Un soir au cabaret : Yves Uzureau chante Brassens
Le hasard peut amener le jazz critic à quitter les chemins balisés des jazz clubs. Ayant pris l’habitude de ne rien cacher sur ce blog de mes sorties artistiques, dès lors qu’elles m’inspirent quelques lignes, de la visite de l’exposition Edward Hopper au Trophée Pierre Bédard de biniou-bombarde, je dirai donc quelques mots de ma soirée du 1er avril au Forum Léo Ferré d’Ivry en compagnie d’Yves Uzureau.
Voici quelques mois qu’une paire d’amis cherchait à me débaucher pour aller écouter Yves Uzureau chanter Brassens. Une situation toujours délicate pour le critique patenté dont les amis attendent souvent quelque certificat sous forme d’approbation. Au pire, l’affaire n’irait pas plus loin qu’un acquiescement poli, que ma froideur naturelle m’interdit d’outrepasser lorsque je salue les artistes en fin de concert, même dans les cas d’enthousiasme extrême. Au mieux… et bien ce fut au mieux. Et, une semaine plus tard, je profite d’une escapade en train pour prendre le temps d’écrire pourquoi.
Un lieu d’abord. Dissimulé, insoupçonnable en tout cas entre chiens et loups, derrière une façade digne d’un quai de livraison pour supermarché, le Forum Léo Ferré, une fois sa porte franchie, vous fait d’emblée vous sentir chez vous. On casse une croute simple et très honorable, des vins abordables bien choisis, parmi un public très fréquentable, pas très jeune (enfin, ni plus jeune ni plus vieux que le public d’une concert de jazz aujourd’hui) chez qui l’on reconnaît l’amateur. Il chantera tout à l’heure pour lui-même (sans bruit, sauf lorsqu’il y est invité, mais un sourd reconnaitrait les textes chantés aux seuls mouvements de lèvres dans le public). Une ferveur qui me rappelle ces jazzfans pianistes du dimanche qui suivent avec hochements de tête approbateurs ou de stupéfaction les solos d’un René Urtreger en ne manquant jamais de saluer par quelque mouvement du corps l’arrivée de chaque nouveau chorus.
Conçu avec humour, une projection d’un petit “film d’actualités” précédé d’une furtive apparition à l’écran du personnage publicitaire de Jean Mineur, donne le ton qui sera celui de la présentation du concert par le taulier Gilles Tcherniak, fils des propriétaires du légendaire Cheval d’or de la rue Descartes (Bobby Lapointe, Roger Riffard, Anne Sylvestre…), qu’assiste dans l’animation du Forum une équipe de bénévoles. Ici, l’on aime ce que l’on fait, on aime le faire savoir et on le fait avec esprit, humour et sens de l’accueil.
J’imagine le lecteur de ce blog méfiant, sarcastique… comme le fut Blueraie qui refusa de m’accompagner. Au mieux : « Brassens, oui ! Mais par Brassens. » Au pire : « Brassens ?! Mais c’est pas du jazz ! Mais il chante toujours la même chanson ! », etc. Je n’étais pas loin de la première proposition. Mais voici Yves Uzureau ! Physique léonin, une façon fauve de s’emparer de la scène et de regarder l’assistance sans le voir, l’habitude des lumières de la scène. Cet homme-là vient du théâtre (Premier Prix du Cours Simon me soufflera-t-on). Soit ! Un glumeux ? Un cabot ? Juste quelqu’un qui a le sens du spectacle, de la mise en scène et en lumières (une petite régie y pourvoit activement), de l’effet dramatique, certes loin de la présence au naturel du jazzman où tout le spectacle réside dans le geste musical et la façon dont il est pensé (et même si des voix s’élèvent régulièrement pour réclamer plus de spectacle, mon exigence de jazzfan s’en tient là à cette qualité du geste !)
