Soirées Tricot à Orléans, deuxième !
Nous bavardions à l’heure du repas avec Louis Sclavis et quelques membres du « Tricollectif », et notre clarinettiste se désolait de voir et d’entendre aujourd’hui tant d’hommages et autres « tribute », au lieu de tentatives, même risquées, d’écritures originales. Mais nous ne savions pas quelle étonnante aventure nous attendait tous dans l’après-midi, à l’écoute de cet « Hommage à Lucienne Boyer » qui était annoncé, avec le Grand Orchestre du Tricot, Angela Flahault, dans le cadre des « Samedis du Jazz. Concert gratuit, 50° concert de ces samedis qui ravissent les orléanais, et salle comble, plus de mille personnes !!! Comment nos jeunes gens allaient-ils assumer ça ?
Hommage à Lucienne Boyer : Angela Flahault (chant), Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello), Sacha Gillard (clarinettes), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (saxophones), Fidel Fourneyron (tb), Eric Amrofel (g), Roberto Negro (p), Stéphane Decolly (b), Florian Satche (dm, perc)
Rencontres Improvisées : Simon Couratier (bs, as), Thibault Florent (g), Robin Mercier (voix, textes), Marco Quaresimin (b)
Lemaire, Arques : Gabriel Lemaire (bs, as), Yves Arques (p)
La Scala invite Louis Sclavis : Louis Sclavis (cl, b-cl), Théo Ceccaldi (vln, alto), Valentin Ceccaldi (cello), Roberto Negro (p), Adrien Chennebault (dm, perc)
Rappelons que c’était la St Valentin hier (d’où, en partie, l’hommage à celle qui rendit célèbre Parlez-moi d’Amour), et que, conséquemment, Valentin Ceccaldi fut toute la journée l’objet de déclarations enflammées (Orléans, ses flammes et ses oriflammes !!!), auxquelles il résista tant bien que mal pour assurer ses nombreuses prestations. Son frère ne fut pas en reste d’ailleurs, mais les Théo ont droit tous les jours à des honneurs du feu de Dieu. Pour ma part, j’en profitais seulement pour apprendre que l’instrument nommé dans les programmes « horizoncelle » est en fait une petite basse électrique accordée comme un violoncelle. L’oeuvre d’un luthier du coin.
Mais prenons les choses dans l’ordre inverse. Croyez-vous que « La Scala » invitant Louis Sclavis ils auraient envoyé à l’auteur des « Violences de Rameau » une partie de leurs scores anciens ? Que nenni ! Ils ont écrit des morceaux entièrement nouveaux, chacun le sien, en y incluant des parties pour les clarinettes, et en réservant bien sûr des espaces pour l’improvisation. D’où le sentiment d’un travail achevé, accompli, où, comme souvent dans les formations « Trico », les moments de supens, parfois graves (la dernière pièce en forme de marche funèbre) succèdent aux moments agités, parfois jusqu’à la transe, toujours dans un esprit de circulation libre entre arrangements chambristes et pulsations rock. Avec une sage pondération, Louis Sclavis y a pris sa part de musique, et on espère que ce quintet original aura des suites.
En prélude à la nuit, et pour fêter la sortie de leur CD, magnifique objet serti à la main et nommé « De l’eau, la nuit », Gabriel Lemaire et Yves Arques ont dialogué de façon intime, discrète, parfois avec une sourde violence, le plus souvent avec tendresse et retenue. Quant à la Rencontre Improvisée, elle nous a révélé au moins un grand conteur (Robin Mercier), dont on aura je crois l’occasion de reparler aujourd’hui même, et trois jeunes instrumentistes parfaitement à l’écoute de son incroyable histoire de « caisses ».
