Soirées Tricot à Strasbourg : "Mon coeur est un violon", mais aussi un piano, un saxophone soprano, et "Parlez-moi d'amour"
On est heureux d’appartenir à une époque qui voit la naissance de tant de belles musiques, dont on se dit qu’elles ont au moins l’une de leurs sources fortes dans le jazz. Et j’entends par là – car j’entends encore – cette musique qui a touché mon âme quand j’avais six ou sept ans et dont la trace se réveille en certaines circonstances, non dans une exigence de répétition du même, bien au contraire, mais dans l’accueil de cette trace dans une musique actuelle. C’est donc toujours du jazz pour moi, parce que je suis toujours le même, et que la répétition de cette émotion est source de jouissance à condition de se tenir dans la nouveauté.
Ce n’est pas si compliqué, au fond. Tenez : prenez les Métamorphoses Nocturnes de Ligety, soit son premier quatuor à cordes, écrit entre 1953 et 1954. Un langage encore très marqué par Bartok, mais aussi en certains moments par Debussy, ou Ravel, voire Erik Satie. Une écriture fondamentalement tonale, qui pourrait avoir été influencée aussi par Monk. Mais d’abord les musiciens :
Métanuits : Roberto Negro (p), Émile Parisien (ss)
Passer du quatuor classique au duo piano/saxophone soprano nécessitait donc une écriture, et des moments laissés à l’initiative de chaque exécutant. Résultat parfait, étonnant de justesse, qui permet d’apprécier les moments de galop, les instants suspendus de tendresse, les acharnements, l’envol, la légèreté et la grâce. Manifestement, Roberto Negro et Émile Parisien se sont trouvés sur cette pièce, et ils y prennent un plaisir fou. Totalement partagé par un public basique, qui ne demande que ça : de la musique pour s’élever d’un cran, et se croire un instant l’auteur même de ce ravissement. Ce quatuor qui nous vient des années 50 est d’évidence une musique qui passe, qui touche, qui ravit. C’est une musique profondément populaire au sens que Jean Vilar donnait à ce terme.
Mais auparavant, nous avions apprécié le duo improvisé entre Robin Mercier (voix, textes) et Jeanne Barbieri (voix, textes), la chanteuse et vocaliste du groupe Auditive Connection. Un échange verbal et vocal très inventif, dans lequel Robin emmène une histoire évidemment rocambolesque où il est question d’un père qui abuse de la promise d’un fils, lequel se retrouve bientôt ministre du temps libre et des loisirs, chargé d’installer un portail destiné à programmer les soirées intimes et privées de tout un chacun. Jeanne Barbieri a su répondre en évitant les effets de miroir, apportant ses rebondissements ou ses commentaires avec pertinence et humour. Une très belle « mise en bouche », au sens le plus littéral du terme. À l’honneur en cette soirée finale du « Tricot », la voix allait aussi se faire entendre dans le « Tribute To Lucienne Boyer ».
Tribute To Lucienne Boyer : Angela Flahault (chant), Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello), Sacha Gillard (clarinettes), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (saxophones), Fidel Fourneyron (tb), Eric Amrofel (g), Roberto Negro (p), Stéphane Decolly (b), Florian Satche (dm, perc)
Ce qui a suivi allait nous plonger dans une stupéfaction heureuse, et répétée, même pour ceux (j’en suis) qui avait déjà vu et entendu la fine Angela dans le répertoire de Lucienne Boyer. « Mon coeur est un violon » donne l’occasion à Théo Ceccaldi (évidemment !) d’un mini drame amoureux qui se résout mal, mais en connaissez-vous qui… Blessé à mort, il se relève néanmoins pour d’autres aventures, puisées dans une série de chansons qu’on ferait bien de réécouter aussi dans leurs versions originales en faisant attention à ces textes qui ne sont désuets que parce que nous en ignorons la profondeur humaine. Robe blanche pour Angela, voix incroyablement parfaite, pure comme du cristal, donc forte et fragile à la fois, pour moi clairement dans la lignée de certaines chanteuses américaines de la musique country. Quasiment seule dans le « Parlez-moi d’amour » qui est comme le mot d’ordre lancé par Florian Satche (animateur, il faut le dire au passage, d’une rythmique d’enfer !), elle fait aussi flamber l’organe vocal comme une rockeuse, et module les expressions de la faille, du désastre, de l’innocence plus ou moins perverse quand ce n’est pas du drame avec une félinité réjouissante. « J’ai raté la correspondance » reste pour moi l’un des « hits « de l’année, et je laisse imaginer aux futurs spectateurs de ce spectacle vraiment fort le final qui convient. C’est drôle, intelligent, juste, les traits ne sont jamais forcés, on rit, mais on pleure aussi.
On souhaite à tous ces tricoteurs de continuer à manier l’aiguille, le crochet, et les doubles croches. Que vivent les soirées Tricot partout dans le monde, et que ça se Satche. Mais je l’ai déjà dit. Et j’ajoute encore que les arrangements pour le grand orchestre sont d’une invraisemblable et parfois folle modernité. Mais si l’on écoute bien les originaux, on se dit que dans les années 30, ils étaient déjà très forts.