« Brassens, oui ! Mais par Brassens. » Soit cette nudité scénique voix-guitare que, mystérieusement, Brassens comblait, mort de trac et les mains moites, de son seul art d’auteur-compositeur. Alors évidemment, ce Brassens-là sans Brassens… Mais, hors d’un amusant exercice de pastiche sur quelques chansons yéyés, Yves Uzureau ne pratique pas le mimétisme. Tout en respectant l’esthétique originale, il la transcende par cette présence d’acteur, cette voix admirablement placée (celle de Brassens l’était aussi, mais au naturel) et par un art du placement rythmique remarquable. Vous me direz, le placement rythmique est tout Brassens, tant le poète et le compositeur que l’interprète. Uzureau le fait sien et, m’a-t-il semblé, y apporte une part d’improvisation, qui nous ramène un petit peu au jazz dont son usage de la guitare laisse à penser qu’il l’a pratiqué façon manouche.
Venons au dispositif musical : Uzureau s’accompagne donc d’une guitare “à la Brassens”, assisté par Pierre Debiesme à la guitare électrique et Anne Gouraud à la contrebasse. Plus extravertie que Pierre Nicolas, qui œuvrait sobrement à l’ombre derrière Bassens, celle-ci joue de tous les registres de l’instrument, pizz, archet, walking, slap, tumbao, séquences free voire bruitistes… avec un sens du spectacle un peu bouffon qui fait merveille et, entre autres, vient moquer la dimension misogyne de l’œuvre du grand Georges avec un bel à propos. Plus introverti, Pierre Debiesme est un peu jazzman, un peu bluesman, un peu rocker, un peu carioca… et beaucoup orchestrateur, voire décorateur, metteur en scène, commentateur. Muni de moult pédales et accessoires, il fait sonner ici une discrète fanfare, là une slide guitare du Delta sur une chanson dont Uzureau fait un authentique blues, là encore une banjo des Appalaches…
Une heure et demie plus tard sans entracte, le public en redemandait encore, de ce répertoire où familier côtoyait le rare (1) puis on reprit le périphérique vers nos banlieues avec l’impression confuse de cheminer en chemins creux. • Franck Bergerot
(1) L’an passé fut publié un recueil d’une soixantaine de textes déposés à la Sacem entre 1942 et 1949, chansons de jeunesse dont quatre seules connurent la scène et le studio. René Iskin, compagnon de Brassens, qui en avait recueilli les mélodies, les dicta au magnétophone d’Yves Uzureau qui enregistra avec Anne Gouraud six d’entre elles jointes en CD au livre Georges Brassens, Premières chanson (1942-1949) (Cherche Midi, 189 pages, prologue de Gabriel Garcia Marquez). Yves Uzureau est également l’auteur d’un original “roman-méthode de guitare”, invitation à faire ses premiers doigtés sur les six cordes à partir du répertoire de Georges Brassens, inclus dans le recueil J’ai Rendez-Vous Avec Vous, l’Intégrale de ses chansons enregistrées / Paroles et musiques / 136 textes et partitions (Robert Laffont / Bouquins, 1248 p., préface de François Morel).
|Le hasard peut amener le jazz critic à quitter les chemins balisés des jazz clubs. Ayant pris l’habitude de ne rien cacher sur ce blog de mes sorties artistiques, dès lors qu’elles m’inspirent quelques lignes, de la visite de l’exposition Edward Hopper au Trophée Pierre Bédard de biniou-bombarde, je dirai donc quelques mots de ma soirée du 1er avril au Forum Léo Ferré d’Ivry en compagnie d’Yves Uzureau.
Voici quelques mois qu’une paire d’amis cherchait à me débaucher pour aller écouter Yves Uzureau chanter Brassens. Une situation toujours délicate pour le critique patenté dont les amis attendent souvent quelque certificat sous forme d’approbation. Au pire, l’affaire n’irait pas plus loin qu’un acquiescement poli, que ma froideur naturelle m’interdit d’outrepasser lorsque je salue les artistes en fin de concert, même dans les cas d’enthousiasme extrême. Au mieux… et bien ce fut au mieux. Et, une semaine plus tard, je profite d’une escapade en train pour prendre le temps d’écrire pourquoi.