Théo Ceccaldi, Angela Flahault, un coeur, du rouge
Mais ce qui nous attendait vers 17.00 dépasse en intensité de surprise et en qualité de travail tout ce que nous venons d’évoquer, car il se situe dans un domaine qui transcende largement celui du jazz et des musiques improvisées au sens strict (tout en l’englobant), et offre à un public très large une occasion unique de se réjouir devant tant de talent, de culot, de musique, et d’émotion. Je connaissais peu Lucienne Boyer (bien que quelques 78 tours doivent trainer ici ou là), évidemment son Parlez-moi d’Amour, et peut-être Mon coeur est un violon, dont Théo Ceccaldi a senti la piqure quand un mari jaloux l’eut percé, avant qu’Angela ne vienne le relever pour un duo digne du vérisme italien. Voilà déjà une indication. Le travail effectué par les arrangeurs (Roberto Negro, Théo Ceccaldi, Valentin Ceccaldi selon les morceaux) sur ces chansons de Lucienne Boyer (Youp Youp, La Valse Tourne, Mon coeur est un violon, Parti sans laisser d’adresse, J’ai laissé les clefs sur la porte, J’ai raté la correspondance, Parlez-moi d’amour, Je t’aime) est tout simplement admirable, miraculeux. Tout y devient d’une fraîcheur totale. Angela Flahault est une interprète ravissante, la voix est belle en donnant en même temps l’impression de la fragilité (tout à fait feinte !), elle est capable d’instiller des parties improvisées dans le plus pur style actuel (je dirais : comme une élève de Phil Minton, et je ne pense pas que ce soit le cas), mais son chant ouvert – parfois joué avec distance, et parfois pas du tout – est parfait de droiture et de conduite. Les « chansons » sont autant d’occasions pour l’orchestre (car c’est bien un orchestre au sens plein, pas un ensemble d’accompagnement) de se lancer dans des parties superbement arrangées/dérangées, qui font écho au jazz le plus urgent et le plus vif. Le comble, c’est que dans certains cas l’émotion vous gagne : je me suis laissé prendre à cette incroyable histoire de correspondance dans une gare et au sentiment tragique de cette femme perdue, à la recherche du train, du quai, de la voie où trouver son amoureux. Le grand art, le sourire dans les larmes. Mozart serait des nôtres, il aurait aimé faire ça. Un « dramma giocoso ».
Conclusion : ce concert doit tourner, être entendu partout, même à l’étanger où il pourrait représenter ce que le jazz de France sait faire de mieux aujourd’hui en matière de spectacle total. Car de jazz il s’agit bien quand même : on sait depuis longtemps que ce n’est pas ce qu’on joue qui compte, mais la manière de le jouer.
On est dimanche, il y a encore des concerts à partir de 15.30. Qu’on se le dise.
Philippe Méziat
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Nous bavardions à l’heure du repas avec Louis Sclavis et quelques membres du « Tricollectif », et notre clarinettiste se désolait de voir et d’entendre aujourd’hui tant d’hommages et autres « tribute », au lieu de tentatives, même risquées, d’écritures originales. Mais nous ne savions pas quelle étonnante aventure nous attendait tous dans l’après-midi, à l’écoute de cet « Hommage à Lucienne Boyer » qui était annoncé, avec le Grand Orchestre du Tricot, Angela Flahault, dans le cadre des « Samedis du Jazz. Concert gratuit, 50° concert de ces samedis qui ravissent les orléanais, et salle comble, plus de mille personnes !!! Comment nos jeunes gens allaient-ils assumer ça ?
Hommage à Lucienne Boyer : Angela Flahault (chant), Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello), Sacha Gillard (clarinettes), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (saxophones), Fidel Fourneyron (tb), Eric Amrofel (g), Roberto Negro (p), Stéphane Decolly (b), Florian Satche (dm, perc)
Rencontres Improvisées : Simon Couratier (bs, as), Thibault Florent (g), Robin Mercier (voix, textes), Marco Quaresimin (b)
Lemaire, Arques : Gabriel Lemaire (bs, as), Yves Arques (p)
La Scala invite Louis Sclavis : Louis Sclavis (cl, b-cl), Théo Ceccaldi (vln, alto), Valentin Ceccaldi (cello), Roberto Negro (p), Adrien Chennebault (dm, perc)
Rappelons que c’était la St Valentin hier (d’où, en partie, l’hommage à celle qui rendit célèbre Parlez-moi d’Amour), et que, conséquemment, Valentin Ceccaldi fut toute la journée l’objet de déclarations enflammées (Orléans, ses flammes et ses oriflammes !!!), auxquelles il résista tant bien que mal pour assurer ses nombreuses prestations. Son frère ne fut pas en reste d’ailleurs, mais les Théo ont droit tous les jours à des honneurs du feu de Dieu. Pour ma part, j’en profitais seulement pour apprendre que l’instrument nommé dans les programmes « horizoncelle » est en fait une petite basse électrique accordée comme un violoncelle. L’oeuvre d’un luthier du coin.
