Jean-Philippe Scali (bs), Ambrose Akinmusire, Izidor Leitinger, Olivier Miconi, Christophe Leloil (tp), Sébastien Llado, Michael Ballue, Simon Sieger, Romain Morello (tb), Steve Duong, Manon Tenoudji (vl), Antoine Carlier (alto), Louise Rosbach (vlle), Amina Claudine Myers, Marion Rampal, Cécile McLorin Salvant (vx), Tom McClung (p), Pierre Durand (g), Darryl Hall (b, elb), Famoudou Don Moye (dm).
Dès le premier morceau, Quiet Dawn (la pièce de Cal Massey qui clôt “Attica Blues”), le public a pu sentir qu’Archie Shepp était en forme, en très grande forme même. Alternant intelligemment tempos d’enfer et ballades, le programme permettait à Shepp de reprendre son souffle tout en donnant l’occasion à ses musiciens de se mettre en valeur. Signalons à cet égard le jeune Olivier Chaussade qui sur l’Attica Blues final donna à entendre (au milieu du « bœuf » général) quelques phrases qu’il faudra sans doute réévaluer lors d’un prochain concert. Raphaël Imbert, l’autre altiste de la soirée, réalisait quant à lui des solos bien emmenés sur les morceaux franchement groovy.
Comme sur le disque de 1972, les différents genres de la Great Black Music se succédèrent. Après le très jazz Come Sunday d’Ellington (interprété par Cecile McLorin Salvant qui chanta avec une belle assurance toute la soirée), ce fut ensuite un Blues for Brother George Jackson aux teintes soul qui fut donné. Puis vint Steam, une valse jazz sur laquelle Ambrose Akinmusire réalisa un solo époustouflant. Jusqu’à ce moment du concert, les quelques solistes venus au micro avaient bien réalisé leur petite affaire. Mais avec Akinmusire – dont l’allure n’est pas sans rappeler Clifford Brown (pas très grand, calme, souriant, de peau très noir) –, la différence fut flagrante. Son improvisation, bien que parfaitement dans l’esprit du morceau, se révéla tout à fait moderne – par son approche mélodique, ses multiples brisures de registre, des extensions recherchées d’échelles de notes, un placement rythmique d’acier, le tout avec un son « énôôôrme ». Il réédita son exploit un peu plus tard sur le gospelisant Cry of my People. Est-ce que cette réussite patente (que le public apprécia d’après les applaudissements recueillis par le trompettiste) piqua Shepp ? Non, sans doute, car il en a vu bien d’autres. Il n’empêche : plus la prestation avançait, plus il se montrait volubile. Sur Ballad for a Child, peu avant la fin d’un concert assez long (treize morceaux et un bis pour un total de plus de deux heures de musique), Shepp retrouvait ses quarante ans : phrases zébrées déchirantes, gros son dans le grave, notes qui paraissent à côté de l’harmonie mais qu’il a bien, lui, dans l’oreille, et ainsi de suite.
Shepp chanta plusieurs fois en duo. Du blues bien sûr, mais aussi des ballades, notamment avec Amina Claudine Myers, sur Arms (qu’elle a composé, et au cours duquel Shepp réalisa un solo très sensible) et Mama too Tight. Elle s’accompagnait pour l’occasion elle-même au piano, Tom McClung (plutôt en forme pour cette soirée) lui cédant alors sa place. Voix chaude dans le grave, avec un rien de Shirley Horn, elle habita pleinement (et sans faire de « cinéma » comme on dit parfois encore) ses interprétations.
Quant à Jean-Claude André, l’arrangeur et le chef d’orchestre de la soirée, il n’a pas chômé. Sur certains morceaux, il était évident que quelques répétitions supplémentaires n’auraient pas été un luxe. Cependant, André tint l’ensemble à bout de bras avec une belle maîtrise de soi, rattrapant les ratés à plusieurs reprises. Ses arrangements des compositions plus récentes de Shepp, comme par exemple celui sur The Stars Are in Your Eyes, démontrèrent sa capacité à faire sonner son groupe de musiciens à la manière des big bands de la grande tradition américaine. Bien sûr, le malheureux ne put rien faire contre la justesse de moins en moins précise des cordes, et encore moins contre leur sens du rythme manifestement trop ancré dans une conception classiquement conservatrice.