Un lieu d’abord. Dissimulé, insoupçonnable en tout cas entre chiens et loups, derrière une façade digne d’un quai de livraison pour supermarché, le Forum Léo Ferré, une fois sa porte franchie, vous fait d’emblée vous sentir chez vous. On casse une croute simple et très honorable, des vins abordables bien choisis, parmi un public très fréquentable, pas très jeune (enfin, ni plus jeune ni plus vieux que le public d’une concert de jazz aujourd’hui) chez qui l’on reconnaît l’amateur. Il chantera tout à l’heure pour lui-même (sans bruit, sauf lorsqu’il y est invité, mais un sourd reconnaitrait les textes chantés aux seuls mouvements de lèvres dans le public). Une ferveur qui me rappelle ces jazzfans pianistes du dimanche qui suivent avec hochements de tête approbateurs ou de stupéfaction les solos d’un René Urtreger en ne manquant jamais de saluer par quelque mouvement du corps l’arrivée de chaque nouveau chorus.
Conçu avec humour, une projection d’un petit “film d’actualités” précédé d’une furtive apparition à l’écran du personnage publicitaire de Jean Mineur, donne le ton qui sera celui de la présentation du concert par le taulier Gilles Tcherniak, fils des propriétaires du légendaire Cheval d’or de la rue Descartes (Bobby Lapointe, Roger Riffard, Anne Sylvestre…), qu’assiste dans l’animation du Forum une équipe de bénévoles. Ici, l’on aime ce que l’on fait, on aime le faire savoir et on le fait avec esprit, humour et sens de l’accueil.
J’imagine le lecteur de ce blog méfiant, sarcastique… comme le fut Blueraie qui refusa de m’accompagner. Au mieux : « Brassens, oui ! Mais par Brassens. » Au pire : « Brassens ?! Mais c’est pas du jazz ! Mais il chante toujours la même chanson ! », etc. Je n’étais pas loin de la première proposition. Mais voici Yves Uzureau ! Physique léonin, une façon fauve de s’emparer de la scène et de regarder l’assistance sans le voir, l’habitude des lumières de la scène. Cet homme-là vient du théâtre (Premier Prix du Cours Simon me soufflera-t-on). Soit ! Un glumeux ? Un cabot ? Juste quelqu’un qui a le sens du spectacle, de la mise en scène et en lumières (une petite régie y pourvoit activement), de l’effet dramatique, certes loin de la présence au naturel du jazzman où tout le spectacle réside dans le geste musical et la façon dont il est pensé (et même si des voix s’élèvent régulièrement pour réclamer plus de spectacle, mon exigence de jazzfan s’en tient là à cette qualité du geste !)
« Brassens, oui ! Mais par Brassens. » Soit cette nudité scénique voix-guitare que, mystérieusement, Brassens comblait, mort de trac et les mains moites, de son seul art d’auteur-compositeur. Alors évidemment, ce Brassens-là sans Brassens… Mais, hors d’un amusant exercice de pastiche sur quelques chansons yéyés, Yves Uzureau ne pratique pas le mimétisme. Tout en respectant l’esthétique originale, il la transcende par cette présence d’acteur, cette voix admirablement placée (celle de Brassens l’était aussi, mais au naturel) et par un art du placement rythmique remarquable. Vous me direz, le placement rythmique est tout Brassens, tant le poète et le compositeur que l’interprète. Uzureau le fait sien et, m’a-t-il semblé, y apporte une part d’improvisation, qui nous ramène un petit peu au jazz dont son usage de la guitare laisse à penser qu’il l’a pratiqué façon manouche.