Mais prenons les choses dans l’ordre inverse. Croyez-vous que « La Scala » invitant Louis Sclavis ils auraient envoyé à l’auteur des « Violences de Rameau » une partie de leurs scores anciens ? Que nenni ! Ils ont écrit des morceaux entièrement nouveaux, chacun le sien, en y incluant des parties pour les clarinettes, et en réservant bien sûr des espaces pour l’improvisation. D’où le sentiment d’un travail achevé, accompli, où, comme souvent dans les formations « Trico », les moments de supens, parfois graves (la dernière pièce en forme de marche funèbre) succèdent aux moments agités, parfois jusqu’à la transe, toujours dans un esprit de circulation libre entre arrangements chambristes et pulsations rock. Avec une sage pondération, Louis Sclavis y a pris sa part de musique, et on espère que ce quintet original aura des suites.
En prélude à la nuit, et pour fêter la sortie de leur CD, magnifique objet serti à la main et nommé « De l’eau, la nuit », Gabriel Lemaire et Yves Arques ont dialogué de façon intime, discrète, parfois avec une sourde violence, le plus souvent avec tendresse et retenue. Quant à la Rencontre Improvisée, elle nous a révélé au moins un grand conteur (Robin Mercier), dont on aura je crois l’occasion de reparler aujourd’hui même, et trois jeunes instrumentistes parfaitement à l’écoute de son incroyable histoire de « caisses ».
Théo Ceccaldi, Angela Flahault, un coeur, du rouge
Mais ce qui nous attendait vers 17.00 dépasse en intensité de surprise et en qualité de travail tout ce que nous venons d’évoquer, car il se situe dans un domaine qui transcende largement celui du jazz et des musiques improvisées au sens strict (tout en l’englobant), et offre à un public très large une occasion unique de se réjouir devant tant de talent, de culot, de musique, et d’émotion. Je connaissais peu Lucienne Boyer (bien que quelques 78 tours doivent trainer ici ou là), évidemment son Parlez-moi d’Amour, et peut-être Mon coeur est un violon, dont Théo Ceccaldi a senti la piqure quand un mari jaloux l’eut percé, avant qu’Angela ne vienne le relever pour un duo digne du vérisme italien. Voilà déjà une indication. Le travail effectué par les arrangeurs (Roberto Negro, Théo Ceccaldi, Valentin Ceccaldi selon les morceaux) sur ces chansons de Lucienne Boyer (Youp Youp, La Valse Tourne, Mon coeur est un violon, Parti sans laisser d’adresse, J’ai laissé les clefs sur la porte, J’ai raté la correspondance, Parlez-moi d’amour, Je t’aime) est tout simplement admirable, miraculeux. Tout y devient d’une fraîcheur totale. Angela Flahault est une interprète ravissante, la voix est belle en donnant en même temps l’impression de la fragilité (tout à fait feinte !), elle est capable d’instiller des parties improvisées dans le plus pur style actuel (je dirais : comme une élève de Phil Minton, et je ne pense pas que ce soit le cas), mais son chant ouvert – parfois joué avec distance, et parfois pas du tout – est parfait de droiture et de conduite. Les « chansons » sont autant d’occasions pour l’orchestre (car c’est bien un orchestre au sens plein, pas un ensemble d’accompagnement) de se lancer dans des parties superbement arrangées/dérangées, qui font écho au jazz le plus urgent et le plus vif. Le comble, c’est que dans certains cas l’émotion vous gagne : je me suis laissé prendre à cette incroyable histoire de correspondance dans une gare et au sentiment tragique de cette femme perdue, à la recherche du train, du quai, de la voie où trouver son amoureux. Le grand art, le sourire dans les larmes. Mozart serait des nôtres, il aurait aimé faire ça. Un « dramma giocoso ».
Conclusion : ce concert doit tourner, être entendu partout, même à l’étanger où il pourrait représenter ce que le jazz de France sait faire de mieux aujourd’hui en matière de spectacle total. Car de jazz il s’agit bien quand même : on sait depuis longtemps que ce n’est pas ce qu’on joue qui compte, mais la manière de le jouer.
On est dimanche, il y a encore des concerts à partir de 15.30. Qu’on se le dise.