Ceux qui n’ont dans l’oreille que le Don Moye de l’Art Ensemble of Chicago ont sans doute été surpris d’entendre le célèbre batteur jouer swing, gospel ou hard bop (sur Ujaama par exemple où il fit plus que bonne figure). Mais surtout, entendre le groove funk de Don Moye, voilà qui valait le détour ! D’autant que Darryl Hall prenait pour l’occasion la basse électrique, ne se privant nullement de slapper comme un jeunot ! A la fin du concert, Don Moye prouva combien il est encore vaillant en venant sautiller de joie sur le devant de la scène, béquilles aux mains. Ujaama fut par ailleurs le sommet de la soirée, plus encore que le véritable final (Attica Blues). Shepp, l’orchestre, la rythmique, toute la machine musicale sembla alors s’emballer pour faire monter la fièvre auprès des milliers de spectateurs réunis à la Grande Halle de la Villette. Même s’il y eut des imperfections dans cette soirée, ne sont-elles pas intrinsèques au succès de la version 1972 d’“Attica Blues” ? Ainsi l’esprit tout comme la lettre furent-ils respectés !
1e partie : Hypnotic Brass Ensemble
Dimanche 9 septembre 2012, Jazz à la Villette, Grande Halle de la Villette, Paris (75), 19h00.
Gabriel Hubert, Amal Hubert, Jafar Graves, Tarik Graves (tp), Saiph Graves, Seba Graives (tb), Tycho Cohran (sousaphone), Uttama Hubert (euphonium), Gabriel Wallace (dm).
En premier partie de soirée, les huit fils de Phil Cohran (ex de chez Sun Ra) avaient au préalable chauffé la salle. Uniquement composé de cuivres plus une batterie, l’ensemble s’apparente à un Brass Band assez traditionnel : mélodies simples et répétitives, te
mpos propices à la marche dansée des défilés, compositions plutôt contrapuntiques qu’harmoniques, etc. Sauf que ces jeunes hommes n’ont pas écouté que les leçons du papa. Le jazz, c’est bien, mais il y a aussi le hip hop ! De ce fait, c’est au moment où ils se mirent à asséner des beats binaires bien terrestres, tout en proférant des raps arrangeurs que le groupe réalisa ses meilleures prestations. Conscient de leurs avantages physiques, ils n’hésitèrent pas non plus, au plus chaud de leur concert, à enlever le haut pour mieux faire saisir combien les membres de ce Brass Boys Band s’apparentent aux étalons du nouvel Apollon des temps postmodernes.
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Pour refermer le festival de jazz de la Villette cru 2012, les programmateurs avaient décidé d’inviter Archie Shepp pour une « reconstitution » de son célèbre disque “Attica Blues” dans la version big band (celle-ci, datant de 1979, ayant donné lieu à un double album live produit par Gérard Terronès). Pari osé parce que la formation retenue par Shepp était conséquente : un big band au complet, un quatuor à cordes, trois choristes ; pari risqué aussi puisque le saxophoniste a le double de l’âge qu’il avait en enregistrant son album pour Impulse! en 1972. Mais il faut croire que les responsables de Jazz à la Villette ont du nez, car ce fut une pleine réussite.
Archie Shepp Big Band
Dimanche 9 septembre 2012, Jazz à la Villette, Grande Halle de la Villette, Paris (75), 20h30.
Archie Shepp (ss, ts, vx), Jean-Claude André (arr, dir), Olivier Chaussade, Raphaël Imbert (as), François Théberge, Virgile Lefebvre (ts), Jean-Philippe Scali (bs), Ambrose Akinmusire, Izidor Leitinger, Olivier Miconi, Christophe Leloil (tp), Sébastien Llado, Michael Ballue, Simon Sieger, Romain Morello (tb), Steve Duong, Manon Tenoudji (vl), Antoine Carlier (alto), Louise Rosbach (vlle), Amina Claudine Myers, Marion Rampal, Cécile McLorin Salvant (vx), Tom McClung (p), Pierre Durand (g), Darryl Hall (b, elb), Famoudou Don Moye (dm).