Venons au dispositif musical : Uzureau s’accompagne donc d’une guitare “à la Brassens”, assisté par Pierre Debiesme à la guitare électrique et Anne Gouraud à la contrebasse. Plus extravertie que Pierre Nicolas, qui œuvrait sobrement à l’ombre derrière Bassens, celle-ci joue de tous les registres de l’instrument, pizz, archet, walking, slap, tumbao, séquences free voire bruitistes… avec un sens du spectacle un peu bouffon qui fait merveille et, entre autres, vient moquer la dimension misogyne de l’œuvre du grand Georges avec un bel à propos. Plus introverti, Pierre Debiesme est un peu jazzman, un peu bluesman, un peu rocker, un peu carioca… et beaucoup orchestrateur, voire décorateur, metteur en scène, commentateur. Muni de moult pédales et accessoires, il fait sonner ici une discrète fanfare, là une slide guitare du Delta sur une chanson dont Uzureau fait un authentique blues, là encore une banjo des Appalaches…
Une heure et demie plus tard sans entracte, le public en redemandait encore, de ce répertoire où familier côtoyait le rare (1) puis on reprit le périphérique vers nos banlieues avec l’impression confuse de cheminer en chemins creux. • Franck Bergerot
(1) L’an passé fut publié un recueil d’une soixantaine de textes déposés à la Sacem entre 1942 et 1949, chansons de jeunesse dont quatre seules connurent la scène et le studio. René Iskin, compagnon de Brassens, qui en avait recueilli les mélodies, les dicta au magnétophone d’Yves Uzureau qui enregistra avec Anne Gouraud six d’entre elles jointes en CD au livre Georges Brassens, Premières chanson (1942-1949) (Cherche Midi, 189 pages, prologue de Gabriel Garcia Marquez). Yves Uzureau est également l’auteur d’un original “roman-méthode de guitare”, invitation à faire ses premiers doigtés sur les six cordes à partir du répertoire de Georges Brassens, inclus dans le recueil J’ai Rendez-Vous Avec Vous, l’Intégrale de ses chansons enregistrées / Paroles et musiques / 136 textes et partitions (Robert Laffont / Bouquins, 1248 p., préface de François Morel).
|Le hasard peut amener le jazz critic à quitter les chemins balisés des jazz clubs. Ayant pris l’habitude de ne rien cacher sur ce blog de mes sorties artistiques, dès lors qu’elles m’inspirent quelques lignes, de la visite de l’exposition Edward Hopper au Trophée Pierre Bédard de biniou-bombarde, je dirai donc quelques mots de ma soirée du 1er avril au Forum Léo Ferré d’Ivry en compagnie d’Yves Uzureau.
Voici quelques mois qu’une paire d’amis cherchait à me débaucher pour aller écouter Yves Uzureau chanter Brassens. Une situation toujours délicate pour le critique patenté dont les amis attendent souvent quelque certificat sous forme d’approbation. Au pire, l’affaire n’irait pas plus loin qu’un acquiescement poli, que ma froideur naturelle m’interdit d’outrepasser lorsque je salue les artistes en fin de concert, même dans les cas d’enthousiasme extrême. Au mieux… et bien ce fut au mieux. Et, une semaine plus tard, je profite d’une escapade en train pour prendre le temps d’écrire pourquoi.
Un lieu d’abord. Dissimulé, insoupçonnable en tout cas entre chiens et loups, derrière une façade digne d’un quai de livraison pour supermarché, le Forum Léo Ferré, une fois sa porte franchie, vous fait d’emblée vous sentir chez vous. On casse une croute simple et très honorable, des vins abordables bien choisis, parmi un public très fréquentable, pas très jeune (enfin, ni plus jeune ni plus vieux que le public d’une concert de jazz aujourd’hui) chez qui l’on reconnaît l’amateur. Il chantera tout à l’heure pour lui-même (sans bruit, sauf lorsqu’il y est invité, mais un sourd reconnaitrait les textes chantés aux seuls mouvements de lèvres dans le public). Une ferveur qui me rappelle ces jazzfans pianistes du dimanche qui suivent avec hochements de tête approbateurs ou de stupéfaction les solos d’un René Urtreger en ne manquant jamais de saluer par quelque mouvement du corps l’arrivée de chaque nouveau chorus.