Philippe Méziat
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Nous bavardions à l’heure du repas avec Louis Sclavis et quelques membres du « Tricollectif », et notre clarinettiste se désolait de voir et d’entendre aujourd’hui tant d’hommages et autres « tribute », au lieu de tentatives, même risquées, d’écritures originales. Mais nous ne savions pas quelle étonnante aventure nous attendait tous dans l’après-midi, à l’écoute de cet « Hommage à Lucienne Boyer » qui était annoncé, avec le Grand Orchestre du Tricot, Angela Flahault, dans le cadre des « Samedis du Jazz. Concert gratuit, 50° concert de ces samedis qui ravissent les orléanais, et salle comble, plus de mille personnes !!! Comment nos jeunes gens allaient-ils assumer ça ?
Hommage à Lucienne Boyer : Angela Flahault (chant), Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello), Sacha Gillard (clarinettes), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (saxophones), Fidel Fourneyron (tb), Eric Amrofel (g), Roberto Negro (p), Stéphane Decolly (b), Florian Satche (dm, perc)
Rencontres Improvisées : Simon Couratier (bs, as), Thibault Florent (g), Robin Mercier (voix, textes), Marco Quaresimin (b)
Lemaire, Arques : Gabriel Lemaire (bs, as), Yves Arques (p)
La Scala invite Louis Sclavis : Louis Sclavis (cl, b-cl), Théo Ceccaldi (vln, alto), Valentin Ceccaldi (cello), Roberto Negro (p), Adrien Chennebault (dm, perc)
Rappelons que c’était la St Valentin hier (d’où, en partie, l’hommage à celle qui rendit célèbre Parlez-moi d’Amour), et que, conséquemment, Valentin Ceccaldi fut toute la journée l’objet de déclarations enflammées (Orléans, ses flammes et ses oriflammes !!!), auxquelles il résista tant bien que mal pour assurer ses nombreuses prestations. Son frère ne fut pas en reste d’ailleurs, mais les Théo ont droit tous les jours à des honneurs du feu de Dieu. Pour ma part, j’en profitais seulement pour apprendre que l’instrument nommé dans les programmes « horizoncelle » est en fait une petite basse électrique accordée comme un violoncelle. L’oeuvre d’un luthier du coin.
Mais prenons les choses dans l’ordre inverse. Croyez-vous que « La Scala » invitant Louis Sclavis ils auraient envoyé à l’auteur des « Violences de Rameau » une partie de leurs scores anciens ? Que nenni ! Ils ont écrit des morceaux entièrement nouveaux, chacun le sien, en y incluant des parties pour les clarinettes, et en réservant bien sûr des espaces pour l’improvisation. D’où le sentiment d’un travail achevé, accompli, où, comme souvent dans les formations « Trico », les moments de supens, parfois graves (la dernière pièce en forme de marche funèbre) succèdent aux moments agités, parfois jusqu’à la transe, toujours dans un esprit de circulation libre entre arrangements chambristes et pulsations rock. Avec une sage pondération, Louis Sclavis y a pris sa part de musique, et on espère que ce quintet original aura des suites.
En prélude à la nuit, et pour fêter la sortie de leur CD, magnifique objet serti à la main et nommé « De l’eau, la nuit », Gabriel Lemaire et Yves Arques ont dialogué de façon intime, discrète, parfois avec une sourde violence, le plus souvent avec tendresse et retenue. Quant à la Rencontre Improvisée, elle nous a révélé au moins un grand conteur (Robin Mercier), dont on aura je crois l’occasion de reparler aujourd’hui même, et trois jeunes instrumentistes parfaitement à l’écoute de son incroyable histoire de « caisses ».