Dès le premier morceau, Quiet Dawn (la pièce de Cal Massey qui clôt “Attica Blues”), le public a pu sentir qu’Archie Shepp était en forme, en très grande forme même. Alternant intelligemment tempos d’enfer et ballades, le programme permettait à Shepp de reprendre son souffle tout en donnant l’occasion à ses musiciens de se mettre en valeur. Signalons à cet égard le jeune Olivier Chaussade qui sur l’Attica Blues final donna à entendre (au milieu du « bœuf » général) quelques phrases qu’il faudra sans doute réévaluer lors d’un prochain concert. Raphaël Imbert, l’autre altiste de la soirée, réalisait quant à lui des solos bien emmenés sur les morceaux franchement groovy.
Comme sur le disque de 1972, les différents genres de la Great Black Music se succédèrent. Après le très jazz Come Sunday d’Ellington (interprété par Cecile McLorin Salvant qui chanta avec une belle assurance toute la soirée), ce fut ensuite un Blues for Brother George Jackson aux teintes soul qui fut donné. Puis vint Steam, une valse jazz sur laquelle Ambrose Akinmusire réalisa un solo époustouflant. Jusqu’à ce moment du concert, les quelques solistes venus au micro avaient bien réalisé leur petite affaire. Mais avec Akinmusire – dont l’allure n’est pas sans rappeler Clifford Brown (pas très grand, calme, souriant, de peau très noir) –, la différence fut flagrante. Son improvisation, bien que parfaitement dans l’esprit du morceau, se révéla tout à fait moderne – par son approche mélodique, ses multiples brisures de registre, des extensions recherchées d’échelles de notes, un placement rythmique d’acier, le tout avec un son « énôôôrme ». Il réédita son exploit un peu plus tard sur le gospelisant Cry of my People. Est-ce que cette réussite patente (que le public apprécia d’après les applaudissements recueillis par le trompettiste) piqua Shepp ? Non, sans doute, car il en a vu bien d’autres. Il n’empêche : plus la prestation avançait, plus il se montrait volubile. Sur Ballad for a Child, peu avant la fin d’un concert assez long (treize morceaux et un bis pour un total de plus de deux heures de musique), Shepp retrouvait ses quarante ans : phrases zébrées déchirantes, gros son dans le grave, notes qui paraissent à côté de l’harmonie mais qu’il a bien, lui, dans l’oreille, et ainsi de suite.
Shepp chanta plusieurs fois en duo. Du blues bien sûr, mais aussi des ballades, notamment avec Amina Claudine Myers, sur Arms (qu’elle a composé, et au cours duquel Shepp réalisa un solo très sensible) et Mama too Tight. Elle s’accompagnait pour l’occasion elle-même au piano, Tom McClung (plutôt en forme pour cette soirée) lui cédant alors sa place. Voix chaude dans le grave, avec un rien de Shirley Horn, elle habita pleinement (et sans faire de « cinéma » comme on dit parfois encore) ses interprétations.
Quant à Jean-Claude André, l’arrangeur et le chef d’orchestre de la soirée, il n’a pas chômé. Sur certains morceaux, il était évident que quelques répétitions supplémentaires n’auraient pas été un luxe. Cependant, André tint l’ensemble à bout de bras avec une belle maîtrise de soi, rattrapant les ratés à plusieurs reprises. Ses arrangements des compositions plus récentes de Shepp, comme par exemple celui sur The Stars Are in Your Eyes, démontrèrent sa capacité à faire sonner son groupe de musiciens à la manière des big bands de la grande tradition américaine. Bien sûr, le malheureux ne put rien faire contre la justesse de moins en moins précise des cordes, et encore moins contre leur sens du rythme manifestement trop ancré dans une conception classiquement conservatrice.
Ceux qui n’ont dans l’oreille que le Don Moye de l’Art Ensemble of Chicago ont sans doute été surpris d’entendre le célèbre batteur jouer swing, gospel ou hard bop (sur Ujaama par exemple où il fit plus que bonne figure). Mais surtout, entendre le groove funk de Don Moye, voilà qui valait le détour ! D’autant que Darryl Hall prenait pour l’occasion la basse électrique, ne se privant nullement de slapper comme un jeunot ! A la fin du concert, Don Moye prouva combien il est encore vaillant en venant sautiller de joie sur le devant de la scène, béquilles aux mains. Ujaama fut par ailleurs le sommet de la soirée, plus encore que le véritable final (Attica Blues). Shepp, l’orchestre, la rythmique, toute la machine musicale sembla alors s’emballer pour faire monter la fièvre auprès des milliers de spectateurs réunis à la Grande Halle de la Villette. Même s’il y eut des imperfections dans cette soirée, ne sont-elles pas intrinsèques au succès de la version 1972 d’“Attica Blues” ? Ainsi l’esprit tout comme la lettre furent-ils respectés !