Conçu avec humour, une projection d’un petit “film d’actualités” précédé d’une furtive apparition à l’écran du personnage publicitaire de Jean Mineur, donne le ton qui sera celui de la présentation du concert par le taulier Gilles Tcherniak, fils des propriétaires du légendaire Cheval d’or de la rue Descartes (Bobby Lapointe, Roger Riffard, Anne Sylvestre…), qu’assiste dans l’animation du Forum une équipe de bénévoles. Ici, l’on aime ce que l’on fait, on aime le faire savoir et on le fait avec esprit, humour et sens de l’accueil.
J’imagine le lecteur de ce blog méfiant, sarcastique… comme le fut Blueraie qui refusa de m’accompagner. Au mieux : « Brassens, oui ! Mais par Brassens. » Au pire : « Brassens ?! Mais c’est pas du jazz ! Mais il chante toujours la même chanson ! », etc. Je n’étais pas loin de la première proposition. Mais voici Yves Uzureau ! Physique léonin, une façon fauve de s’emparer de la scène et de regarder l’assistance sans le voir, l’habitude des lumières de la scène. Cet homme-là vient du théâtre (Premier Prix du Cours Simon me soufflera-t-on). Soit ! Un glumeux ? Un cabot ? Juste quelqu’un qui a le sens du spectacle, de la mise en scène et en lumières (une petite régie y pourvoit activement), de l’effet dramatique, certes loin de la présence au naturel du jazzman où tout le spectacle réside dans le geste musical et la façon dont il est pensé (et même si des voix s’élèvent régulièrement pour réclamer plus de spectacle, mon exigence de jazzfan s’en tient là à cette qualité du geste !)
« Brassens, oui ! Mais par Brassens. » Soit cette nudité scénique voix-guitare que, mystérieusement, Brassens comblait, mort de trac et les mains moites, de son seul art d’auteur-compositeur. Alors évidemment, ce Brassens-là sans Brassens… Mais, hors d’un amusant exercice de pastiche sur quelques chansons yéyés, Yves Uzureau ne pratique pas le mimétisme. Tout en respectant l’esthétique originale, il la transcende par cette présence d’acteur, cette voix admirablement placée (celle de Brassens l’était aussi, mais au naturel) et par un art du placement rythmique remarquable. Vous me direz, le placement rythmique est tout Brassens, tant le poète et le compositeur que l’interprète. Uzureau le fait sien et, m’a-t-il semblé, y apporte une part d’improvisation, qui nous ramène un petit peu au jazz dont son usage de la guitare laisse à penser qu’il l’a pratiqué façon manouche.
Venons au dispositif musical : Uzureau s’accompagne donc d’une guitare “à la Brassens”, assisté par Pierre Debiesme à la guitare électrique et Anne Gouraud à la contrebasse. Plus extravertie que Pierre Nicolas, qui œuvrait sobrement à l’ombre derrière Bassens, celle-ci joue de tous les registres de l’instrument, pizz, archet, walking, slap, tumbao, séquences free voire bruitistes… avec un sens du spectacle un peu bouffon qui fait merveille et, entre autres, vient moquer la dimension misogyne de l’œuvre du grand Georges avec un bel à propos. Plus introverti, Pierre Debiesme est un peu jazzman, un peu bluesman, un peu rocker, un peu carioca… et beaucoup orchestrateur, voire décorateur, metteur en scène, commentateur. Muni de moult pédales et accessoires, il fait sonner ici une discrète fanfare, là une slide guitare du Delta sur une chanson dont Uzureau fait un authentique blues, là encore une banjo des Appalaches…
Une heure et demie plus tard sans entracte, le public en redemandait encore, de ce répertoire où familier côtoyait le rare (1) puis on reprit le périphérique vers nos banlieues avec l’impression confuse de cheminer en chemins creux. • Franck Bergerot
(1) L’an passé fut publié un recueil d’une soixantaine de textes déposés à la Sacem entre 1942 et 1949, chansons de jeunesse dont quatre seules connurent la scène et le studio. René Iskin, compagnon de Brassens, qui en avait recueilli les mélodies, les dicta au magnétophone d’Yves Uzureau qui enregistra avec Anne Gouraud six d’entre elles jointes en CD au livre Georges Brassens, Premières chanson (1942-1949) (Cherche Midi, 189 pages, prologue de Gabriel Garcia Marquez). Yves Uzureau est également l’auteur d’un original “roman-méthode de guitare”, invitation à faire ses premiers doigtés sur les six cordes à partir du répertoire de Georges Brassens, inclus dans le recueil J’ai Rendez-Vous Avec Vous, l’Intégrale de ses chansons enregistrées / Paroles et musiques / 136 textes et partitions (Robert Laffont / Bouquins, 1248 p., préface de François Morel).