Théo Ceccaldi, Angela Flahault, un coeur, du rouge
Mais ce qui nous attendait vers 17.00 dépasse en intensité de surprise et en qualité de travail tout ce que nous venons d’évoquer, car il se situe dans un domaine qui transcende largement celui du jazz et des musiques improvisées au sens strict (tout en l’englobant), et offre à un public très large une occasion unique de se réjouir devant tant de talent, de culot, de musique, et d’émotion. Je connaissais peu Lucienne Boyer (bien que quelques 78 tours doivent trainer ici ou là), évidemment son Parlez-moi d’Amour, et peut-être Mon coeur est un violon, dont Théo Ceccaldi a senti la piqure quand un mari jaloux l’eut percé, avant qu’Angela ne vienne le relever pour un duo digne du vérisme italien. Voilà déjà une indication. Le travail effectué par les arrangeurs (Roberto Negro, Théo Ceccaldi, Valentin Ceccaldi selon les morceaux) sur ces chansons de Lucienne Boyer (Youp Youp, La Valse Tourne, Mon coeur est un violon, Parti sans laisser d’adresse, J’ai laissé les clefs sur la porte, J’ai raté la correspondance, Parlez-moi d’amour, Je t’aime) est tout simplement admirable, miraculeux. Tout y devient d’une fraîcheur totale. Angela Flahault est une interprète ravissante, la voix est belle en donnant en même temps l’impression de la fragilité (tout à fait feinte !), elle est capable d’instiller des parties improvisées dans le plus pur style actuel (je dirais : comme une élève de Phil Minton, et je ne pense pas que ce soit le cas), mais son chant ouvert – parfois joué avec distance, et parfois pas du tout – est parfait de droiture et de conduite. Les « chansons » sont autant d’occasions pour l’orchestre (car c’est bien un orchestre au sens plein, pas un ensemble d’accompagnement) de se lancer dans des parties superbement arrangées/dérangées, qui font écho au jazz le plus urgent et le plus vif. Le comble, c’est que dans certains cas l’émotion vous gagne : je me suis laissé prendre à cette incroyable histoire de correspondance dans une gare et au sentiment tragique de cette femme perdue, à la recherche du train, du quai, de la voie où trouver son amoureux. Le grand art, le sourire dans les larmes. Mozart serait des nôtres, il aurait aimé faire ça. Un « dramma giocoso ».
Conclusion : ce concert doit tourner, être entendu partout, même à l’étanger où il pourrait représenter ce que le jazz de France sait faire de mieux aujourd’hui en matière de spectacle total. Car de jazz il s’agit bien quand même : on sait depuis longtemps que ce n’est pas ce qu’on joue qui compte, mais la manière de le jouer.
On est dimanche, il y a encore des concerts à partir de 15.30. Qu’on se le dise.
Philippe Méziat
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Nous bavardions à l’heure du repas avec Louis Sclavis et quelques membres du « Tricollectif », et notre clarinettiste se désolait de voir et d’entendre aujourd’hui tant d’hommages et autres « tribute », au lieu de tentatives, même risquées, d’écritures originales. Mais nous ne savions pas quelle étonnante aventure nous attendait tous dans l’après-midi, à l’écoute de cet « Hommage à Lucienne Boyer » qui était annoncé, avec le Grand Orchestre du Tricot, Angela Flahault, dans le cadre des « Samedis du Jazz. Concert gratuit, 50° concert de ces samedis qui ravissent les orléanais, et salle comble, plus de mille personnes !!! Comment nos jeunes gens allaient-ils assumer ça ?
Hommage à Lucienne Boyer : Angela Flahault (chant), Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello), Sacha Gillard (clarinettes), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (saxophones), Fidel Fourneyron (tb), Eric Amrofel (g), Roberto Negro (p), Stéphane Decolly (b), Florian Satche (dm, perc)
Rencontres Improvisées : Simon Couratier (bs, as), Thibault Florent (g), Robin Mercier (voix, textes), Marco Quaresimin (b)
Lemaire, Arques : Gabriel Lemaire (bs, as), Yves Arques (p)
La Scala invite Louis Sclavis : Louis Sclavis (cl, b-cl), Théo Ceccaldi (vln, alto), Valentin Ceccaldi (cello), Roberto Negro (p), Adrien Chennebault (dm, perc)
Rappelons que c’était la St Valentin hier (d’où, en partie, l’hommage à celle qui rendit célèbre Parlez-moi d’Amour), et que, conséquemment, Valentin Ceccaldi fut toute la journée l’objet de déclarations enflammées (Orléans, ses flammes et ses oriflammes !!!), auxquelles il résista tant bien que mal pour assurer ses nombreuses prestations. Son frère ne fut pas en reste d’ailleurs, mais les Théo ont droit tous les jours à des honneurs du feu de Dieu. Pour ma part, j’en profitais seulement pour apprendre que l’instrument nommé dans les programmes « horizoncelle » est en fait une petite basse électrique accordée comme un violoncelle. L’oeuvre d’un luthier du coin.