Philippe Méziat|On est heureux d’appartenir à une époque qui voit la naissance de tant de belles musiques, dont on se dit qu’elles ont au moins l’une de leurs sources fortes dans le jazz. Et j’entends par là – car j’entends encore – cette musique qui a touché mon âme quand j’avais six ou sept ans et dont la trace se réveille en certaines circonstances, non dans une exigence de répétition du même, bien au contraire, mais dans l’accueil de cette trace dans une musique actuelle. C’est donc toujours du jazz pour moi, parce que je suis toujours le même, et que la répétition de cette émotion est source de jouissance à condition de se tenir dans la nouveauté.
Ce n’est pas si compliqué, au fond. Tenez : prenez les Métamorphoses Nocturnes de Ligety, soit son premier quatuor à cordes, écrit entre 1953 et 1954. Un langage encore très marqué par Bartok, mais aussi en certains moments par Debussy, ou Ravel, voire Erik Satie. Une écriture fondamentalement tonale, qui pourrait avoir été influencée aussi par Monk. Mais d’abord les musiciens :
Métanuits : Roberto Negro (p), Émile Parisien (ss)
Passer du quatuor classique au duo piano/saxophone soprano nécessitait donc une écriture, et des moments laissés à l’initiative de chaque exécutant. Résultat parfait, étonnant de justesse, qui permet d’apprécier les moments de galop, les instants suspendus de tendresse, les acharnements, l’envol, la légèreté et la grâce. Manifestement, Roberto Negro et Émile Parisien se sont trouvés sur cette pièce, et ils y prennent un plaisir fou. Totalement partagé par un public basique, qui ne demande que ça : de la musique pour s’élever d’un cran, et se croire un instant l’auteur même de ce ravissement. Ce quatuor qui nous vient des années 50 est d’évidence une musique qui passe, qui touche, qui ravit. C’est une musique profondément populaire au sens que Jean Vilar donnait à ce terme.
Mais auparavant, nous avions apprécié le duo improvisé entre Robin Mercier (voix, textes) et Jeanne Barbieri (voix, textes), la chanteuse et vocaliste du groupe Auditive Connection. Un échange verbal et vocal très inventif, dans lequel Robin emmène une histoire évidemment rocambolesque où il est question d’un père qui abuse de la promise d’un fils, lequel se retrouve bientôt ministre du temps libre et des loisirs, chargé d’installer un portail destiné à programmer les soirées intimes et privées de tout un chacun. Jeanne Barbieri a su répondre en évitant les effets de miroir, apportant ses rebondissements ou ses commentaires avec pertinence et humour. Une très belle « mise en bouche », au sens le plus littéral du terme. À l’honneur en cette soirée finale du « Tricot », la voix allait aussi se faire entendre dans le « Tribute To Lucienne Boyer ».
Tribute To Lucienne Boyer : Angela Flahault (chant), Théo Ceccaldi (vln), Valentin Ceccaldi (cello), Sacha Gillard (clarinettes), Quentin Biardeau, Gabriel Lemaire (saxophones), Fidel Fourneyron (tb), Eric Amrofel (g), Roberto Negro (p), Stéphane Decolly (b), Florian Satche (dm, perc)
Ce qui a suivi allait nous plonger dans une stupéfaction heureuse, et répétée, même pour ceux (j’en suis) qui avait déjà vu et entendu la fine Angela dans le répertoire de Lucienne Boyer. « Mon coeur est un violon » donne l’occasion à Théo Ceccaldi (évidemment !) d’un mini drame amoureux qui se résout mal, mais en connaissez-vous qui… Blessé à mort, il se relève néanmoins pour d’autres aventures, puisées dans une série de chansons qu’on ferait bien de réécouter aussi dans leurs versions originales en faisant attention à ces textes qui ne sont désuets que parce que nous en ignorons la profondeur humaine. Robe blanche pour Angela, voix incroyablement parfaite, pure comme du cristal, donc forte et fragile à la fois, pour moi clairement dans la lignée de certaines chanteuses américaines de la musique country. Quasiment seule dans le « Parlez-moi d’amour » qui est comme le mot d’ordre lancé par Florian Satche (animateur, il faut le dire au passage, d’une rythmique d’enfer !), elle fait aussi flamber l’organe vocal comme une rockeuse, et module les expressions de la faille, du désastre, de l’innocence plus ou moins perverse quand ce n’est pas du drame avec une félinité réjouissante. « J’ai raté la correspondance » reste pour moi l’un des « hits « de l’année, et je laisse imaginer aux futurs spectateurs de ce spectacle vraiment fort le final qui convient. C’est drôle, intelligent, juste, les traits ne sont jamais forcés, on rit, mais on pleure aussi.
On souhaite à tous ces tricoteurs de continuer à manier l’aiguille, le crochet, et les doubles croches. Que vivent les soirées Tricot partout dans le monde, et que ça se Satche. Mais je l’ai déjà dit. Et j’ajoute encore que les arrangements pour le grand orchestre sont d’une invraisemblable et parfois folle modernité. Mais si l’on écoute bien les originaux, on se dit que dans les années 30, ils étaient déjà très forts.
Philippe Méziat