|Le hasard peut amener le jazz critic à quitter les chemins balisés des jazz clubs. Ayant pris l’habitude de ne rien cacher sur ce blog de mes sorties artistiques, dès lors qu’elles m’inspirent quelques lignes, de la visite de l’exposition Edward Hopper au Trophée Pierre Bédard de biniou-bombarde, je dirai donc quelques mots de ma soirée du 1er avril au Forum Léo Ferré d’Ivry en compagnie d’Yves Uzureau.
Voici quelques mois qu’une paire d’amis cherchait à me débaucher pour aller écouter Yves Uzureau chanter Brassens. Une situation toujours délicate pour le critique patenté dont les amis attendent souvent quelque certificat sous forme d’approbation. Au pire, l’affaire n’irait pas plus loin qu’un acquiescement poli, que ma froideur naturelle m’interdit d’outrepasser lorsque je salue les artistes en fin de concert, même dans les cas d’enthousiasme extrême. Au mieux… et bien ce fut au mieux. Et, une semaine plus tard, je profite d’une escapade en train pour prendre le temps d’écrire pourquoi.
Un lieu d’abord. Dissimulé, insoupçonnable en tout cas entre chiens et loups, derrière une façade digne d’un quai de livraison pour supermarché, le Forum Léo Ferré, une fois sa porte franchie, vous fait d’emblée vous sentir chez vous. On casse une croute simple et très honorable, des vins abordables bien choisis, parmi un public très fréquentable, pas très jeune (enfin, ni plus jeune ni plus vieux que le public d’une concert de jazz aujourd’hui) chez qui l’on reconnaît l’amateur. Il chantera tout à l’heure pour lui-même (sans bruit, sauf lorsqu’il y est invité, mais un sourd reconnaitrait les textes chantés aux seuls mouvements de lèvres dans le public). Une ferveur qui me rappelle ces jazzfans pianistes du dimanche qui suivent avec hochements de tête approbateurs ou de stupéfaction les solos d’un René Urtreger en ne manquant jamais de saluer par quelque mouvement du corps l’arrivée de chaque nouveau chorus.
Conçu avec humour, une projection d’un petit “film d’actualités” précédé d’une furtive apparition à l’écran du personnage publicitaire de Jean Mineur, donne le ton qui sera celui de la présentation du concert par le taulier Gilles Tcherniak, fils des propriétaires du légendaire Cheval d’or de la rue Descartes (Bobby Lapointe, Roger Riffard, Anne Sylvestre…), qu’assiste dans l’animation du Forum une équipe de bénévoles. Ici, l’on aime ce que l’on fait, on aime le faire savoir et on le fait avec esprit, humour et sens de l’accueil.