1e partie : Hypnotic Brass Ensemble
Dimanche 9 septembre 2012, Jazz à la Villette, Grande Halle de la Villette, Paris (75), 19h00.
Gabriel Hubert, Amal Hubert, Jafar Graves, Tarik Graves (tp), Saiph Graves, Seba Graives (tb), Tycho Cohran (sousaphone), Uttama Hubert (euphonium), Gabriel Wallace (dm).
En premier partie de soirée, les huit fils de Phil Cohran (ex de chez Sun Ra) avaient au préalable chauffé la salle. Uniquement composé de cuivres plus une batterie, l’ensemble s’apparente à un Brass Band assez traditionnel : mélodies simples et répétitives, te
mpos propices à la marche dansée des défilés, compositions plutôt contrapuntiques qu’harmoniques, etc. Sauf que ces jeunes hommes n’ont pas écouté que les leçons du papa. Le jazz, c’est bien, mais il y a aussi le hip hop ! De ce fait, c’est au moment où ils se mirent à asséner des beats binaires bien terrestres, tout en proférant des raps arrangeurs que le groupe réalisa ses meilleures prestations. Conscient de leurs avantages physiques, ils n’hésitèrent pas non plus, au plus chaud de leur concert, à enlever le haut pour mieux faire saisir combien les membres de ce Brass Boys Band s’apparentent aux étalons du nouvel Apollon des temps postmodernes.
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Pour refermer le festival de jazz de la Villette cru 2012, les programmateurs avaient décidé d’inviter Archie Shepp pour une « reconstitution » de son célèbre disque “Attica Blues” dans la version big band (celle-ci, datant de 1979, ayant donné lieu à un double album live produit par Gérard Terronès). Pari osé parce que la formation retenue par Shepp était conséquente : un big band au complet, un quatuor à cordes, trois choristes ; pari risqué aussi puisque le saxophoniste a le double de l’âge qu’il avait en enregistrant son album pour Impulse! en 1972. Mais il faut croire que les responsables de Jazz à la Villette ont du nez, car ce fut une pleine réussite.
Archie Shepp Big Band
Dimanche 9 septembre 2012, Jazz à la Villette, Grande Halle de la Villette, Paris (75), 20h30.
Archie Shepp (ss, ts, vx), Jean-Claude André (arr, dir), Olivier Chaussade, Raphaël Imbert (as), François Théberge, Virgile Lefebvre (ts), Jean-Philippe Scali (bs), Ambrose Akinmusire, Izidor Leitinger, Olivier Miconi, Christophe Leloil (tp), Sébastien Llado, Michael Ballue, Simon Sieger, Romain Morello (tb), Steve Duong, Manon Tenoudji (vl), Antoine Carlier (alto), Louise Rosbach (vlle), Amina Claudine Myers, Marion Rampal, Cécile McLorin Salvant (vx), Tom McClung (p), Pierre Durand (g), Darryl Hall (b, elb), Famoudou Don Moye (dm).
Dès le premier morceau, Quiet Dawn (la pièce de Cal Massey qui clôt “Attica Blues”), le public a pu sentir qu’Archie Shepp était en forme, en très grande forme même. Alternant intelligemment tempos d’enfer et ballades, le programme permettait à Shepp de reprendre son souffle tout en donnant l’occasion à ses musiciens de se mettre en valeur. Signalons à cet égard le jeune Olivier Chaussade qui sur l’Attica Blues final donna à entendre (au milieu du « bœuf » général) quelques phrases qu’il faudra sans doute réévaluer lors d’un prochain concert. Raphaël Imbert, l’autre altiste de la soirée, réalisait quant à lui des solos bien emmenés sur les morceaux franchement groovy.