Mais prenons les choses dans l’ordre inverse. Croyez-vous que « La Scala » invitant Louis Sclavis ils auraient envoyé à l’auteur des « Violences de Rameau » une partie de leurs scores anciens ? Que nenni ! Ils ont écrit des morceaux entièrement nouveaux, chacun le sien, en y incluant des parties pour les clarinettes, et en réservant bien sûr des espaces pour l’improvisation. D’où le sentiment d’un travail achevé, accompli, où, comme souvent dans les formations « Trico », les moments de supens, parfois graves (la dernière pièce en forme de marche funèbre) succèdent aux moments agités, parfois jusqu’à la transe, toujours dans un esprit de circulation libre entre arrangements chambristes et pulsations rock. Avec une sage pondération, Louis Sclavis y a pris sa part de musique, et on espère que ce quintet original aura des suites.
En prélude à la nuit, et pour fêter la sortie de leur CD, magnifique objet serti à la main et nommé « De l’eau, la nuit », Gabriel Lemaire et Yves Arques ont dialogué de façon intime, discrète, parfois avec une sourde violence, le plus souvent avec tendresse et retenue. Quant à la Rencontre Improvisée, elle nous a révélé au moins un grand conteur (Robin Mercier), dont on aura je crois l’occasion de reparler aujourd’hui même, et trois jeunes instrumentistes parfaitement à l’écoute de son incroyable histoire de « caisses ».
Théo Ceccaldi, Angela Flahault, un coeur, du rouge
Mais ce qui nous attendait vers 17.00 dépasse en intensité de surprise et en qualité de travail tout ce que nous venons d’évoquer, car il se situe dans un domaine qui transcende largement celui du jazz et des musiques improvisées au sens strict (tout en l’englobant), et offre à un public très large une occasion unique de se réjouir devant tant de talent, de culot, de musique, et d’émotion. Je connaissais peu Lucienne Boyer (bien que quelques 78 tours doivent trainer ici ou là), évidemment son Parlez-moi d’Amour, et peut-être Mon coeur est un violon, dont Théo Ceccaldi a senti la piqure quand un mari jaloux l’eut percé, avant qu’Angela ne vienne le relever pour un duo digne du vérisme italien. Voilà déjà une indication. Le travail effectué par les arrangeurs (Roberto Negro, Théo Ceccaldi, Valentin Ceccaldi selon les morceaux) sur ces chansons de Lucienne Boyer (Youp Youp, La Valse Tourne, Mon coeur est un violon, Parti sans laisser d’adresse, J’ai laissé les clefs sur la porte, J’ai raté la correspondance, Parlez-moi d’amour, Je t’aime) est tout simplement admirable, miraculeux. Tout y devient d’une fraîcheur totale. Angela Flahault est une interprète ravissante, la voix est belle en donnant en même temps l’impression de la fragilité (tout à fait feinte !), elle est capable d’instiller des parties improvisées dans le plus pur style actuel (je dirais : comme une élève de Phil Minton, et je ne pense pas que ce soit le cas), mais son chant ouvert – parfois joué avec distance, et parfois pas du tout – est parfait de droiture et de conduite. Les « chansons » sont autant d’occasions pour l’orchestre (car c’est bien un orchestre au sens plein, pas un ensemble d’accompagnement) de se lancer dans des parties superbement arrangées/dérangées, qui font écho au jazz le plus urgent et le plus vif. Le comble, c’est que dans certains cas l’émotion vous gagne : je me suis laissé prendre à cette incroyable histoire de correspondance dans une gare et au sentiment tragique de cette femme perdue, à la recherche du train, du quai, de la voie où trouver son amoureux. Le grand art, le sourire dans les larmes. Mozart serait des nôtres, il aurait aimé faire ça. Un « dramma giocoso ».
Conclusion : ce concert doit tourner, être entendu partout, même à l’étanger où il pourrait représenter ce que le jazz de France sait faire de mieux aujourd’hui en matière de spectacle total. Car de jazz il s’agit bien quand même : on sait depuis longtemps que ce n’est pas ce qu’on joue qui compte, mais la manière de le jouer.
On est dimanche, il y a encore des concerts à partir de 15.30. Qu’on se le dise.
Philippe Méziat