J’imagine le lecteur de ce blog méfiant, sarcastique… comme le fut Blueraie qui refusa de m’accompagner. Au mieux : « Brassens, oui ! Mais par Brassens. » Au pire : « Brassens ?! Mais c’est pas du jazz ! Mais il chante toujours la même chanson ! », etc. Je n’étais pas loin de la première proposition. Mais voici Yves Uzureau ! Physique léonin, une façon fauve de s’emparer de la scène et de regarder l’assistance sans le voir, l’habitude des lumières de la scène. Cet homme-là vient du théâtre (Premier Prix du Cours Simon me soufflera-t-on). Soit ! Un glumeux ? Un cabot ? Juste quelqu’un qui a le sens du spectacle, de la mise en scène et en lumières (une petite régie y pourvoit activement), de l’effet dramatique, certes loin de la présence au naturel du jazzman où tout le spectacle réside dans le geste musical et la façon dont il est pensé (et même si des voix s’élèvent régulièrement pour réclamer plus de spectacle, mon exigence de jazzfan s’en tient là à cette qualité du geste !)
« Brassens, oui ! Mais par Brassens. » Soit cette nudité scénique voix-guitare que, mystérieusement, Brassens comblait, mort de trac et les mains moites, de son seul art d’auteur-compositeur. Alors évidemment, ce Brassens-là sans Brassens… Mais, hors d’un amusant exercice de pastiche sur quelques chansons yéyés, Yves Uzureau ne pratique pas le mimétisme. Tout en respectant l’esthétique originale, il la transcende par cette présence d’acteur, cette voix admirablement placée (celle de Brassens l’était aussi, mais au naturel) et par un art du placement rythmique remarquable. Vous me direz, le placement rythmique est tout Brassens, tant le poète et le compositeur que l’interprète. Uzureau le fait sien et, m’a-t-il semblé, y apporte une part d’improvisation, qui nous ramène un petit peu au jazz dont son usage de la guitare laisse à penser qu’il l’a pratiqué façon manouche.
Venons au dispositif musical : Uzureau s’accompagne donc d’une guitare “à la Brassens”, assisté par Pierre Debiesme à la guitare électrique et Anne Gouraud à la contrebasse. Plus extravertie que Pierre Nicolas, qui œuvrait sobrement à l’ombre derrière Bassens, celle-ci joue de tous les registres de l’instrument, pizz, archet, walking, slap, tumbao, séquences free voire bruitistes… avec un sens du spectacle un peu bouffon qui fait merveille et, entre autres, vient moquer la dimension misogyne de l’œuvre du grand Georges avec un bel à propos. Plus introverti, Pierre Debiesme est un peu jazzman, un peu bluesman, un peu rocker, un peu carioca… et beaucoup orchestrateur, voire décorateur, metteur en scène, commentateur. Muni de moult pédales et accessoires, il fait sonner ici une discrète fanfare, là une slide guitare du Delta sur une chanson dont Uzureau fait un authentique blues, là encore une banjo des Appalaches…
Une heure et demie plus tard sans entracte, le public en redemandait encore, de ce répertoire où familier côtoyait le rare (1) puis on reprit le périphérique vers nos banlieues avec l’impression confuse de cheminer en chemins creux. • Franck Bergerot
(1) L’an passé fut publié un recueil d’une soixantaine de textes déposés à la Sacem entre 1942 et 1949, chansons de jeunesse dont quatre seules connurent la scène et le studio. René Iskin, compagnon de Brassens, qui en avait recueilli les mélodies, les dicta au magnétophone d’Yves Uzureau qui enregistra avec Anne Gouraud six d’entre elles jointes en CD au livre Georges Brassens, Premières chanson (1942-1949) (Cherche Midi, 189 pages, prologue de Gabriel Garcia Marquez). Yves Uzureau est également l’auteur d’un original “roman-méthode de guitare”, invitation à faire ses premiers doigtés sur les six cordes à partir du répertoire de Georges Brassens, inclus dans le recueil J’ai Rendez-Vous Avec Vous, l’Intégrale de ses chansons enregistrées / Paroles et musiques / 136 textes et partitions (Robert Laffont / Bouquins, 1248 p., préface de François Morel).