Comme sur le disque de 1972, les différents genres de la Great Black Music se succédèrent. Après le très jazz Come Sunday d’Ellington (interprété par Cecile McLorin Salvant qui chanta avec une belle assurance toute la soirée), ce fut ensuite un Blues for Brother George Jackson aux teintes soul qui fut donné. Puis vint Steam, une valse jazz sur laquelle Ambrose Akinmusire réalisa un solo époustouflant. Jusqu’à ce moment du concert, les quelques solistes venus au micro avaient bien réalisé leur petite affaire. Mais avec Akinmusire – dont l’allure n’est pas sans rappeler Clifford Brown (pas très grand, calme, souriant, de peau très noir) –, la différence fut flagrante. Son improvisation, bien que parfaitement dans l’esprit du morceau, se révéla tout à fait moderne – par son approche mélodique, ses multiples brisures de registre, des extensions recherchées d’échelles de notes, un placement rythmique d’acier, le tout avec un son « énôôôrme ». Il réédita son exploit un peu plus tard sur le gospelisant Cry of my People. Est-ce que cette réussite patente (que le public apprécia d’après les applaudissements recueillis par le trompettiste) piqua Shepp ? Non, sans doute, car il en a vu bien d’autres. Il n’empêche : plus la prestation avançait, plus il se montrait volubile. Sur Ballad for a Child, peu avant la fin d’un concert assez long (treize morceaux et un bis pour un total de plus de deux heures de musique), Shepp retrouvait ses quarante ans : phrases zébrées déchirantes, gros son dans le grave, notes qui paraissent à côté de l’harmonie mais qu’il a bien, lui, dans l’oreille, et ainsi de suite.
Shepp chanta plusieurs fois en duo. Du blues bien sûr, mais aussi des ballades, notamment avec Amina Claudine Myers, sur Arms (qu’elle a composé, et au cours duquel Shepp réalisa un solo très sensible) et Mama too Tight. Elle s’accompagnait pour l’occasion elle-même au piano, Tom McClung (plutôt en forme pour cette soirée) lui cédant alors sa place. Voix chaude dans le grave, avec un rien de Shirley Horn, elle habita pleinement (et sans faire de « cinéma » comme on dit parfois encore) ses interprétations.
Quant à Jean-Claude André, l’arrangeur et le chef d’orchestre de la soirée, il n’a pas chômé. Sur certains morceaux, il était évident que quelques répétitions supplémentaires n’auraient pas été un luxe. Cependant, André tint l’ensemble à bout de bras avec une belle maîtrise de soi, rattrapant les ratés à plusieurs reprises. Ses arrangements des compositions plus récentes de Shepp, comme par exemple celui sur The Stars Are in Your Eyes, démontrèrent sa capacité à faire sonner son groupe de musiciens à la manière des big bands de la grande tradition américaine. Bien sûr, le malheureux ne put rien faire contre la justesse de moins en moins précise des cordes, et encore moins contre leur sens du rythme manifestement trop ancré dans une conception classiquement conservatrice.
Ceux qui n’ont dans l’oreille que le Don Moye de l’Art Ensemble of Chicago ont sans doute été surpris d’entendre le célèbre batteur jouer swing, gospel ou hard bop (sur Ujaama par exemple où il fit plus que bonne figure). Mais surtout, entendre le groove funk de Don Moye, voilà qui valait le détour ! D’autant que Darryl Hall prenait pour l’occasion la basse électrique, ne se privant nullement de slapper comme un jeunot ! A la fin du concert, Don Moye prouva combien il est encore vaillant en venant sautiller de joie sur le devant de la scène, béquilles aux mains. Ujaama fut par ailleurs le sommet de la soirée, plus encore que le véritable final (Attica Blues). Shepp, l’orchestre, la rythmique, toute la machine musicale sembla alors s’emballer pour faire monter la fièvre auprès des milliers de spectateurs réunis à la Grande Halle de la Villette. Même s’il y eut des imperfections dans cette soirée, ne sont-elles pas intrinsèques au succès de la version 1972 d’“Attica Blues” ? Ainsi l’esprit tout comme la lettre furent-ils respectés !
1e partie : Hypnotic Brass Ensemble
Dimanche 9 septembre 2012, Jazz à la Villette, Grande Halle de la Villette, Paris (75), 19h00.
Gabriel Hubert, Amal Hubert, Jafar Graves, Tarik Graves (tp), Saiph Graves, Seba Graives (tb), Tycho Cohran (sousaphone), Uttama Hubert (euphonium), Gabriel Wallace (dm).
En premier partie de soirée, les huit fils de Phil Cohran (ex de chez Sun Ra) avaient au préalable chauffé la salle. Uniquement composé de cuivres plus une batterie, l’ensemble s’apparente à un Brass Band assez traditionnel : mélodies simples et répétitives, te
mpos propices à la marche dansée des défilés, compositions plutôt contrapuntiques qu’harmoniques, etc. Sauf que ces jeunes hommes n’ont pas écouté que les leçons du papa. Le jazz, c’est bien, mais il y a aussi le hip hop ! De ce fait, c’est au moment où ils se mirent à asséner des beats binaires bien terrestres, tout en proférant des raps arrangeurs que le groupe réalisa ses meilleures prestations. Conscient de leurs avantages physiques, ils n’hésitèrent pas non plus, au plus chaud de leur concert, à enlever le haut pour mieux faire saisir combien les membres de ce Brass Boys Band s’apparentent aux étalons du nouvel Apollon des temps postmodernes.
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Pour refermer le festival de jazz de la Villette cru 2012, les programmateurs avaient décidé d’inviter Archie Shepp pour une « reconstitution » de son célèbre disque “Attica Blues” dans la version big band (celle-ci, datant de 1979, ayant donné lieu à un double album live produit par Gérard Terronès). Pari osé parce que la formation retenue par Shepp était conséquente : un big band au complet, un quatuor à cordes, trois choristes ; pari risqué aussi puisque le saxophoniste a le double de l’âge qu’il avait en enregistrant son album pour Impulse! en 1972. Mais il faut croire que les responsables de Jazz à la Villette ont du nez, car ce fut une pleine réussite.
Archie Shepp Big Band
Dimanche 9 septembre 2012, Jazz à la Villette, Grande Halle de la Villette, Paris (75), 20h30.
Archie Shepp (ss, ts, vx), Jean-Claude André (arr, dir), Olivier Chaussade, Raphaël Imbert (as), François Théberge, Virgile Lefebvre (ts), Jean-Philippe Scali (bs), Ambrose Akinmusire, Izidor Leitinger, Olivier Miconi, Christophe Leloil (tp), Sébastien Llado, Michael Ballue, Simon Sieger, Romain Morello (tb), Steve Duong, Manon Tenoudji (vl), Antoine Carlier (alto), Louise Rosbach (vlle), Amina Claudine Myers, Marion Rampal, Cécile McLorin Salvant (vx), Tom McClung (p), Pierre Durand (g), Darryl Hall (b, elb), Famoudou Don Moye (dm).
Dès le premier morceau, Quiet Dawn (la pièce de Cal Massey qui clôt “Attica Blues”), le public a pu sentir qu’Archie Shepp était en forme, en très grande forme même. Alternant intelligemment tempos d’enfer et ballades, le programme permettait à Shepp de reprendre son souffle tout en donnant l’occasion à ses musiciens de se mettre en valeur. Signalons à cet égard le jeune Olivier Chaussade qui sur l’Attica Blues final donna à entendre (au milieu du « bœuf » général) quelques phrases qu’il faudra sans doute réévaluer lors d’un prochain concert. Raphaël Imbert, l’autre altiste de la soirée, réalisait quant à lui des solos bien emmenés sur les morceaux franchement groovy.
Comme sur le disque de 1972, les différents genres de la Great Black Music se succédèrent. Après le très jazz Come Sunday d’Ellington (interprété par Cecile McLorin Salvant qui chanta avec une belle assurance toute la soirée), ce fut ensuite un Blues for Brother George Jackson aux teintes soul qui fut donné. Puis vint Steam, une valse jazz sur laquelle Ambrose Akinmusire réalisa un solo époustouflant. Jusqu’à ce moment du concert, les quelques solistes venus au micro avaient bien réalisé leur petite affaire. Mais avec Akinmusire – dont l’allure n’est pas sans rappeler Clifford Brown (pas très grand, calme, souriant, de peau très noir) –, la différence fut flagrante. Son improvisation, bien que parfaitement dans l’esprit du morceau, se révéla tout à fait moderne – par son approche mélodique, ses multiples brisures de registre, des extensions recherchées d’échelles de notes, un placement rythmique d’acier, le tout avec un son « énôôôrme ». Il réédita son exploit un peu plus tard sur le gospelisant Cry of my People. Est-ce que cette réussite patente (que le public apprécia d’après les applaudissements recueillis par le trompettiste) piqua Shepp ? Non, sans doute, car il en a vu bien d’autres. Il n’empêche : plus la prestation avançait, plus il se montrait volubile. Sur Ballad for a Child, peu avant la fin d’un concert assez long (treize morceaux et un bis pour un total de plus de deux heures de musique), Shepp retrouvait ses quarante ans : phrases zébrées déchirantes, gros son dans le grave, notes qui paraissent à côté de l’harmonie mais qu’il a bien, lui, dans l’oreille, et ainsi de suite.
Shepp chanta plusieurs fois en duo. Du blues bien sûr, mais aussi des ballades, notamment avec Amina Claudine Myers, sur Arms (qu’elle a composé, et au cours duquel Shepp réalisa un solo très sensible) et Mama too Tight. Elle s’accompagnait pour l’occasion elle-même au piano, Tom McClung (plutôt en forme pour cette soirée) lui cédant alors sa place. Voix chaude dans le grave, avec un rien de Shirley Horn, elle habita pleinement (et sans faire de « cinéma » comme on dit parfois encore) ses interprétations.
Quant à Jean-Claude André, l’arrangeur et le chef d’orchestre de la soirée, il n’a pas chômé. Sur certains morceaux, il était évident que quelques répétitions supplémentaires n’auraient pas été un luxe. Cependant, André tint l’ensemble à bout de bras avec une belle maîtrise de soi, rattrapant les ratés à plusieurs reprises. Ses arrangements des compositions plus récentes de Shepp, comme par exemple celui sur The Stars Are in Your Eyes, démontrèrent sa capacité à faire sonner son groupe de musiciens à la manière des big bands de la grande tradition américaine. Bien sûr, le malheureux ne put rien faire contre la justesse de moins en moins précise des cordes, et encore moins contre leur sens du rythme manifestement trop ancré dans une conception classiquement conservatrice.
Ceux qui n’ont dans l’oreille que le Don Moye de l’Art Ensemble of Chicago ont sans doute été surpris d’entendre le célèbre batteur jouer swing, gospel ou hard bop (sur Ujaama par exemple où il fit plus que bonne figure). Mais surtout, entendre le groove funk de Don Moye, voilà qui valait le détour ! D’autant que Darryl Hall prenait pour l’occasion la basse électrique, ne se privant nullement de slapper comme un jeunot ! A la fin du concert, Don Moye prouva combien il est encore vaillant en venant sautiller de joie sur le devant de la scène, béquilles aux mains. Ujaama fut par ailleurs le sommet de la soirée, plus encore que le véritable final (Attica Blues). Shepp, l’orchestre, la rythmique, toute la machine musicale sembla alors s’emballer pour faire monter la fièvre auprès des milliers de spectateurs réunis à la Grande Halle de la Villette. Même s’il y eut des imperfections dans cette soirée, ne sont-elles pas intrinsèques au succès de la version 1972 d’“Attica Blues” ? Ainsi l’esprit tout comme la lettre furent-ils respectés !
1e partie : Hypnotic Brass Ensemble
Dimanche 9 septembre 2012, Jazz à la Villette, Grande Halle de la Villette, Paris (75), 19h00.
Gabriel Hubert, Amal Hubert, Jafar Graves, Tarik Graves (tp), Saiph Graves, Seba Graives (tb), Tycho Cohran (sousaphone), Uttama Hubert (euphonium), Gabriel Wallace (dm).
En premier partie de soirée, les huit fils de Phil Cohran (ex de chez Sun Ra) avaient au préalable chauffé la salle. Uniquement composé de cuivres plus une batterie, l’ensemble s’apparente à un Brass Band assez traditionnel : mélodies simples et répétitives, te
mpos propices à la marche dansée des défilés, compositions plutôt contrapuntiques qu’harmoniques, etc. Sauf que ces jeunes hommes n’ont pas écouté que les leçons du papa. Le jazz, c’est bien, mais il y a aussi le hip hop ! De ce fait, c’est au moment où ils se mirent à asséner des beats binaires bien terrestres, tout en proférant des raps arrangeurs que le groupe réalisa ses meilleures prestations. Conscient de leurs avantages physiques, ils n’hésitèrent pas non plus, au plus chaud de leur concert, à enlever le haut pour mieux faire saisir combien les membres de ce Brass Boys Band s’apparentent aux étalons du nouvel Apollon des temps postmodernes.